Pénurie de masques : "Jérôme Salomon est intervenu" pour faire modifier un rapport, explique un sénateur
Ce rapport d'expert recommandait à l'État de se doter d'un stock d'un milliard de masques alors que la France en a, par la suite, commandé dix fois moins. Le directeur de la Santé a fait réécrire le texte, affirme, preuves à l'appui, Bernard Jaumier, sénateur PS de Paris.
La Commission d'enquête du Sénat a rendu son rapport jeudi 10 décembre concernant la gestion de la crise du Covid-19. Dans ce texte rendu public, les sénateurs pointent du doigt la décision de Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, de ne pas avoir renouvelé il y a deux ans, le stock de masques chirurgicaux.
Jérôme Salomon est aussi accusé d'avoir modifié un rapport d'experts qui recommandait à l'État de se doter d'un stock d'un milliard de masques. La France en a commandé dix fois moins. "Ce rapport a bien été modifié. Jérôme Salomon est intervenu pour faire modifier ce rapport d'expert", confirme sur franceinfo, Bernard Jaumier, médecin généraliste, sénateur PS de Paris, et rapporteur.
franceinfo : À vous lire, le professeur Salomon porte une lourde responsabilité dans ce qui s'est passé, et notamment sur les masques ?
Bernard Jaumier : Notre rôle, c'est d'établir la réalité des faits, parce que c'est ce qu'on doit aux Français de dire la vérité.
En octobre 2018, ont été recommandés seulement 100 millions de masques, ce qui fait que quand la crise est arrivée, nous n'avions pas assez de masques pour protéger les soignants dans de bonnes conditions, et ils en ont payé un lourd tribut.
Bernard Jaumierà franceinfo
Et deuxièmement qu'un rapport d'expert avait établi qu'il fallait plutôt un stock autour d'un milliard, il était à 700 millions jusqu'en octobre 2018, et que le directeur général de la Santé est intervenu pour faire modifier ce rapport d'experts. Nous avons obtenu, avec difficulté, les différentes versions du rapport, et nous affirmons que ce rapport a bien été modifié.
Ce qui est une accusation assez grave : Jérôme Salomon peut-il rester directeur général de la Santé ?
Ce n'est pas à nous de le dire parce que, ce n'est pas que ça ne nous regarde pas, mais nous ne sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas l'autorité politique qui est au-dessus du directeur général de la Santé. Nous sommes une commission d'enquête parlementaire qui au nom de notre mandat a accès à des informations qui sont de nature confidentielle. Mais nous avons fait le choix de publier en annexe de notre rapport l'échange de mails entre Jérôme Salomon et le directeur de Santé Publique France, qui attestent de cette intervention.
Est-ce qu'il s'en est expliqué devant vous, face à ces preuves ?
Nous n'avons pas pu l'interroger en audition sur cette intervention, parce qu'il ne nous en a pas parlé spontanément, et que nous l'avons découvert par nos propres moyens bien plus tard et donc nous constatons simplement qu'il n'a pas jugé utile de nous en informer, pas plus que les autres protagonistes de ce rapport.
La question des masques apparaît un peu comme un péché originel dans la gestion politique de cette crise ?
C'est une faute qu'on peut qualifier d'originelle à deux égards, d'abord parce qu'elle traduit une insuffisance de gouvernance en santé publique "après tout, les masques à quoi ça va servir, ça va coûter cher ?".
Il y a ce défaut de culture de santé publique dans notre pays, qui est celle des responsables publics dans leur ensemble et pas depuis un ou deux ans, c'est quelque chose qui est beaucoup plus profond, et auquel il faut qu'on y remédie.
Bernard Jaumierà franceinfo
Quand début mars, le directeur général de la Santé nous disait en commission sénatoriale que la pénurie des masques n'était pas un sujet, et que le ministre disait qu'il n'y avait pas de pénurie, dans le même temps, une note établissait formellement que le gouvernement savait qu'il y avait pénurie. C'est très dommage de ne pas avoir dit la vérité aux Français : depuis le début de cette crise, la question de la confiance entre les Français et les gouvernants est essentielle et alors que nous allons débuter une stratégie de vaccination, nous voyons que ce lien de confiance qui est altéré, compromet la lutte contre l'épidémie, et c'est pour cela que c'est grave, et qu'il faut retrouver un langage de vérité et de transparence absolue.
Sur les masques, est-ce que c'est une logique d'économie qui a présidé au fait de ne pas refaire ces stocks ?
Probablement. Parce que quand Jérôme Salomon commande des masques, il en commande 50 millions et il dit qu'il en commandera 50 millions en plus, si le budget le permet. Donc, on voit bien que la contrainte budgétaire est très forte, et d'ailleurs depuis que l'Agence de santé publique a été créée, année après année son budget a été réduit, malgré notre opposition. Et deuxièmement, il y a aussi un défaut d'importance de la santé publique et de la prévention dans notre pays, et là, c'est dramatique.
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