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Coronavirus : que révèle vraiment la comparaison des taux de mortalité entre la France et les autres pays ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun - Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Une infirmière portant un gant de protection tient la main d'une patiente de l'unité de soins palliatifs à l'hôpital Eugénie d'Ajaccio en Corse, le 23 avril 2020. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Des infographies partagées sur les réseaux sociaux confondent taux de mortalité et taux de létalité et laissent penser que la France est plus durement touchée que ses voisins par l'épidémie de Covid-19. D'autres indicateurs, comme la surmortalité ou le z-score, sont plus précis.

La France serait-elle à la traîne dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus ? Sur les réseaux sociaux, les publications se multiplient, comparant la mortalité provoquée par le Covid-19 dans différents pays. Des internautes voient dans ces statistiques la preuve de la mauvaise gestion française de la crise sanitaire. Alors, vrai ou "fake" ? Tout dépend des indicateurs utilisés. Certains laissent penser que la France souffre plus que ses voisins, quand d'autres, plus complexes et plus précis, donnent une vision beaucoup plus nuancée. Franceinfo passe en revue ces  indicateurs et leurs limites.

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La mortalité par cas détecté : l'effet trompeur

L'un des graphiques les plus partagés rapporte le nombre de morts du Covid-19 au nombre de cas confirmés. Ce diagramme s'appuie sur les données de Wikipédia agrégées par Google et comporte au moins une erreur de taille. Le taux affiché pour l'Ukraine est 10 fois supérieur à la réalité : 2,61 au lieu de 26,1 au 23 avril, selon les données de Our World in Data. Le taux de la France est correct à cette date (17,9). Il est le plus élevé de tous, devant la Belgique (15,2), le Royaume-Uni (13,6), l'Italie (13,4), la Suède (12,1), les Pays-Bas (11,7) ou l'Espagne (10,4).

Ce graphique ne représente toutefois pas le taux de mortalité de l'épidémie, mais le taux de létalité du virus, ou "case fatality rate" (CFR). "On confond souvent ces deux indicateurs : taux de mortalité (le nombre de décès rapporté à la population générale) et taux de létalité (le nombre de décès par rapport au nombre de cas)", explique Pierre-Yves Scarabin, médecin épidémiologiste, directeur de recherche émérite à l'Inserm. Toute comparaison internationale à partir de ce taux pose ensuite doublement problème.

Primo, le numérateur (le nombre de décès liés au Covid-19) n'est pas comptabilisé de la même manière partout. L'Espagne et l'Allemagne comptent tous les décès de personnes positives au Covid-19. La France (comme le Royaume-Uni) n'a d'abord recensé que les morts à l'hôpital, avant d'y ajouter les décès en Ehpad. La Belgique inclut dans son bilan les personnes non testées mais suspectées. En Italie, les morts dans les maisons de retraite ne sont pas systématiquement pris en compte. Aux Etats-Unis, les méthodes varient d'un Etat à l'autre : New York intègre les maisons de retraite, la Californie non.

Secundo, le dénominateur (le nombre de cas de Covid-19 confirmés) dépend du nombre de tests pratiqués. "Si vous testez beaucoup, vous allez avoir beaucoup plus de cas, en particulier beaucoup plus de cas moins graves, résume Antoine Flahault, médecin épidémiologiste, directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève. Vous allez avoir une mortalité qui paraîtra encore plus faible."

La France a pratiqué peu de tests par rapport à la plupart des autres pays. Il y a donc peu de cas qui ont été dépistés : son taux de létalité apparaît par conséquent plus élevé.

Myriam Khlat, directrice de recherche à l'Ined

à franceinfo

Le dépistage massif de la population permet en outre de juguler l'épidémie et donc de réduire le nombre de morts. "Les millions de tests faits en Allemagne ont certainement permis de détecter les personnes porteuses du virus plus fréquemment qu'en France", explique Antoine Flahault. Ces personnes ont été incitées à porter un masque, à s'isoler et leur entourage a pu être testé aussi. "En ne testant pas, ce n'est pas simplement la photographie de l'épidémie qui est moins précise en France, poursuit l'épidémiologiste, on a laissé des personnes porteuses du virus contaminer d'autres personnes à leur insu."  

