"C'est difficile de leur dire qu'ils sont en danger car ils ne le croient pas" : comment les autorités tentent de sensibiliser les moins de 40 ans au Covid-19
Proportionnellement plus touchés par le Covid-19 durant l'été, les moins de 40 ans ont intégré le fait qu'ils n'avaient que de rares chances de développer une forme grave de la maladie. D'où certains relâchements, et un défi à relever pour les pouvoirs publics en termes de communication.
Une Fête de la musique avec des regroupements massifs, des soirées illégales organisées chaque week-end aux abords des agglomérations, ou encore une rave-party réunissant jusqu'à 10 000 personnes dans un champ en Lozère... Depuis la levée du confinement, de nombreux rassemblements de jeunes adultes se sont invités dans l'actualité en raison d'un manque flagrant de respect des gestes barrières face à l'épidémie de coronavirus.
Or dans son point épidémiologique publié le 13 août, Santé publique France relevait que lors de la semaine du 3 au 9 août, le taux d'incidence (c'est-à-dire le nombre de cas pour 100 000 personnes) chez les 15-44 ans était trois fois supérieur à celui des 75 ans et plus (28,9 cas, contre 9,6 cas). Cette hausse est particulièrement marquée chez les 25-29 ans (+55% par rapport à la semaine précédente) et les 30-34 ans (+52%), et est significative par rapport à la moyenne générale (+42%). De quoi inquiéter les pouvoirs publics qui, s'ils sont habitués à une communication austère, cherchent des moyens plus adaptés de sensibiliser les moins de 40 ans aux risques liés au Covid-19.
Un respect des consignes à géométrie variable
En matière de précautions pour enrayer la circulation du coronavirus, Kim ne cache d'ailleurs pas qu'elle jongle avec les règles de bonne conduite. Côté pile, cette Parisienne de 32 ans se sent "assez radicale sur le port du masque ou le lavage des mains" et fait "hyper attention, à la limite d'être dictatrice" lorsqu'il s'agit de respecter les gestes barrières en présence de proches à la santé fragile. Côté face, la jeune femme admet qu'elle relâche parfois sa vigilance, en citant des vacances entre amis dans une maison proche de Biarritz ou la bise faite à des amis proches lors d'une fête en extérieur.
Même son de cloche du côté de Laurence. Pour ne pas faire courir de risques à son père diabétique, cette future étudiante en école d'aides-soignantes n'hésite pas à mettre ses vêtements dans le lave-linge après chaque escapade hors du domicile familial. Mais lorsqu'elle retrouve ses amis, cette Francilienne de 19 ans reconnaît que "ce n'est pas du tout pareil". "On danse ensemble, proches les uns des autres… On se rassure en se disant qu'on forme un groupe restreint et qu'on connaît tous nos fréquentations, mais c'est vrai qu'on préfère rester dans le déni du virus", souffle-t-elle.
Les attitudes de Kim et Laurence illustrent l'ambivalence de la situation pour les jeunes adultes. Les moins de 40 ans ont en effet bien intégré qu'ils pouvaient servir de relais au Covid-19, mais qu'à de rares exceptions près, ils ne risquaient pas d'être gravement touchés par la maladie. Ce qui entraîne des situations à risques. "On entend souvent cette tranche d'âge expliquer qu'elle respecte les consignes au travail ou dans les transports, mais qu'elle s'autorise des moments de fête où elle oublie le Covid", relève pour franceinfo David Le Breton, professeur de sociologie et anthropologie à l'université de Strasbourg et notamment auteur de Conduites à risque, Des jeux de mort au jeu de vivre (Que sais-je ?, 2012). Un constat partagé par Marie-Claire Villeval, spécialiste en économie expérimentale, qui étudie depuis le confinement les conséquences de la distanciation sociale sur nos comportements.
Il existe un phénomène d'erreur cognitive assez partagé, qui consiste à penser que quand on voit ses proches, on est moins en danger que lorsqu'on est entouré d'inconnus, que ce ne sont pas les amis ou la famille qui vont nous transmettre la maladie, alors que le virus ne se pose pas cette question.
Marie-Claire Villeval, chercheuse au CNRSà franceinfo
A l'heure où la crainte d'une large seconde vague de contaminations est plus présente que jamais, la sensibilisation des jeunes aux risques liés au coronavirus est pourtant un enjeu majeur pour les pouvoirs publics. "C'est un peu l'image d'une bombe à retardement pour nous", confirme à franceinfo Sébastien Debeaumont, directeur général adjoint de l'Agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d'Azur. "Notre système sanitaire n'est heureusement pas sous tension actuellement, mais les risques de contaminations croisées sont importants, et cette population peut faire courir des risques à ses parents ou grands-parents qui, eux, peuvent être en situation de fragilité", ajoute ce responsable, notamment chargé de veiller sur la situation dans le département des Bouches-du-Rhône, classé le 14 août en "zone de circulation active" du virus.
