Suppression de postes en internat : on vous explique le "trou d'air" qui risque de perturber lourdement les hôpitaux dès novembre

Les internes représentent "40% des ressources médicales" dans les hôpitaux universitaires, rappelle Marc Noizet, président du syndicat Samu Urgences de France. Leur diminution risque donc d'alourdir davantage la charge de travail et les gardes.
Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
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Le service des urgences de l'hôpital de Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 17 juillet 2024. (ARNAUD LE VU / HANS LUCAS / AFP)

Ils ne baissent pas les bras. Plusieurs représentants hospitaliers et près de 50 000 signataires (jeudi en fin de journée) d'une pétition en ligne alertent sur le faible nombre d'internes qui intégreront les hôpitaux français cet automne. Pourquoi le nombre de postes diminue-t-il en 2024 par rapport à l'an passé ? Quelles seront les conséquences pour le système de santé ? Et que répond le gouvernement ? Franceinfo fait le point, alors que le choix des spécialités des internes débute vendredi 23 août.

Pourquoi le nombre d'internes est-il en baisse ?

Les internes sont des étudiants de troisième cycle de médecine (à partir de la septième année, jusqu'à la douzième). Ils exercent à plein temps à l'hôpital ou en ambulatoire, sous la responsabilité d'un médecin senior. Pour accéder à l'internat, les étudiants passent un concours en sixième année. Le classement y joue un rôle déterminant car il leur permet de choisir, en fonction du rang obtenu, la future spécialité et la ville dans laquelle ils effectueront leur internat. Le nombre de postes ouverts dépend du nombre d'étudiants qui concourent et des besoins de santé des territoires.

Or, cette année, le nombre de candidats a baissé, en raison de l'entrée en vigueur d'une réforme du concours de l'internat initiée en 2018 et entrée en application en 2023-2024. Elle vise à mieux évaluer les compétences pratiques et le parcours des étudiants. Parmi les nouveautés, elle introduit pour la première fois une note éliminatoire à l'écrit, en début de sixième année, et une épreuve orale à la fin de l'année. Une partie des étudiants de cinquième année a donc stratégiquement décidé de redoubler (7%, contre 3% habituellement, selon la Conférence des doyens de médecine), pour ne pas essuyer les plâtres du nouveau concours. Au final, environ 2% des candidats ont échoué aux épreuves, un chiffre similaire aux autres années, selon ce qu'a assuré mardi le ministre délégué à la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, à Ouest-France.

En raison des redoublements accrus, un nombre inférieur d'étudiants a passé le concours. Cette année, seuls 7 974 postes ont donc été ouverts pour la nouvelle promotion d'internes qui commencera à exercer en novembre, selon un arrêté publié au Journal officiel le 9 juillet. En comparaison, 9 484 postes étaient disponibles en 2023, soit 1 510 de plus. Le gouvernement "n'a pas fait le choix de diminuer" le nombre de postes, a souligné dans Ouest-France Frédéric Valletoux. Ce nombre a baissé proportionnellement au nombre d'étudiants inscrits au concours, qui était cette année moins important, confirme à franceinfo le ministère de la Santé.

Le ministère pointe par ailleurs le fait que seuls 833 internes manqueront effectivement à l'appel, et non 1 510. Les 662 redoublants de l'an dernier ayant réussi l'examen cette année bénéficieront d'une affectation par une procédure distincte, car ils étaient restés affiliés aux anciennes règles du concours. Ils viennent donc s'ajouter aux lauréats de cette année, explique l'exécutif.

Que disent les étudiants en médecine ?

Une pétition en ligne lancée jeudi 8 août par Hélène Hérubel, étudiante parisienne, et signée par près de 50 000 personnes, dénonce une "profonde injustice" pour la promotion 2024. Les étudiants, qui rêvent d'une spécialité depuis des années (chirurgie, cardiologie, ORL...), estiment que les résultats du concours "nouvelle formule" sont faussés, puisqu'une partie de leur promotion s'est abstenue de le passer en préférant redoubler.

"Vous pensez qu'ils ont redoublé parce qu'ils pensaient qu'ils allaient finir premier ou plutôt dernier ? Les places que personne ne veut prendre auraient été pour eux", estime ainsi Clara, une étudiante en médecine, sur le réseau social X. Arrivée 3 800e au concours, elle ne peut prétendre à aucun de ses choix initiaux, contrairement à ce qu'elle aurait pu faire l'an passé, si elle avait obtenu le même rang.

