Transition écologique : un investissement "très rentable" pour le secteur privé, affirme François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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En France, l'épargne tourne autour de 7 000 milliards d’euros. Or les investissements socialement responsables sont aujourd’hui aussi rentables que des placements classiques. Illustration. (ANDRIY ONUFRIYENKO / MOMENT RF)

Pour François Gemenne, le gouvernement va devoir relever un défi pour poursuivre la transition écologique avec des caisses vides, car "la transition, c’est avant tout une affaire d’investissement", dit-il. Le rapport rédigé l’an dernier par les économistes Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, et qui a rassemblé un large consensus, chiffrait les besoins d’investissement pour la France à 66 milliards d’euros chaque année. La Commission européenne chiffre les besoins d’investissement du Green Deal autour de 3,5% du PIB européen chaque année, "ce sont des sommes considérables", insiste le professeur.

Et il rappelle que Mario Draghi, l’ancien premier ministre italien, ancien président de la Banque centrale européenne, a dit clairement dans son rapport récent sur l’avenir de l’économie européenne : il faut investir massivement, notamment dans les énergies renouvelables, sinon les entreprises européennes n’auront aucune chance face à leurs rivales asiatiques et américaines. "C’est une question existentielle pour l’économie européenne", martèle-t-il.

franceinfo : Comment peut faire un État quand les finances sont dans le rouge ? Il emprunte ?

François Gemenne : C’est ce que préconise Mario Draghi, tout comme Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, mais politiquement c’est très compliqué : plein de pays sont très réticents à l’idée d’un emprunt européen, à commencer par l’Allemagne et les pays scandinaves. Et en France vous savez très bien les débats que ça suscite. Mais ne rien faire n’est pas une option, donc il va bien falloir trouver des solutions ailleurs. Et une de ces solutions, c’est de faire appel au privé pour trouver l’argent.

Pourquoi serait-ce au secteur privé de financer la transition ?

En fait c’est très rentable, la transition.

"Les investissements socialement responsables (ISR) présentent aujourd’hui des taux de rentabilité tout à fait comparables à des placements classiques."

François Gemenne

à franceinfo

Or il y a en France énormément d’épargne, entre 6 000 et 8 000 milliards d’euros. Rien que pour l’assurance-vie, qui est le placement préféré des Français, on a des en-cours qui tournent autour de 1 800 milliards d’euros. On a évidemment un peu de mal à se représenter ces montants, mais pour donner un ordre de comparaison, c’est à peu près l’équivalent de la somme des investissements totaux dans les énergies décarbonées en 2023, pour le monde entier. Donc il y a vraiment moyen de faire beaucoup de choses avec cette épargne, dont une toute petite fraction suffirait à financer la transition.

Mais pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas, alors ? Tout cet argent dort dans les banques ?

L’argent ne dort pas, bien sûr. L’épargne finance les entreprises, et l’économie dans son ensemble. Mais il finance aussi, en partie, l’économie fossile. Une partie considérable de cette épargne finance des projets de forages pétroliers ou gaziers, ou de déforestation… souvent à l’insu des épargnants, qui s’intéressent souvent très peu à ce que finance leur épargne. Et souvent, les banques ne les aident pas beaucoup à s’y intéresser.

Cet argent pourrait donc financer la transition ?

Exactement. D’abord il y a de nouveaux acteurs bancaires qui apparaissent sur le marché, avec de nouveaux placements, pour réorienter l’épargne des particuliers vers la transition. Et puis il y a les fonds ISR, dont on vient de parler, qui sont censés eux aussi apporter des moyens pour la transition. Le problème c’est qu’on n’y souscrit pas suffisamment. 

Pourtant vous dites qu’ils sont rentables ?

C’est aussi lié à un problème de confiance, et la confiance c’est important pour l’investissement. Parfois, on s’imagine que ces fonds sont moins rentables, et qu’en y souscrivant, c’est un peu comme si on donnait de l’argent à une association. On se méfie de ce qu’il y a dedans, aussi. Et c’est vrai que, jusqu’à la réforme des fonds ISR l’an dernier, on y trouvait parfois n’importe quoi. Heureusement la réforme a mis un peu d’ordre dans tout ça. Le symbole de ce manque de confiance, pour moi, c’est que même les fondations d’utilité publique n’y souscrivent pas.

Beaucoup des grosses fondations, qui remplissent des missions d’utilité publique, des fondations caritatives par exemple, ont des placements financiers qui ne sont pas du tout alignés avec leurs missions. Et cela représente pas mal d’argent, autour de 40 milliards d’euros. Il y a des grosses fondations, qui pèsent plus de 500 millions, comme les fondations Bettencourt et Carasso, et beaucoup de petites, regroupées dans la Fondation de France et l’Institut de France. Eh bien, selon les chiffres du cabinet Axylia, qui est spécialisé dans ces placements, 85% des encours de ces fondations ne font pas l’objet de placements engagés. Les actifs qui intègrent les enjeux climatiques ne représentent que 23% des portefeuilles.

Concrètement, ces fondations financent des investissements qui sont contraires à leur objet social ?

Exactement, on marche sur la tête. Par défaut d’information, par manque de confiance… Si cette chronique peut faire un peu bouger les lignes, on n’aura pas perdu notre temps !

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