"Challenges" sur les réseaux sociaux et collaborations avec des influenceurs
Du côté des autorités sanitaires, on reconnaît que réussir à sensibiliser les moins de 40 ans aux dangers du coronavirus n'a rien d'une évidence. "C'est un peu nouveau pour nous, mais c'est un bon défi. Le but est de réussir à trouver des vecteurs pour gommer l'aspect institutionnel de notre message de prévention", continue Sébastien Debeaumont. L'ARS Paca s'est ainsi adjoint les services d'une agence spécialisée dans la communication sur les réseaux sociaux et compte prochainement s'associer à des artistes locaux.
D'autres ARS ont déjà franchi le pas. Après avoir analysé des données montrant que les nouveaux cas positifs concernaient majoritairement les personnes de 20 à 30 ans, l'ARS de la région Occitanie a mis en place une communication sur les réseaux sociaux baptisée #CovidChallenge. Les joueurs du Stade toulousain ou du Montpellier Rugby y incitaient les internautes à se faire dépister. L'ARS de Bretagne a de son côté sollicité des joueurs du Stade rennais pour une opération similaire, tandis que celle des Pays de la Loire a préféré solliciter "Mllex Chloé", jeune influenceuse nantaise aux 623 000 abonnés sur Instagram.
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D'autres initiatives similaires ont émergé à l'échelle nationale. Le ministère des Solidarités et de la Santé a publié plusieurs spots invitant les adolescents et jeunes adultes à respecter les gestes barrières, tandis que l'organisation Santé publique France a conclu un partenariat avec les médias Konbini, Brut et Loopsider pour réaliser différentes vidéos adaptées à Facebook. "Le ton du message est particulièrement important pour cette cible, pour ne pas créer de rejet de l'information. Tout l'intérêt de travailler avec ces médias, très bien identifiés dans cette population, est d'utiliser des codes et un langage au plus près de leurs habitudes, pour augmenter l'acceptation des messages sanitaires", explique l'agence, contactée par franceinfo. La direction générale de la santé annonce également qu'une "autre campagne est en cours d'élaboration pour rappeler aux jeunes l'importance de respecter les gestes barrières, notamment lors des rassemblements amicaux".
Responsabiliser sans stigmatiser
Au nom de la cohérence du message envoyé à la population, le gouvernement se refuse pour l'instant à adopter un discours spécifique à destination des moins de 40 ans. "Notre message ne change pas en fonction de la cible : sur le fond, nous rappelons systématiquement l'importance du port du masque, du respect des distances de sécurité, des gestes barrières, des dépistages, du placement en quatorzaine en cas de test positif", explique à franceinfo l'entourage du ministre de la Santé, Olivier Véran.
On ne pourrait pas se permettre d'avoir un message uniquement destiné aux jeunes. Un homme de 60 ans qui reprend le travail en septembre doit être tout autant concerné par notre message qu'un moins de 40 ans.
L'entourage d'Olivier Véranà franceinfo
Devant ses jeunes patients, Agnès Bryn n'hésite pas à se faire menaçante pour que le message soit bien reçu. "On peut difficilement leur dire qu'ils sont en danger, car ils ne le croient pas, soupire cette médecin généraliste, qui exerce à Paris et intervient régulièrement au centre de dépistage mis en place dans le 5e arrondissement. Mais j'ai remarqué qu'ils étaient particulièrement inquiets à l'idée d'un nouveau confinement. Du coup, je leur montre les chiffres des contaminations à la hausse tout en brandissant cette menace, et ils sont en général assez réceptifs".
S'il salue le fait de s'adresser aux jeunes adultes sur les réseaux sociaux qu'ils affectionnent, David Le Breton estime qu'il serait malvenu de faire des moins de 40 ans les seuls responsables d'une éventuelle seconde vague de contamination. "Il n'est pas utile d'en rajouter dans la culpabilisation. A l'image de ce qui se fait déjà en matière de toxicomanie – et sans vouloir mettre le Covid sur le même plan –, la meilleure attitude consiste sans doute à encadrer les lieux où les jeunes ne respectent pas les gestes barrières pour proposer des dépistages, des masques ou du gel hydroalcoolique", estime le professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université de Strasbourg. Une analyse visiblement partagée par les pouvoirs publics : le 12 août, la préfecture de Lozère a mis en place un dispositif de ce type aux abords d'une rave-party non autorisée qui avait rassemblé jusqu'à 10 000 personnes.
Selon la chercheuse Marie-Claire Villeval, le véritable défi pour faire adopter strictement les précautions contre le Covid-19 aux jeunes adultes est de "transformer les normes sociales, ce que l'introduction du confinement avait immédiatement réussi à faire." "Lors de cette période, il était largement admis que se rencontrer entre amis n'était pas approprié, au-delà de la crainte d'une sanction. Si on sent qu'on peut se faire remettre en place par autrui si on ne prend pas de précautions, on change de comportement", analyse cette économiste. Un changement de paradigme que les autorités aimeraient impulser sans avoir à invoquer une remontée spectaculaire des hospitalisations.
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