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Coronavirus 2019-nCoV : les restrictions de voyage et les mesures de quarantaine sont-elles efficaces pour enrayer l'épidémie ?

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une employée prend la température d'un passager lors du check-in avant un vol pour Wuhan, le 31 janvier 2020 à l'aéroport Haneda de Tokyo (Japon). (MASAMINE KAWAGUCHI / YOMIURI / AFP)

La Chine a mis en place de nombreuses mesures pour tenter de ralentir la diffusion du coronavirus 2019-nCoV. Mais ces dispositifs sont critiqués pour leur efficacité limitée et leurs conséquences sur l'économie et les populations.

Confrontée à l'épidémie de coronavirus 2019-nCoV, la Chine a pris des mesures sanitaires d'une ampleur sans doute inédite dans l'histoire de l'humanité. Port du masque, mégapoles entières placées en quarantaine, restrictions sur les déplacements, fermeture partielle ou totale des frontières… La diffusion du virus modifie profondément la vie de centaines de millions de personnes. Dans la seule province du Hubei, quelque 50 millions d'habitants sont aujourd'hui affectés par le "cordon sanitaire" mis en place. 

Une résidente porte un masque derrière une barrière installée le long d'une rue de Hangzhou (Chine) située près du siège du groupe Alibaba, le 5 février 2020.  (NOEL CELIS / AFP)

Et les autorités chinoises continuent de renforcer les mesures de confinement. A Hangzhou, Taizhou et dans certains quartiers de Ningbo (province côtière du Zhejiang, dans l'est du pays), une seule personne par foyer est dorénavant autorisée à sortir une fois tous les deux jours pour faire les courses. De son côté, le territoire autonome de Hong Kong a annoncé la fermeture de l'ensemble des points de passage terrestres avec le reste de la Chine, à l'exception de deux ponts. A l'étranger, de plus en plus de compagnies aériennes décident d'annuler totalement ou partiellement leurs vols chinois – la compagnie hongkongaise Cathay a même demandé à 27 000 employés de prendre un congé sans solde. A Wuhan, épicentre de l'épidémie, les transports sont interdits au départ et à destination de la ville depuis le 23 janvier. Pour quels effets ?

Restreindre les déplacements, un effet limité

Plusieurs chercheurs viennent justement de publier un article (en anglais) sur l'efficacité des restrictions liées aux déplacements à Wuhan. Ce texte, qui n'a pas encore fait l'objet d'une relecture par leurs pairs, présente une évaluation de cette mesure censée enrayer la propagation du coronavirus à l'échelle du pays. Et les résultats sont assez décevants, puisque le "cordon sanitaire" aurait seulement permis de retarder de trois jours en moyenne la diffusion du coronavirus.

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont noté l'heure du premier cas observé dans chacune des villes et les flux de transports par voie aérienne, ferroviaire et routière (grâce au réseau de services internet et mobiles Tencent). Il a fallu seulement 28 jours pour que le coronavirus se diffuse dans 262 villes du pays (132 jours pour le H1N1 en 2009), mais la diffusion spatiale du nCoV a ensuite ralenti après l'interdiction des transports décidée à Wuhan. Les chercheurs pensent que cette mesure a permis de retarder l'arrivée du coronavirus de 2,91 jours en moyenne dans 130 villes.

Cette figure réalisée par une équipe de chercheurs présente la diffusion du coronavirus en Chine continentale depuis la ville de Wuhan.  (MEDRXIV)

Les auteurs soulignent donc que cette décision a été efficace pour ralentir l'invasion, mais qu'elle n'est évidemment pas suffisante pour endiguer la diffusion du virus. Ils mettent l'accent sur une sensibilisation des populations et sur la détection précoce des nouveaux cas. La Chine s'appuie notamment sur un système de notification directe de certaines maladies épidémiques, mis en place lors de l'épidémie de Sras en 2003. Ces conclusions sont conformes aux travaux de Vittoria Colizza, chercheuse à l'Inserm spécialisée dans ces questions.

