Coronavirus : la France a-t-elle vraiment "la capacité" de réaliser 700 000 tests par semaine, comme l'affirme Emmanuel Macron ?
Entre 300 000 et 350 000 tests sont effectués par semaine, soit deux fois moins que prévu lors du déconfinement. Mais la "demande" n'est pas au rendez-vous et si les laboratoires de ville font face à un afflux de demandes lié aux vacances et aux campagnes de dépistage de masse, les hôpitaux publics sont moins sollicités.
Le plan était le suivant. Le déconfinement devait s'accompagner d'une campagne massive de dépistage de la population, afin de s'assurer que l'épidémie de Covid-19 ne reparte pas. Le gouvernement avait même annoncé un chiffre : 700 000 tests virologiques devaient être réalisés chaque semaine en France. Plus de deux mois après la sortie du confinement, cet objectif n'est toujours pas atteint. "On a la capacité. Simplement, la demande aujourd'hui n'est pas là", s'est défendu Emmanuel Macron, lors de son interview du 14-Juillet. Le chef de l'Etat dit-il vrai ou "fake" ?
Ce chiffre de 700 000 était le fruit du modèle épidémiologique sur lequel les autorités sanitaires se basaient. Au 11 mai, il devait y avoir entre 1 000 et 3 000 nouvelles contaminations par jour sur le territoire. Chaque personne infectée en ayant rencontré environ 25 autres, il fallait également tester cette vingtaine de cas contacts. Le calcul était donc le suivant : 3 000 personnes contaminées x 25 cas contacts x 7 jours = 525 000 tests. Tabler sur 700 000 tests hebdomadaires offrait une marge de sécurité confortable de 175 000 tests.
Une nette montée en puissance
Force est de constater que, près de deux mois après le début du déconfinement progressif, la France est loin du compte. D'après le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France du 9 juillet, 300 817 patients ont été testés, entre le 28 juin et le 4 juillet 2020. Le taux de dépistage (c'est-à-dire le nombre de patients testés rapporté à la population) est de 448 pour 100 000 habitants au niveau national. Le taux de dépistage le plus fort est observé en Guyane (1 729/100 000 habitants), où l'épidémie est encore très active. Sur le territoire métropolitain, la Meurthe-et-Moselle était championne du dépistage (892/100 000), suivie par le Calvados (720/100 000) et la Seine-Maritime (702/100 000).
La montée en puissance est cependant très nette. En une semaine, le nombre de patients testés en France métropolitaine a ainsi augmenté de 26%. "Cette augmentation traduit une politique volontariste de dépistage", insiste la Direction générale de la santé (DGS). "Le nombre de tests PCR en France se situait aux alentours de 50 000 par semaine à la mi-mars, au début de confinement, rappelle-t-elle. Il a augmenté continûment pour dépasser les 300 000 par semaine à la mi-mai. Il continue d'augmenter et avoisine aujourd'hui les 350 000 par semaine." Mais cela reste deux fois moins que l'ambition politique affichée.
"Le virus circule moins que ce qu'on craignait"
Est-ce la faute à une "capacité" de dépistage limitée ou, au contraire, à une trop faible "demande" de tests ? L'ensemble des acteurs interrogés penchent pour la seconde explication. "Nous avons les moyens de réaliser 700 000 tests diagnostiques par semaine", assure le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, dans un entretien à Libération. "Les capacités d'analyses déployées et sécurisées pendant les derniers mois sont en mesure de couvrir une demande bien plus importante que celle que l'on enregistre aujourd'hui", abonde la DGS.
"Si on compte tous les automates de sérologie – ces grosses machines chinoises capables d'analyser 2 400 échantillons par jour – installés ces derniers mois avec le soutien du gouvernement dans certains hôpitaux publics et un peu sur certaines plateformes de laboratoires privés, on arrive à 700 000 tests par semaine", confirme à franceinfo Jean-Paul Feugeas, président du Syndicat national des médecins biologistes des CHU.
Mais jusqu'à présent il n'a pas été nécessaire de solliciter ces capacités de tests. "On avait peur d'une explosion après le 11 mai, mais le virus circule moins que ce qu'on craignait. On a donc moins de demandes que ce qu'on pensait et on n'a pas eu besoin de pratiquer 700 000 tests par semaine. C'est une bonne nouvelle", observe Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux.
On n'a pas eu besoin de pratiquer 700 000 tests de diagnostic de patients infectés par semaine, parce que le déconfinement s'est bien passé.