La mortalité par habitant : le miroir déformant

Un autre graphique très partagé compare les taux de mortalité, c'est-à-dire le nombre de décès rapportés à l'ensemble de la population. Cette infographie de Our World in Data a été réalisée à partir des données compilées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (en anglais) jusqu'au 21 avril. Il y apparaît que la France est, derrière la Belgique, le pays ayant le plus fort taux de mortalité.

Les données ont un peu évolué depuis, mais au 27 avril, la Belgique se distingue en Europe (avec 621 morts par million d'habitants), talonnée par l'Espagne (496 morts par million d'habitants). Le taux de mortalité de la France se situe à 341 pour un million.

 

Cette comparaison gomme en revanche un aspect fondamental en épidémiologie : la distribution des foyers sur le territoire. Pour Myriam Khlat, directrice de recherche à l'Ined, qui suit la mortalité de l'épidémie, il est "important de prendre en compte la conjoncture de mortalité locale, dans la mesure où il y a de grandes différences géographiques de mortalité et où les foyers sont quand même très localisés". De plus, le taux de mortalité déforme la réalité de l'épidémie, au désavantage des Etats peu peuplés comme la Belgique, et à l'avantage de pays plus peuplés comme les Etats-Unis.

Calculer un taux de mortalité pour la Chine, alors que jusqu'à très récemment l'épidémie restait localisée à une province, n'a pas beaucoup de sens.

Myriam Khlat, directrice de recherche à l'Ined

à franceinfo

"Ce n'est pas inintéressant, ça permet de donner une vision sur l'impact global de l'épidémie par rapport à la taille d'une population", concède Michel Guillot, directeur de recherche à l'Ined. Simplement, "ce n'est pas ce qui est fait habituellement pour les épidémies, parce que ce qui compte le plus ce sont les nombres absolus de cas et de morts." "Regarder juste ça et dire que la France s'en tire très mal, c'est carrément une mauvaise interprétation", tranche-t-il.

L'IFR : "le taux vrai"

L'"infection fatality rate" (IFR) pourrait s'avérer plus pertinent. Contrairement au "case fatality rate", il rapporte le nombre de morts à celui des personnes infectées. Il est construit à partir d'une enquête de séroprévalence, réalisée sur un échantillon aléatoire de la population. Des prélèvements sanguins permettent de déterminer combien de personnes ont développé des anticorps et donc ont été contaminées par le virus. "On obtient presque le taux vrai de mortalité", souligne le médecin épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève. En effet, toutes les contaminations peuvent être détectées : les cas symptomatiques, comme les cas asymptomatiques passés sous les radars.

Les différents tests sérologiques en circulation, qui permettraient ces estimations, génèrent toutefois des faux positifs et ne sont donc pas jugés assez fiables par les autorités sanitaires françaises pour être généralisés. Les enquêtes de séroprévalence ont aussi "leurs limites" : les anticorps ne peuvent pas être décelés à un stade d'infection précoce, rappelle Pierre-Yves Scarabin, auteur d'une note de blog sur le sujet.

"Si on arrivait à tester toute la population et qu'on avait un véritable indicateur du nombre de personnes infectées à l'instant T, imagine Michel Guillot, directeur de recherches à l'Ined, là en effet, le taux de mortalité serait beaucoup plus faible." Selon une étude de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (PDF en anglais), l'IFR de la France se situerait autour de 0,8%, contre 14,5% pour son taux de létalité à partir des seuls cas observés.

La surmortalité : la méthode la plus globale

La surmortalité ne serait-elle pas le meilleur indicateur pour faire des comparaisons internationales ? The Economist et le New York Times ont essayé, malgré une difficulté majeure : il faut aller chercher les données pays par pays et celles-ci ne sont pas toujours disponibles.

La France a connu une surmortalité de 25% par rapport à l'année précédente, entre le 1er mars et le 13 avril, avec 93 839 décès enregistrés, contre 75 100, un an plus tôt, selon les données de l'Insee. Cette surmortalité est identique à celle de la Suisse, supérieure à celle de la Suède (18%), mais inférieure à celles de la Belgique (34%), des Pays-Bas (41%) et de l'Espagne (67%), selon les calculs du New York Times sur une période similaire.

Cette méthode de calcul est celle adoptée pour l'épidémie de grippe saisonnière. "En mortalité directe, c'est-à-dire identifiée par les certificats de décès, la grippe tue 430 personnes en moyenne chaque année en France, détaille l'épidémiologiste Antoine Flahault, mais en surmortalité, on évalue à 6 000 le nombre des décès par grippe en France en moyenne chaque année. La surmortalité est donc 14 fois plus importante en moyenne. On peut s'attendre à un phénomène proche pour le Covid."