Une restriction des déplacements, même importante, ne permet pas d'agir sur la croissance exponentielle de l'épidémie en Chine, car elle agit simplement sur une petite fraction du nombre de cas.

Vittoria Colizza, chercheuse à l'Inserm

à franceinfo

Plusieurs paramètres ont une importance dans la diffusion, comme le taux de reproduction du virus – sa "contagiosité", notée R0. Le temps d'incubation corse également la situation, puisque les malades peuvent être contagieux pendant dix jours. Mais, en phase épidémique, la croissance du nombre de cas est si forte que le bénéfice des interdictions aériennes s'envole dans un délai très court. Après l'épisode contagieux de grippe H1N1 en 2009, Vittoria Colizza et d'autres chercheurs avaient déjà étudié les effets (lien en anglais) de la réduction de 40% du trafic aérien mexicain, et souligné que l'infection avait simplement été retardée de trois jours dans d'autres pays.

Au vu de la mobilité toujours croissante des personnes, il est peu probable que les restrictions de voyage puissent être utilisées efficacement lors d'une future pandémie.

Etude sur la diffusion du H1N1 de 2009

Revue "Plos One"

Et pour cause : il faudrait interdire 99% des voyages pour que cette mesure soit efficace seule, un objectif impossible à atteindre dans une société mondialisée.

L'OMS opposée à la restriction des échanges

Si ces délais de quelques jours peuvent permettre aux Etats de préparer une veille et de s'organiser, ils restent évidemment bien trop courts pour développer un vaccin et permettre seuls l'arrêt de l'épidémie. "Il est impossible de lutter contre une épidémie en se contentant d'interdire les déplacements", résume Vittoria Colizza. C'est également la ligne de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui vient de déclencher une urgence de santé de portée internationale pour la sixième fois de l'histoire. L'OMS a certes réclamé un partage accru des données scientifiques et un renforcement des contrôles sanitaires, mais elle s'est opposée à d'éventuelles entraves aux échanges internationaux.

L'OMS ne recommande pas de restreindre les voyages, les échanges commerciaux et les mouvements [de population], et s'oppose même à toute restriction aux voyages.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS

Le 30 janvier, à Genève

Pour le moment, d'ailleurs, l'épidémie de 2019-nCoV n'a pas atteint le statut de pandémie car les transitions entre les différents foyers d'épidémie sont bien gérées à l'étranger, explique Vittoria Colizza. "En France, des contrôles actifs sont mis en place, les cas sont rapidement isolés et les éventuelles personnes entrées en contact avec les malades sont retracées et identifiées."

L'OMS craint en effet qu'un blocus sanitaire de la Chine ne plonge le pays dans une situation inextricable, avec des conséquences économiques dramatiques pour les populations. Plusieurs voyants virent déjà au rouge et la Banque centrale chinoise a dû injecter l'équivalent de 156 milliards d'euros dans l'économie du pays. Les dirigeants mondiaux, eux, retiennent leur souffle. "Le coronavirus ajoute une nouvelle dose d'incertitude", a convenu la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, lors d'une conférence organisée par Les Echos.

Des mesures de confinement éprouvantes

Face à l'urgence, quel est donc le bon levier pour combattre le 2019-nCoV ? "Le plus important, c'est de contenir la croissance exponentielle de la maladie", estime Vittoria Colizza. Ses travaux sur la grippe saisonnière (lien en anglais) ont ainsi montré l'importance de "réduire les contacts entre les personnes" plutôt que de mettre l'accent sur leurs déplacements. C'est ce que l'on nomme le "social distancing" – la mise à distance sociale –, déjà mis à profit par le passé pour contenir les épidémies d'Ebola, de H1N1 ou de Sras.