Xavier Palette, président du Syndicat national des biologistes des hôpitauxà franceinfo
"L'explication, c'est aussi que dans l'esprit des gens il n'y a pas de pression à se faire dépister", estime Jean-Paul Feugeas. "On estime que seuls 50% des gens contaminés sont dépistés", appuie Jean-François Delfraissy dans une interview au Monde, jugeant donc que "le nombre de tests réalisés est insuffisant." "Peut-être qu'on devrait faire un peu plus de tests, en particulier de gens peu symptomatiques, qui devraient consulter leur médecin traitant mais ne le font pas, et de leurs cas contacts", approuve Lionel Barrand.
Comment expliquer, dans ces conditions, qu'il soit parfois si difficile d'obtenir un rendez-vous en laboratoire pour se faire tester ? Les laboratoires d'analyses médicales de ville sont "un peu surchargés", reconnaît Xavier Palette. "On est soumis à une très forte demande de gens qui partent en vacances et on a toute la famille qui arrive, explique le représentant syndical. Pour prendre l'avion, ils sont obligés de présenter un test négatif." Ces tests, qui doivent être effectués dans les 72 heures avant l'embarquement, compliquent un peu plus la tâche des laboratoires. "Dans le privé, il y a pas mal de plateaux techniques où les laboratoires envoient leurs prélèvements pour analyse. Avoir un résultat en 24 heures, c'est compliqué", souligne le biologiste.
Des "bons" de dépistage qui "ont mis la pagaille"
A ces demandes de tests en prévision des départs en vacances s'ajoutent les campagnes de dépistage à grande échelle lancées par les autorités sanitaires. En Ile-de-France, quelque 1,3 million d'habitants de 32 communes sont invités à se faire dépister depuis le 29 juin. Dans les Hauts-de-France, des "bons" de dépistage ont été envoyés à 300 000 habitants de 72 villes, comme Hazebrouck, depuis le 2 juillet. En Bretagne, ce sont 63 000 personnes de cinq communes des Côtes-d'Armor, dont Saint-Brieuc, qui ont reçu un message de l'assurance-maladie les incitant à se faire tester.
"Quand on dit à 25 000 patients qu'on peut venir en laboratoire se faire dépister, le laboratoire qui voit entre 100 et 150 dossiers par jour d'ordinaire se retrouve submergé", déplore Lionel Barrand, dont le laboratoire alsacien revient d'une opération de dépistage de deux jours dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Dépêcher une équipe sur le terrain, cela implique aussi avoir moins de personnel dans son laboratoire pour répondre aux autres demandes.
"Les laboratoires sont aussi débordés parce qu'avec ces campagnes on leur demande à la fois des tests virologiques et des tests sérologiques", ajoute Xavier Palette. Les premiers, dits PCR, sont pratiqués par introduction d'un écouvillon dans le nez. Les seconds, moins systématisés, nécessitent une prise de sang. "Quand on a fait une quarantaine de tests PCR sur Dourdan et une quarantaine sur Etampes, on est au bout de ce qu'on peut faire en une journée", chiffre le biologiste, qui exerce dans l'Essonne. Lionel Barrand demande donc aux autorités sanitaires davantage de "coordination".
Ces 'bons' de dépistage envoyés à des villes entières ont mis la pagaille. Le ministre a demandé de faire ça tout d'un coup. Les laboratoires n'ont pas toujours été prévenus. L'Etat nous a mis des bâtons dans les roues.
Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicauxà franceinfo
Pour faire face à ce soudain afflux, qui survient "en pleine période estivale" et "se rajoute au reste des patients", les laboratoires "ne manquent pas de matériel" mais "manquent de bras", alerte Xavier Palette. "Ça fait quatre mois qu'on mouille la chemise. On est lessivés. Entre les départs en vacances et les burn out, ça commence à être compliqué de trouver du personnel capable de pratiquer des tests PCR", résume Lionel Barrand.
Mais même des mains en plus ne suffiraient pas. Il faudrait également augmenter le nombre de plateformes habilitées à réaliser ces analyses. "On n'a toujours que 117 plateformes autorisées en France, sur 4 000 laboratoires" d'analyses médicales, déplore à l'AFP François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes. Conséquence : dans les régions où ces campagnes de dépistage ont été lancées, "les délais s'allongent", avec parfois "cinq à sept jours" pour obtenir le résultat du test, calcule le représentant syndical.
