Cannabis : pourquoi le secteur florissant du CBD se lance dans une bataille judiciaire contre l'Etat
Les professionnels de cette filière en plein essor ont été stupéfaits par un récent arrêté ministériel qui interdit la vente de fleurs de cannabidiol. En réaction, les vendeurs ont multiplié les recours en justice.
Ils pensaient trouver l'eldorado, mais les voilà contraints de revoir leurs ambitions à la baisse, au moins temporairement. Les acteurs de filière de cannabidiol (CBD), molécule non psychotrope du cannabis, au contraire du tétrahydrocannabinol (THC), ont reçu comme un coup de massue l'arrêté ministériel du vendredi 31 décembre 2021. Cette révision d'un arrêté de 1990 interdit la vente et la consommation de fleurs ou de feuilles de cannabis, sous toutes leurs formes.
Finie, donc, la commercialisation en pleine croissance en France de ces fleurs dans lesquelles est présent le CBD. Pourtant, les professionnels de ce secteur ont repris espoir avec une décision du Conseil constitutionnel, vendredi 7 janvier, qui précise la définition d'une substance "stupéfiante" et exclut les produits à base de CBD de ce champ d'application. Une aubaine pour les défenseurs de cette molécule, face à une interdiction qu'ils jugent infondée ?
Le choix de la fermeté en France
Pour y voir clair dans cette bataille, il faut revenir un peu plus d'un an en arrière. En novembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rappelé que le CBD n'était pas un stupéfiant et que cette molécule ne présentait pas "d'effet psychotrope ni d'effet nocif sur la santé humaine" car les produits composés de CBD contiennent moins de 0,2% de THC.
Cette décision de la justice européenne a modifié la position de la France en la matière. Deux ans plus tôt, elle avait fait le choix de la fermeté, symbolisé par la condamnation en 2018 de deux entrepreneurs marseillais pour avoir commercialisé la première cigarette française au CBD.
A partir de novembre 2020, la vente de produits à base de cette molécule a donc été autorisée en France. Mais dès mai 2021, l'exécutif a annoncé qu'il allait interdire la vente de fleurs et de feuilles séchées pour des motifs "d'ordre public" et "de santé publique".
"La mise sur le marché de sommités florales ou de feuilles brutes à fumer ou en tisane est interdite, tout comme les produits incorporant du chanvre brut."
Matignonà l'AFP
L'arrêté interdisant la vente de fleurs est finalement paru au Journal officiel le 31 décembre. Il interdit expressément "la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation".
Un marché en plein essor
Dans cet arrêté, l'exécutif reprend l'argument de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Celle-ci affirme que "des études scientifiques ont montré que le CBD agissait au niveau du cerveau sur les récepteurs à la dopamine et à la sérotonine en faisant ainsi un produit psychoactif à part entière", avec de possibles effets "de sédation et somnolence".
Depuis dix jours, touchés de plein fouet par cet arrêté, les commerçants ne cachent pas leur amertume. Ils doivent s'en tenir à la vente de produits transformés, comme les huiles ou le chocolat, qui rapporte bien moins que les fleurs : "Le chanvre brut équivaut à un marché de plus d'un milliard d'euros, contre moitié moins pour les produits transformés", précise Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre, interrogé par Le Parisien.
Privé de son produit phare, ce marché en plein essor va-t-il s'écrouler ? Portés par les fleurs de CBD, les points de vente avaient essaimé en France au cours de l'année 2021 : il existe aujourd'hui 2 000 boutiques de CBD installées sur l'ensemble du territoire, selon le Syndicat professionnel du chanvre, contre à peine 400 au début de l'année dernière.
De nombreux recours déposés
Alors, pour tenter de conserver leur manne, les défenseurs du chanvre ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de revenir sur cet arrêté ministériel contesté. Dans leur décision rendue vendredi 7 janvier, le Conseil constitutionnel a estimé que les produits à base de CBD, y compris la fleur, n'entraient pas dans le champ de cette définition. La notion de stupéfiant désigne, selon eux, des substances psychotropes qui se caractérisent par un "risque de dépendance" et des "effets nocifs pour la santé".
Ces deux critères "essentiels (...) remplissent un vide laissé par la loi", a réagi à l'AFP Yann Bisiou, fondateur de l'association L630, qui défend une réforme des politiques publiques des drogues en France. Les Sages ont ajouté qu'il "appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge", de classer certaines substances dans la catégorie des stupéfiants "en fonction de l'évolution de l'état des connaissances scientifiques et médicales".
"On va faire valoir que ces critères ne sont pas remplis concernant le CBD."
Yann Bisiou, président de l'association L630à l'AFP
Le Conseil constitutionnel n'en a pas terminé avec la question du CBD : "Il reste deux QPC à venir sur le statut du cannabis et du CBD", a précisé Yann Bisiou à Libération, vendredi 7 janvier. "Nous allons pouvoir argumenter sur la question de la dépendance et de la nocivité, montrer leur absence, et pointer les incohérences de la réglementation française qui promeut l'alcool et tolère le tabac. Cela va leur poser des problèmes."
Les défenseurs du CBD espèrent surtout remporter une bataille cruciale dans les jours à venir : le Conseil d'Etat doit se prononcer vendredi 14 janvier sur un référé-liberté déposé par l'avocat au barreau de Marseille Xavier Pizzaro. Le juriste provençal tente d'obtenir la suspension de l'arrêté contesté du 31 décembre et ainsi relancer un secteur stoppé en pleine croissance.
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