Ces dispositifs d'isolement et de confinement suffiraient-ils à contenir l'épidémie sur le sol chinois ? "Difficile à dire, répond Vittoria Colizza. Cela dépend des mesures, mais je ne pense pas qu'il soit probable que le virus soit contenu. Tout dépend également du nombre de cas et il ne faut pas négliger une possible sous-estimation du bilan." Interrogée par Bloomberg (en anglais) sur l'efficacité des mesures de quarantaine, l'épidémiologiste Lauren Ancel Meyers est elle aussi restée prudente : "Nous ne savons pas encore."

En attendant, certaines mesures adoptées par les autorités chinoises font froid dans le dos. A Hangzhou, par exemple, un avion militaire tournoie dans le ciel et des haut-parleurs intiment aux habitants de ne pas sortir de leur domicile. A Zhumadian, une prime récompense même les dénonciations de personnes venues du Hubei. Les habitants de douzaines de villes mises en quarantaine sont désormais en congés forcés. Nul ne sait combien de temps cette situation va ou peut durer.

Une rue de Hangzhou (Chine), près du siège du groupe Alibaba, mercredi 5 février 2020. (NOEL CELIS / AFP)

Ces mesures de quarantaine et de confinement suscitent déjà de nombreuses critiques. Par le passé, en effet, de tels dispositifs ont déjà créé des situations explosives. Lors de l'épidémie de virus Ebola, en 2014, le bouclage d'un quartier de Monrovia (Liberia) avait tourné aux rassemblements et à l'émeute. Un biologiste redoutait alors que la quarantaine ne fasse grimper le taux de contamination en raison de regroupements devant les commerces fermés. Lors de l'épisode de Sras en 2003, des incidents ont aussi été signalés dans certains villages de Chine.

Par ailleurs, un confinement à grande échelle risquerait d'exposer les personnes vulnérables ou pauvres, et de les priver de transports pour se rendre dans des structures de santé, selon Lawrence O. Gostin (en anglais), professeur de droit de la santé à l'université américaine de Georgetown, à Washington. Le chercheur insiste également sur les conséquences économiques d'une telle décision, susceptible d'entraîner une récession et de déclencher des troubles sociaux. Selon lui, il convient d'investir massivement et en amont dans la recherche et le développement, afin de préparer les Etats aux futures infections planétaires.

La découverte d'un antiviral est déterminante

Ces questions économiques et sociales doivent désormais être prises en compte par les autorités chinoises, d'autant qu'elles ne disposent pas encore de traitements antiviraux, outils déterminants pour contenir une épidémie. Lors de l'épisode Ebola, ces médicaments avaient permis à la fois de traiter les patients et de réduire leur contagiosité. Coupler des mesures de confinement à la distribution de traitements spécifiques est une stratégie "très efficace", souligne Vittoria Colizza.

Autant dire que le développement de ces antiviraux est très attendu pour contrer le 2019-nCoV – des recherches sont en cours dans le monde entier, par exemple à l'Institut Pasteur ou à Louvain (Belgique). En cas de succès, les Etats riches devront obligatoirement partager leurs stocks pour accroître l'efficacité de la réponse au niveau mondial. "Les médicaments antiviraux atténueraient les pandémies d'un virus avec un R0 [le taux de transmission, sa "contagiosité"] jusqu'à 1,9 si chaque pays avait un stock de médicaments antiviraux suffisant pour traiter 5% de sa population", soulignait cet article (en anglais) de 2007 évaluant le scénario d'une pandémie.

Face à la crise sanitaire, la Chine a choisi d'actionner tous les leviers à sa disposition. Avec un sens certain de la formule, le journaliste de Foreign Policy (en anglais) James Palmer se demande si les restrictions du trafic aérien consistent "à fermer la porte de l'écurie une fois que le cheval s'est échappé". En guise de résumé, et pour filer la métaphore, la priorité n'est pas nécessairement d'installer une serrure mais plutôt d'éviter le contact entre les animaux restants et d'identifier rapidement la monture disparue chez le voisin.

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