Le démographe Michel Guillot juge cette solution "intéressante", "parce qu'elle règle un certain nombre de problèmes". L'ensemble des décès sont comptabilisés, qu'ils soient survenus dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou à domicile. Les décès attribués à une pneumonie plutôt qu'au Covid-19, par exemple, sont eux aussi décomptés.

Cela couvre les effets globaux de la crise : les effets directs – le Covid – comme les effets indirects – le confinement, la crise économique.

Michel Guillot, directeur de recherche à l'Ined

à franceinfo

La surmortalité ne survient pas seulement au moment de l'épidémie, elle se poursuit après. "Les gens qui ont des maladies sous-jacentes ne vont pas forcément mourir du Covid, mais ne vont jamais récupérer leur état de santé d’avant, ils vont décompenser, pointe Antoine Flahault. Une insuffisance cardiaque ne sera par exemple plus jamais rééquilibrée et ils vont mourir quelques jours, semaines ou mois plus tard, de façon liée au Covid mais indirecte."

De même, les démographes vont mesurer "les effets négatifs comme positifs de la crise" à plus long terme, relève Michel Guillot. "Les décès en plus du Covid, mais aussi les décès évités : les accidents de la route sont éliminés de 90%." Le chercheur s'interroge notamment sur l'évolution des suicides : "On sait qu'en temps de guerre ils baissent." Ou des décès liés au stress : "Il y a des gens plus stressés par le confinement, mais d'autres beaucoup moins." Ou encore des morts de l'alcool : "On sait que la consommation peut augmenter à la maison, mais en temps normal, une grosse partie de la consommation d'alcool a lieu à l'extérieur, dans les bars, les restaurants." Pour pouvoir tenir compte de ces causes moins immédiates de décès, "il va falloir attendre encore un peu pour voir l'impact global" de l'épidémie sur la surmortalité.

Le z-score : le plus précis

La quête de l'indicateur optimal mène au z-score, ou cote Z. Cet indice permet de représenter les variations de la mortalité, semaine après semaine, sur une échelle graduée. Lorsque le z-score (en anglais) est inférieur à 2, il n'y a pas de surmortalité. Compris entre 2 et 4, la surmortalité est légère. De 4 à 7, elle est modérée. Entre 7 et 10, elle est en fort excès. De 10 à 15, la surmortalité est très forte. Enfin, si elle dépasse 15, elle est extrêmement forte.

Ce z-score est notamment calculé par le Statens Serum Institut, un organisme de recherche public danois, à partir de données transmises par 28 partenaires européens, dont Santé publique France. Il est ensuite mis en ligne sur le site de l'EuroMoMo, l'European Mortality Monitoring.

Les z-scores les plus élevés sur une semaine par rapport aux années précédentes ont été observés en Angleterre (48,77), en Espagne (34,27), en Belgique (27,26), aux Pays-Bas (24,28), en Italie (22,34), en France (21,43). Le pic hebdomadaire n'a pas dépassé 12,46 en Suisse et 10,90 en Suède.

L'intérêt de cet indice est sa précision, car il permet de prendre en considération de nombreux éléments, à commencer par le fait que le nombre de décès varie en permanence. "Il y a des variations saisonnières : il y a plus de décès en hiver qu'en été. Il a aussi des variations d'une année sur l'autre parce que la mortalité a tendance à baisser avec l'espérance de vie qui augmente. Il y a enfin des variations aléatoires", développe Michel Guillot. "Plus le pays est petit plus ces variations aléatoires vont être importantes. Ce z-score prend ces variations en compte et montre si, par rapport aux variations habituelles d'une semaine à l'autre, l'excès de mortalité est vraiment exceptionnel ou non."

Pour autant, le démographe ne juge pas indispensable de s'en référer à cet indicateur. "Les excès de mortalité sont déjà tellement élevés, tellement significatifs, que cette correction n'apporte pas grand-chose à ce stade. Pour un article scientifique, c'est plus rigoureux, mais pour le grand public, je ne suis pas sûr que ça éclaire tant que ça la situation." A l'instar d'Antoine Flahault, épidémiologistes et démographes le reconnaissent : "Il y a beaucoup de difficultés à interpréter les données de mortalité et à les comparer entre les pays."

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