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Grippe aviaire : "Rien n'indique que le virus représente un risque très important pour l'homme à court terme", estime le spécialiste Jean-Luc Guérin

Ce chercheur à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse répond aux questions de franceinfo, alors que l'épidémie de H5N1 décime les oiseaux sauvages et contamine même des mammifères.
Article rédigé par Thomas Baïetto - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un oiseau sauvage mort de la grippe aviaire, le 7 septembre 2022 sur une plage des Cornouailles (Royaume-Uni). (STORY PICTURE AGENCY / SHUTTERSTOCK / SIPA)

L'épidémie de grippe aviaire continue de faire des ravages parmi les oiseaux sauvages et domestiques, un peu partout dans le monde. Mais le virus menace-t-il les humains ? De récentes contaminations de mammifères ont soulevé quelques inquiétudes. En France, un chat en est mort fin janvier. Pour faire le point sur la situation, franceinfo a interrogé Jean-Luc Guérin, chercheur à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne), directeur d'unité à l'Inrae et spécialiste de cette grippe H5N1.

Franceinfo : D'où vient la grippe aviaire ?

Jean-Luc Guérin : L'histoire de ce virus H5N1 a commencé il y a environ 25 ans (en 1996) dans le Guangdong, en Chine. Il y a ensuite eu une circulation sournoise dans toute la zone asiatique, avec l'apparition de propriétés nouvelles, comme la capacité à infecter l'homme ponctuellement et à infecter les oiseaux sauvages migrateurs. Cette émergence est intervenue dans des zones où il y a de fortes densités d'élevage – pas forcément industriel – de canards, de poulets et des interactions avec la faune sauvage.

À partir de 2005, les virus ont circulé dans les couloirs de migration, avec un premier foyer en France début 2006. Ils ont continué à évoluer, à se diversifier et à former des "réassortants" – un terme anglais qui désigne l'équivalent des variants. Dans ce foisonnement génétique, un clade – c'est-à-dire une catégorie –, le 2.3.4.4.b, est celui qui nous pose des soucis depuis 2016. Au sein de ce clade, plusieurs "réassortants" sont apparus, présentant une capacité de multiplications très efficaces chez beaucoup d'oiseaux sauvages et domestiques.

Où en est l'épidémie ?

Le spectre d'hôtes s'est élargi et le virus est devenu endémique chez les oiseaux sauvages. Jusqu'à présent, on observait un lien étroit entre le virus et le flux des oiseaux migrateurs. Depuis l'été dernier, il n'y a pas eu d'interruption des cas, le virus s'est durablement installé dans les populations aviaires. On constate des phénomènes de mortalité massive dans des colonies d'oiseaux, notamment marins ou sur les vautours dans le sud de la France. Il y a également des mortalités sur l'ensemble du territoire chez les mouettes et les corneilles. Quand on dézoome, c'est le cas en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. On peut donc parler de panzootie.

Quels sont les liens entre cette maladie et l'élevage de volailles ?

Aujourd'hui, le virus n'a pas besoin des élevages pour se propager. La propagation s'effectue au sein de la faune sauvage. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu un lien à l'origine, en Asie. Et depuis cette émergence initiale, il y a sans doute eu un va-et-vient entre les oiseaux domestiques et sauvages, qui a entrainé l'apparition de formes plus sévères et plus contagieuses du virus. En Europe, je ne pense pas qu'on puisse dire que les élevages jouent un rôle majeur dans la dynamique d'infection à grande échelle. Cela n'exonère pas l'élevage à l'échelle globale, mais ce ne sont pas les éleveurs du Sud-Ouest ou des Pays de la Loire qui sont responsables.

Plusieurs cas de contamination de mammifères ont été signalés ces derniers mois. Quel est le risque pour la santé humaine ?

Nous avons observé un certain nombre de contaminations de mammifères à l'occasion de prédation d'oiseaux malades : des renards, des visons, des ours ou un chat en France. Il y a cependant très peu de cas de contamination de mammifère à mammifère. Il y a eu un épisode en Espagne dans un élevage de visons, mais nous ne sommes pas surpris : c'est une espèce particulièrement réceptive au virus. Il y a également eu des cas chez des phoques. Enfin, il y a eu de très rares cas humains, difficiles à documenter, et bénins [voir ce rapport de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, en anglais]

Ce sont des cas aujourd'hui très peu nombreux, mais qui font néanmoins l'objet d'une surveillance très précise. Le phénomène est pris au sérieux par la communauté vétérinaire, mais rien n'indique que le virus a radicalement changé et qu'il représenterait un risque très important pour l'homme à court terme.

Cependant, il y a tellement de contaminations dans la faune sauvage que, mathématiquement, un phénomène très peu probable a plus de chances de se produire. Plus ce virus se diffuse, plus il y a d'oiseaux qui le répliquent et plus vous avez le risque qu'il y en ait un qui génère un nouveau variant plus pathogène. Mais pour l'instant, nous n'en sommes pas là, nous sommes loin d'avoir des virus adaptés à l'homme.

"Des virus aussi adaptés aux oiseaux n'ont pas, a priori, la capacité d'infecter efficacement l'homme."

Jean-Luc Guerin

à franceinfo

La faune sauvage est très durement touchée. Quelles sont les risques pour la biodiversité, déjà menacée ?

C'est un vrai sujet. Des populations d'oiseaux sont très sévèrement touchées. Il y a une diversification des espèces touchées et pas vraiment d'espèces qui résistent. Les infections observées chez les vautours, en France, c'est complètement inédit. Normalement, nous devrions arriver à une immunité collective, ces mortalités ne devraient pas durer, si tant est qu'il n'y ait pas de nouvelles formes virales. Mais il faut rester très humble, il y a peut-être des mortalités que l'on ne voit pas sur des oiseaux plus petits et plus solitaires. 

Près de 50 millions de volailles ont été abattues en Europe. Quels sont les risques pour les élevages français ?

La diffusion du virus a complètement échappé à la logique d'infection des oiseaux migrateurs. Jusqu'à l'hiver 2022, nous avions un postulat, avec une période à risque pendant la migration descendante et des zones à risque. Cela permettait de mieux calibrer la protection des élevages dans l'espace et dans le temps. Ce schéma-là ne se vérifie plus. Nous avons des contaminations possibles en été et dans des zones peu à risque.

"Aucun élevage avicole ne peut se sentir à l'abri d'une introduction du virus."

Jean-Luc Guerin

à franceinfo

Le ministère de l'Agriculture a évoqué à plusieurs reprises l'arrivée prochaine d'un vaccin. Où en est-on ?

Une première série d'essais a été menée dans des élevages de canards, une priorité en France du fait du rôle de ces volailles dans la diffusion du virus. Ces essais sont en train d'être analysés et, en parallèle, il y a un travail engagé pour mettre en place un véritable plan d'action pour être capable de mettre en œuvre la vaccination à partir de septembre 2023.

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