Canada : comment le "convoi de la liberté" contre les restrictions sanitaires met la pagaille dans les rues d'Ottawa
Des routiers sont rassemblés dans le centre de la capitale canadienne pour protester contre les restrictions anti-Covid-19. Le maire, qui juge la situation "complètement hors de contrôle", a fini par déclarer l'état d'urgence.
Il juge la situation "complètement hors de contrôle". Le maire d'Ottawa a fini par déclarer l'état d'urgence, dimanche 6 février. Voilà maintenant plus d'une semaine que le centre-ville de la capitale canadienne est paralysé par des opposants aux mesures sanitaires prises pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Le quartier du Parlement est occupé par des centaines de routiers venus de tout le pays. Le "convoi de la liberté", comme se fait appeler le mouvement, a depuis été rejoint par d'autres manifestants. La police admet son impuissance à maîtriser le mouvement qui s'est depuis étendu à d'autres grandes villes du pays. Franceinfo vous résume la situation.
Le centre-ville d'Ottawa bloqué
Au départ, le "convoi de la liberté" a été lancé "pour protester contre la réglementation américano-canadienne exigeant des camionneurs transfrontaliers qu'ils soient entièrement vaccinés pour pouvoir entrer aux Etats-Unis et au Canada", rappelle le Washington Post (en anglais). Le cortège est arrivé dans les rues d'Ottawa samedi 29 janvier. Le convoi le plus important est parti dès le 22 janvier de Colombie-Britannique, 4 300 kilomètres d'ouest en est avalés en une semaine. De jour en jour, cette contestation a fini par se transformer en "un mouvement d'opposition à toutes les mesures sanitaires et à [Justin] Trudeau", le Premier ministre canadien, réélu au mois de septembre.
Durant le week-end, la protestation à Ottawa s'est traduite par "d'imposants barrages routiers, des tirs de feux d'artifice, des véhicules circulant sur les trottoirs et les klaxons incessants des camionneurs", décrit le Washington Post. La chaîne canadienne CTV News a compté "environ 500 camions et autres véhicules" toujours stationnés dans le centre de la capitale, dimanche matin. Les manifestants sont déterminés : ils souhaitent poursuivre leur occupation tant que les restrictions sanitaires ne seront pas levées.
Des habitants exaspérés
La cohabitation entre les habitants et les manifestants n'est pas simple. Excédés par le chaos provoqué par le mouvement, par le bruit incessant des klaxons, et par les insultes dont ils sont la cible, des riverains réclament la démission du maire et du responsable des forces policières.
Un avocat d'Ottawa a déposé un recours collectif en justice "au nom de milliers de résidents" rapporte La Presse. Il réclame des millions de dollars en dommages et intérêts et une injonction "interdisant la continuité de la nuisance".
Au cours du week-end, les organisateurs ont annoncé dans un "geste de bonne volonté" leur intention de faire cesser les concerts de klaxon pendant quelques heures, dimanche. Le temps de respecter le "jour du Seigneur".
Le maire de la capitale excédé
Le maire d'Ottawa aussi se sent démuni. Face à une situation "hors de contrôle", Jim Watson a déclaré l'état d'urgence, dimanche. Cette déclaration "reflète le grave danger ainsi que la menace à la sûreté et la sécurité des résidents posés par les manifestations continues et souligne le besoin de soutien de la part d'autres administrations et ordres de gouvernement", déclare la mairie dans un communiqué (en anglais). "Nous sommes en train de perdre la bataille (...) nous devons reprendre notre ville", a martelé l'édile, jugeant "inacceptable" le comportement des protestataires qui obstruent les rues du centre-ville et actionnent sans relâche les klaxons de leurs poids lourds.
Une telle mesure "offre également une plus grande souplesse au sein de l'administration municipale pour permettre à la Ville d'Ottawa de gérer la continuité des activités en vue d'assurer des services essentiels" aux résidents, précise la mairie.
Des policiers dépassés
Lors d'une réunion d'urgence avec des élus municipaux, le chef de la police d'Ottawa, Peter Sloly, s'est plaint samedi de ne pas avoir de moyens suffisants pour mettre fin à cet "état de siège" et a réclamé des "ressources supplémentaires". Il a été entendu en partie : quelque 250 membres de la gendarmerie royale du Canada (un corps de police fédéral) sont attendus sous peu en renfort. En revanche, le déploiement de l'armée, réclamé par certains, n'est pas à l'ordre du jour.
Critiquée pour n'avoir pas su prévenir la paralysie du centre de la capitale, la police locale annonce son intention d'empêcher le ravitaillement des protestataires, en carburant notamment. "Toute personne qui tenterait d'apporter un soutien matériel (carburant, nourriture...) aux manifestants risque d'être arrêtée. Cette mesure est désormais en vigueur", a-t-elle averti dans un tweet.
IMPORTANT: Toute personne tentant d'apporter du matériel de soutien (essence, etc.) aux manifestants sera passible d'arrestation. Des mesures d'application sont en cours. #ottawa #ottnouvelle pic.twitter.com/EU8b2XUVXL
— Ottawa Police (@OttawaPolice) February 6, 2022
Des amendes ont aussi commencé à être dressées. Entre samedi et dimanche matin, les forces de l'ordre ont délivré 450 contraventions, notamment pour tapage nocturne. "L'état d'urgence et la multiplication des interventions policières représentent un changement significatif dans la réponse à la situation chaotique à Ottawa", observe CBS News (en anglais).
D'autres villes touchées
Les protestations, qui ont débuté à Ottawa, se sont étendues à d'autres grandes villes canadiennes. Toronto, Vancouver, Winnipeg, Québec… Dans la capitale de la province francophone, les manifestants ont annoncé qu'ils quitteraient la ville dimanche soir, en promettant toutefois de revenir dans deux semaines, une fois que le Carnaval sera terminé. Ils semblent avoir tenu promesse : la police de Québec a annoncé dans la soirée sur Twitter que la "totalité des camions immobilisés" avait quitté la ville.
#MANIFESTATION | La totalité des camions immobilisés ont quitté | D'ici peu, il n'y aura plus de déviation des voies sur René-Lévesque pic.twitter.com/Qh6DtczI8i
— Service de police de la Ville de Québec (@SPVQ_police) February 6, 2022
Justin Trudeau silencieux
Justin Trudeau, personnellement visé par les manifestants, se mure dans le silence, s'étonne Politico (lien en anglais). Le Premier ministre canadien, qui a qualifié fin janvier les manifestants de "minorité marginale", n'a plus de fait le moindre commentaire public depuis jeudi sur le "mouvement qui, selon les autorités, compte des extrémistes et des membres de l'extrême droite, reçoit des financements substantiels de donateurs américains, a été applaudi par l'ancien président Donald Trump et suscite des comparaisons" avec l'attaque du Capitole, à Washington, le 6 janvier 2021, rappelle Politico.
Le chef du gouvernement a bien posté des messages sur les réseaux sociaux au cours du week-end. Mais c'était pour souhaiter un "bon anniversaire" à sa fille et pour féliciter Isabelle Weidemann qui a remporté la première médaille de l'équipe canadienne aux Jeux olympiques d'hiver de Pékin. Pas le moindre mot sur la situation à Ottawa, où il vit. Ce qui fait dire à Robin V. Sears, éditorialiste au Toronto Star (lien en anglais) que "quelque chose s'est brisé cette semaine au Canada. La nation qui a toujours admiré un peu béatement ses valeurs de civilité et de respect semble avoir disparu, remplacée par quelque chose de beaucoup plus américain que canadien".
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