Des aménagements pour accélérer la cadence
Plusieurs aménagements ont été autorisés pour augmenter les capacités de prélèvement et d'analyse. Depuis un arrêté paru au Journal officiel, le 11 juillet, les techniciens de laboratoire sont désormais autorisés à réaliser les prélèvements nécessaires aux tests de diagnostic virologiques, et plus seulement les biologistes médicaux. Une décision saluée par les syndicats de la profession. Les préfets de département peuvent aussi autoriser certains étudiants en médecine ou en soins infirmiers à réaliser les tests au sein des laboratoires.
En cas de difficulté d'approvisionnement en tests, les laboratoires peuvent, à titre dérogatoire, utiliser des dispositifs "ne disposant pas d'un marquage CE", sésame normalement indispensable pour être commercialisé. Pour François Blanchecotte, une autre "piste d'amélioration" serait d'autoriser les prélèvements salivaires pour réaliser des tests virologiques. Plus simples et plus rapides que les prélèvements naso-pharyngés, ils peuvent être effectués à la maison puis apportés au laboratoire.
Ce serait bien de ménager nos efforts pour d'autres actions sur lesquelles on serait plus utiles, comme dépister directement à l'aéroport les voyageurs qui reviennent de zones à risque.
Lionel Barrandà franceinfo
De même, un arrêté ministériel, pris début avril, prévoyait que les 40 laboratoires de recherche publics puissent être réquisitionnés pour effectuer des tests PCR. Ceux-ci auraient pu réaliser 50 000 tests par semaine, selon André Le Bivic, directeur de l'Institut des sciences biologiques du CNRS et coordinateur de cette mission pour l'organisme. Mais "il y a eu peu de réquisitions", constate-t-il, mis à part "un laboratoire du CNRS à Lille et un à Perpignan" et "en Guyane, où un laboratoire CNRS a été mis sur pied pour aider aux tests".
Pour Lionel Barrand, ces campagnes de dépistage de masse relèvent "plus de l'affichage politique que de la santé publique". "Entre mars et mai, ça a été la folie : on avait 30 à 40% de positifs. Aujourd'hui, c'est moins inquiétant. Or, notre priorité, c'est de faire face aux urgences. Là, il y a moins d'urgence à tester", juge pour sa part Xavier Palette.
Les hôpitaux publics, eux, ne sont "pas débordés"
Dans les hôpitaux publics, les biologistes médicaux décrivent une tout autre situation. Les opérations chirurgicales ayant repris, les patients devant être opérés doivent impérativement passer un test de Covid-19. Mais "on n'est pas débordés comme pendant la crise, reconnaît Jean-Paul Feugeas. On fait plutôt moins de tests qu'en période Covid, et jusqu'à maintenant ils sont pour la plupart négatifs." A l'échelle nationale, seuls 1,3% des tests pratiqués en une semaine entre fin juin et début juillet étaient positifs et ce taux est en léger recul d'un point environ par rapport à la semaine précédente, selon Santé publique France.
Le réflexe des patients voulant se faire dépister est plutôt de se tourner vers les laboratoires de ville que vers les services d'analyses médicales des hôpitaux publics. "Les hôpitaux qui se sont équipés en automates de sérologie se sont engagés à répondre aux campagnes de dépistage, mais les autres ne sont pas forcément très sollicités", explique le syndicaliste, qui exerce à Besançon (Doubs). Résultat : "Un CHU moyen doit faire environ 200 tests par jour et pourrait facilement monter à 500", évalue le représentant.
Si on arrive dans un laboratoire et qu'on voit une file de 15 mètres ou 20 mètres dans la rue, comme je le vois tous les matins, on peut s'interroger : est-ce le bon système ?
Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifiquedans "Le Monde"
Ne faudrait-il pas alors repenser la stratégie de dépistage mise en place ? Le président du Conseil scientifique l'envisage. "Il faut qu'il y ait une fluidité des tests plus grande, avec des tests dans la rue [les fameux "drive"] plus accessibles, poursuit Jean-François Delfraissy dans Libération. Et faut-il élargir ces politiques de diagnostic dans les zones à risques, mais aussi dans des zones où la population se tourne moins vers les lieux de santé ? Et vers les populations les plus précaires ? Il y a une vraie doctrine sur l'utilisation des tests à construire."
"A mon avis, il n'y a pas de scandale [à ne pratiquer qu'entre 300 et 350 000 tests par semaine au lieu des 700 000 prévus initialement], sauf si on considère qu'il faudrait faire beaucoup plus de tests tout de suite", conclut Jean-Paul Feugeas, mettant en avant davantage la notion de volonté que de capacité.
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