Le nombre de postes a été réduit "sans prendre en compte" les souhaits d'orientation des nouveaux internes, diminuant par exemple "de moitié" les postes en chirurgie plastique, alors que d'autres spécialités sont moins touchées, déplorent aussi les signataires de la pétition. "Trop d'étudiants devront choisir une spécialité par dépit dans laquelle ils seront moins investis et la qualité de leurs soins en pâtira. Après six ou sept ans d'études acharnées, on ne nous permet pas de choisir notre métier", rapportent aussi ces derniers.

"Les étudiants – souvent les meilleurs – qui ont joué le jeu et passé le concours se retrouvent de facto pénalisés", appuie dans Le Figaro Baptiste Sabatier, vice-doyen étudiant de l'UFR de Médecine Paris CitéEstimant être victimes des nouvelles modalités du concours, les étudiants demandent donc au gouvernement de rouvrir des postes dans les spécialités très prisées.

Quelles conséquences pour le système de santé ?

Les internes représentent "40% des ressources médicales" dans les hôpitaux universitaires, rappelle à franceinfo Marc Noizet, président du syndicat Samu Urgences de France. Leur diminution risque donc d'alourdir encore la charge de travail et les gardes des autres praticiens, alors que le manque d'effectifs se fait déjà sentir. Les urgences d'"une cinquantaine d'hôpitaux (...) sont actuellement en tension" par manque de personnel, selon le ministre Frédéric Valletoux.

Les professionnels "se demandent comment ils vont faire tourner leurs services" alors que "les internes travaillent 59 heures par semaine en moyenne", explique aussi à l'AFP Guillaume Bailly, président de l'Intersyndicale nationale des internes. "Ça impliquera forcément une nouvelle charge de travail pour les internes" qui seront dans les services, craint aussi auprès de franceinfo Yassine Bahr, vice-président de la même organisation. D'après lui, cela va également allonger le temps d'attente des patients de manière "inévitable".

Le gouvernement souligne néanmoins que le "trou d'air" lié au nombre moins important d'internes ces prochains mois sera compensé dès l'an prochain. En 2025, l’effet du desserrage du "numerus clausus" (le nombre d'étudiants autorisés à passer en deuxième année), et le rebond du nombre de candidats lié aux redoublants de l'an dernier "devraient conduire à une promotion de 11 000 internes, rebond compensant largement l'effectif de l'année 2024", selon le ministère de la Santé.

Que répond le gouvernement ?

En dépit de la grogne du secteur et du succès de la pétition lancée par les internes, le gouvernement ne compte pas changer d'avis. "Il n'y a pas de perte de chance pour l'actuelle promotion car la baisse [du nombre de postes] est proportionnelle à leur nombre, souligne le cabinet du Premier ministre. Ainsi, un rang de classement de l'année dernière ne peut pas servir d'argument pour comparer les spécialités obtenues." Par ailleurs, et comme chaque année, "le nombre de postes proposé est supérieur de 2% au nombre d'admis pour laisser du choix même aux derniers".

Quant aux choix des postes supprimés, "la répartition a été faite (...) pour servir au mieux les intérêts de la population" en fonction "des tensions d'effectifs constatés dans les spécialités". "Les étudiants en médecine savent dès le début de leurs études que l'accès aux spécialités et aux territoires de formation est déterminé par les besoins de la population et non par les préférences seules des étudiants", estime aussi Matignon. "Certaines spécialités prioritaires ont été préservées : le nombre de postes en pédiatrie a diminué de seulement 6,9% et le nombre de postes en psychiatrie de seulement 11,9%", relève le ministère de la Santé. "Ceci est compensé par la mise à contribution [la suppression de postes] de certaines spécialités, notamment la chirurgie esthétique", justifie le cabinet de Gabriel Attal.

Pour pallier le manque créé par la baisse du nombre d'internes, le gouvernement envisage de recourir temporairement à des médecins étrangers, communément appelés des "faisant fonction d'interne" (FFI). Ces praticiens, moins coûteux, sont parfois moins bien formés, estiment les internes.

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