"Les agressions sont quotidiennes, de l'enfant de 10 ans à la vieille dame démente", témoignent des soignants après la mort d'une infirmière au CHU de Reims
Une profession sous le choc. La mort d'une infirmière de 38 ans et l'hospitalisation d'une secrétaire médicale après une agression au couteau au CHU de Reims (Marne), résonnent de manière particulière auprès de l'ensemble de la profession, mardi 23 mai, dans un contexte où les agressions sont devenues quotidiennes. Pas moins de "35 infirmières sont agressées chaque jour à l'hôpital, que ce soit aux urgences, en psychiatrie ou en Ehpad", a alerté mardi sur franceinfo Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers.
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"A l'hôpital, tout le monde se connaît. Même loin de Reims, cette agression est un nouveau coup dur pour les soignants", regrette Christian Brice, délégué régional de Bretagne de l'association des médecins urgentistes de France (Amuf). En exercice depuis 2002, le spécialiste constate une nette augmentation des incidents entre soignants et soignés ces dernières années. "Il y a énormément de violences verbales à cause du manque d'accès aux soins. Les agressions sont quotidiennes, cela va de l'enfant de 10 ans à la vieille dame démente", explique-t-il.
"Il faut absolument que nos dirigeants prennent la mesure du manque de financement des hôpitaux. Les patients arrivent de plus en plus frustrés aux urgences à cause du manque d'accès aux soins et ils sont de plus en plus agressifs."
Christian Brice, délégué régional de l'Amuf,à franceinfo
Christian Brice a lui-même été victime de deux altercations. La première, en 2010, où durant son service aux urgences de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), un patient alcoolisé lui a asséné un coup sur le crâne. "On ne pouvait pas le laisser sortir, se souvient-il, alors il m'a mis un coup de boule et je suis tombé, inconscient." Résultat : un traumatisme crânien et un arrêt maladie. Puis, en 2014, un adolescent de 17 ans s'en est pris à lui, lui fracturant plusieurs côtes. "Ça laisse des traces, car ce n'est pas pour ça qu'on a fait ce métier, déplore Christian Brice. Outre la douleur physique, moralement, on redoute que cela se reproduise. On a une boule au ventre et on revit la scène dès qu'un patient hausse un peu le ton."
"Je viens pour soigner, pas pour taper"
Depuis 2019, des vigiles ont été embauchés par l'hôpital et une double porte vitrée a été installée, ainsi qu'un box d'isolement, où un agent de sécurité est présent en continu pour gérer les patients les plus difficiles. "Cela fonctionne très bien, car cela a un effet dissuasif, salue l'urgentiste. C'est leur métier, ils savent faire. Il faudrait des équipes 24 heures sur 24 dans tous les hôpitaux."
Toutefois, ces dispositifs n'empêchent pas toujours les incidents. Comme Christian Brice, de plus en plus de médecins sont victimes de violences. En 2022, 1 244 incidents ont été déclarés par des médecins, selon le rapport de l'Observatoire de la sécurité des médecins publié mardi par le Conseil national de l'ordre des médecins. Un nombre jamais atteint ces vingt dernières années.
Nicolas est aide-soignant à Paris. Il se souvient de cette nuit de 2021, quand un patient, sous l'emprise de stupéfiants, l'a mordu à la main, malgré la présence d'agents de sécurité. "J'ai été suivi pendant plusieurs jours après cette agression, car il a fallu vérifier que le patient n'avait pas d'hépatite." Outre l'angoisse d'être contaminé, Nicolas a particulièrement mal vécu la violence de l'agression. "J'ai dû me défendre et lui mettre des coups pour qu'il lâche ma main, se souvient-il. C'est cet aspect-là qui m'a perturbé, car je viens pour soigner, pas pour taper."
Des agressions verbales quotidiennes
Depuis, outre la présence d'agents de sécurité, d'autres mesures ont été prises. De gros boutons rouges ont été disposés partout dans le service pour qu'en cas d'urgence, n'importe qui puisse donner l'alerte. En outre, le bureau de la psychiatre du service a été réaménagé. Désormais, une vitre a été installée pour que "les personnes extérieures puissent surveiller, détaille le professionnel de santé parisien. Sa chaise a été placée près de la porte pour qu'elle puisse sortir en cas d'incident et que le patient ne puisse pas l'enfermer avec elle."
Outre les violences physiques, les agressions verbales pèsent aussi lourdement sur le quotidien du personnel hospitalier. Pierre a été aide-soignant pendant des années aux urgences d'un hôpital marseillais. Une nuit, il a été agressé au couteau par un patient, arrivé directement en véhicule de secours, avec les pompiers. Les agents de sécurité, présents à l'entrée piétonne des urgences, "n'ont donc pas pu vérifier ses poches et les pompiers avaient seulement contrôlé son sac, se remémore Pierre. Mais je ne l'ai pas mal pris, car je savais que le patient n'avait rien contre moi. C'était une personne malade, elle ne savait pas ce qu'elle faisait. En revanche, ce qui était beaucoup plus difficile à gérer pour moi, c'étaient les agressions verbales quotidiennes, par les patients qui n'en pouvaient plus d'attendre."
C'est le constat que dresse également Catherine Deplaix, présidente de l'association des secrétaires médico-sociales et référentes (ASMR). "En 36 ans de carrière à l'hôpital, les agressions verbales étaient quotidiennes", rapporte-t-elle, en ajoutant qu'elle a constaté une augmentation des cas ces quinze dernières années. Outre son expérience personnelle, les secrétaires médicales de son association rapportent tous les jours de nouveaux témoignages de patients agressifs verbalement. "On sent une crainte à cause de ces agressions verbales quotidiennes."
Un contexte qui joue sur l'attractivité du métier
Malgré ces difficultés, les soignants ne veulent pas que l'affaire du CHU de Reims ferme définitivement les portes des urgences. "L'hôpital, traditionnellement, est un lieu ouvert, de soin et de repos. Il faut donc avoir une réponse adaptée", plaide Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers.
La profession traverse toutefois une grave crise des vocations : en 2021, 10% des étudiants infirmiers ont abandonné leurs études en première année de formation, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), publiée jeudi 11 mai. "La question de la sécurité à l'hôpital est un sujet global, qui joue sur l'attractivité du métier, note Patrick Chamboredon. Car si les jeunes se disent désormais qu'ils risquent de ne pas rentrer chez eux le soir, je ne suis pas sûr que cela les attire vers ce type de carrière."
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