"Le monde de la médecine est une caste qui refuse toute critique"
Touchers vaginaux sur des patientes endormies, fresques pornographiques dans les salles de garde… La médecine française a récemment fait l'objet de plusieurs polémiques. Le point de vue de Martin Winckler, médecin et écrivain.
Une fresque murale misogyne et pornographique, des touchers vaginaux ou rectaux sur des patients endormis… La médecine française enchaîne les polémiques. Au centre du débat, la question du respect du patient mais aussi de l'égalité hommes-femmes au sein des hôpitaux français, où les traditions machistes subsistent trop souvent.
Pourquoi certaines pratiques font-elles polémique ? La médecine française est-elle réellement sexiste ? Francetv info a interrogé le médecin et écrivain Martin Winckler, installé depuis 2009 à Montréal (Canada).
Francetv info : Vous avez signé, aux côtés d'autres médecins, de journalistes et d'associations féministes, une tribune pour dénoncer l'enseignement aux jeunes médecins du toucher vaginal ou rectal sur des patients anesthésiés. Pourquoi une telle polémique autour de cette pratique ?
Martin Winckler : C'est une pratique inacceptable qui ne doit plus exister. Au Canada, il était déjà jugé inadmissible, il y a quinze ans, qu'un étudiant pratique un toucher vaginal sur une patiente endormie au bloc opératoire sans son accord préalable. Dans le code de déontologie français, il est écrit que tout geste médical doit être réalisé après avoir demandé l'autorisation du patient. Il existe d'autres moyens que le toucher vaginal. L'apprentissage de ce geste peut se faire par le biais de mannequins ou avec l'expérience personnelle d'un professeur qui explique la manière de le faire. L'examen gynécologique lui-même reste anecdotique et souvent assez peu fiable. Il n'est utile que pour identifier une douleur chez la patiente, en l'absence d'autres examens possibles, par exemple l'échographie.
Ce qui est important, c'est le rapport à l'autre. Le médecin est là pour servir le patient et non lui accorder une faveur, comme le pensent trop souvent les médecins français. En France, lorsqu'une femme de 35 ans vient consulter et qu'elle n'a pas d'enfant, elle s'entend dire qu'il est temps d'en faire. Au Québec, ce genre de commentaires est inimaginable. De la même façon, dans les pays anglo-saxons, il est fortement recommandé, lors d'un examen gynécologique, de demander à la patiente si elle souhaite qu'une tierce personne (mère, sœur, infirmière, mari) soit présente, de sorte qu'il n'y ait aucun problème d'interprétation. C'est une procédure de respect envers le patient.
Cette polémique intervient quelques semaines après le scandale de la fresque pornographique du CHU de Clermont-Ferrand. Faut-il y voir l'expression d'un rapport au corps particulier chez les médecins ?
Non, cette fresque n'est pas l'expression d'une désacralisation du corps. C'est avant tout la manifestation d'un sexisme ancien et très ancré dans la tradition médicale. Ces fresques pornographiques, qui sont une particularité française, tiennent leur origine d'une époque où les femmes n'avaient pas leur place en médecine.
Les fêtes et les bizutages lors des études de médecine sont aussi éminemment sexistes. Les bizutages sont des processus d'humiliation où l'on rabaisse les individus. Les remarques homophobes sont extrêmement fréquentes. Toutes ces "traditions" sont une glorification de la "masculinité" la plus machiste.
Certains défendent la tradition des fresques pornographiques dans les salles de garde, arguant de la nécessité d'un exutoire.
Ce n'est pas un exutoire, ni une manière de compenser le rapport avec la maladie ou la mort. Ce sont de fausses excuses, puisque l'on ne trouve ces traditions qu'en France. Par ces pratiques, les internes se posent en propriétaires des lieux, alors que c'est l'hôpital qui les accueille. On ne tolérerait jamais ce comportement de la part d'étudiants d'autres cursus.
Ces pratiques sont la manifestation d'un sentiment d'appartenance à une caste, propre aux médecins français, qui pendant très longtemps venaient des milieux les plus favorisés de la société française. La société française elle-même est très féodale et très hiérarchisée et les étudiants, comme les médecins, continuent de penser qu'ils font partie des classes supérieures et reproduisent ainsi les codes de l'aristocratie. C'est parce que les médecins français, formés dans cette société, sont élitistes que leur comportement par rapport au sexe ou au corps peut être paternaliste, brutal ou méprisant.
La médecine est une profession où la mixité est importante, et plus de 60% des étudiants en médecine sont des femmes. Pourquoi ce domaine reste-t-il autant marqué par le sexisme ?
La profession se féminise, mais les changements prennent du temps. Plus vous montez dans la hiérarchie et moins il y a de femmes. Seul un dixième des doyens des facultés de médecine sont des femmes, car elles sont encore confrontées à de nombreux obstacles. On leur explique notamment, lorsqu'elles veulent être chef de clinique, qu'il ne faut pas avoir d'enfants. Pendant les études, si une interne tombe enceinte et ne peut assurer ses trois derniers mois de stage, c'est tout son stage, donc tout son semestre qu'elle perd.
Toute la société française est concernée par ces problèmes, surtout lorsqu'il s'agit de professions d'autorité. Mais ce n'est pas parce que c'est la norme qu'il ne faut pas la changer.
Les femmes victimes de sexisme ou de harcèlement dans le monde médical ont-elles les moyens de se défendre ?
Pour les étudiantes, il est extrêmement difficile de dénoncer le sexisme ou même de déposer plainte pour harcèlement sexuel ou moral. La profession est très soudée. Toute caste qui se considère comme une élite a tendance à refuser la critique venant de l'extérieur et l'autocritique venant de l'intérieur, car elle menace sa cohésion. De plus, la culture française de l'enseignement ne laisse pas la place à la critique venant des étudiants.
Celles qui osent s'élever contre une parole ou un geste sont tout de suite catégorisées. On va vouloir les faire taire ou leur mener la vie impossible pour les obliger à partir.
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