Rendez-vous médicaux non honorés : quatre questions sur la "taxe lapin" voulue par Gabriel Attal

Cette mesure, qui ne convainc pas les professionnels de santé, doit permettre selon le Premier ministre de récupérer chaque année 15 à 20 millions de créneaux.
Article rédigé par franceinfo
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Une médecin généraliste ausculte et prend les constantes d'un patient à Perpignan le 11 juillet 2022. (ARNAUD LE VU / HANS LUCAS  / AFP)

Une façon, selon le Premier ministre, de "répondre à un souci majeur des Français : la capacité de trouver un rendez-vous dans des délais acceptables". Gabriel Attal a précisé, samedi 6 avril auprès de plusieurs quotidiens de la presse régionale, les contours d'une "taxe lapin" qui consistera à prélever 5 euros en cas d'absence à un rendez-vous chez le médecin. Avec cette pénalité, le gouvernement espère libérer des millions de créneaux perdus chaque année et responsabiliser les patients.

Déjà annoncée dans son discours de politique générale en janvier, la "taxe lapin" fait partie d'une série de mesures destinées à faciliter l'accès aux soins de ville

1 Qu'est-ce que la "taxe lapin" ? 

Le 30 janvier à l'Assemblée nationale, Gabriel Attal avait présenté lors de son discours de politique générale les contours d'une mesure reposant sur un "principe simple". "Quand on a un rendez-vous chez le médecin et qu'on ne vient pas sans prévenir, on paye", avait déclaré le chef du gouvernement.

Absente du débat public depuis, la proposition refait son apparition parmi la série de mesures annoncées par Gabriel Attal samedi pour répondre à la crise du système de soins. Le locataire de Matignon voit dans cette "taxe lapin", "un mécanisme de responsabilisation" des patients. L'absentéisme croissant handicape selon lui l'efficacité du système de santé. 

Le principe de cette taxe avait déjà été proposé et voté par le Sénat, en première lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, rappelle Public Sénat. L'amendement avait été rejeté par l'Assemblée et supprimé de la version définitive du texte, adopté à l'aide de l'article 49.3 en décembre dernier.

2 Comment cette "taxe" fonctionnera-t-elle ? 

L'ex-ministre de l'Education nationale a précisé que cette taxe restera à la main du médecin. Il pourra décider de ne pas l'appliquer s'il juge les raisons du patient valables. Dans le cas contraire, 5 euros pourront être retenus aux patients qui n'honorent pas un rendez-vous ou l'annulent moins de 24 heures à l'avance. Si elle est instaurée, cette pénalité sera collectée via l'empreinte bancaire par les plateformes de prise de rendez-vous comme Doctolib ou par les soignants eux-mêmes en cas de prise de rendez-vous en direct.

D'après le média La Lettre (ex-Lettre A), la plateforme Doctolib fait du "lobbying" en faveur de cette mesure, qui lui "offre l'opportunité de s'imposer en partenaire de l'assurance-maladie et d'accroître sa clientèle".

3 Sait-on combien de rendez-vous ne sont pas honorés en France chaque année ?

L'objectif de la "taxe lapin" est de récupérer 15 à 20 millions de créneaux de consultations annuels, selon Gabriel Attal. Mais aucune évaluation nationale solide du phénomène n'existe. Seules des études avec de petits échantillons ont été réalisées et ont servi de base à des extrapolations.

En janvier 2023, l'Ordre national des médecins et l'Académie de médecine estimaient – citant sans les détailler "plusieurs enquêtes" – que "chaque semaine, 6 à 10% des patients ne se présentent pas, ce qui correspond à une perte de temps de consultation de près de deux heures hebdomadaires (...), près de 27 millions de rendez-vous par an", toutes disciplines confondues. Cette estimation repose surtout sur une enquête menée par l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) d'Ile-de-France, relève Le Monde. Il s'agit d'une extrapolation à partir des réponses d'un peu plus de 2 000 médecins à une question à choix multiples.

Le syndicat de médecins généralistes MG France a mené sa propre enquête sur les réponses d'un millier de ses adhérents. "Si on extrapole, c'est environ 6,5 millions de 'lapins' par an que nous déplorons", soit 2% des "251 millions d'actes effectués chaque année par les généralistes", conclut l'organisme.

De son côté, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux Doctolib avait communiqué en février 2023 sur les chiffres à sa disposition. "Toutes spécialités confondues, chez les professionnels utilisateurs de Doctolib, 4,1% des rendez-vous ne sont pas honorés, au sens strict du terme", affirme l'entreprise. Les dentistes sont les plus touchés, selon la même source.

4 Comment réagissent les usagers et les professionnels de santé ? 

Le président de France assos santé, Gérard Raymond, a vivement critiqué dimanche sur franceinfo la position du chef du gouvernement. Cette taxe n'est pas une mesure de "responsabilisation des patients", mais bien une tentative de "culpabilisation", selon lui. Gérard Raymond se dit "plus que jamais opposé" à cette taxe car, d'après lui, le praticien "regardera à la fin du mois et se dira : 'Il me manque quelques sous, donc je vais faire des déclarations de 'lapins'".

Du côté des soignants, l'instauration de cette taxe ne suscite pas non plus l'enthousiasme. Sur BFMTV, Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président d'honneur de la Fédération des médecins de France (FMF), impute la hausse de l'absentéisme des patients au poids croissant pris par Doctolib dans le système de soins français. "La 'taxe lapin', c'est l'Etat qui a déroulé le tapis rouge à Doctolib qui ne refuse jamais un patient qui pose 'des lapins' (...) On récolte ce qu'on sème".

La plateforme, comme les sites internet de certains cabinets médicaux, propose cependant déjà d'autres options pour réduire le risque de "lapin". Les rappels par SMS et par mail "permettent de réduire jusqu'à 60%" les consultations non honorées, estime Doctolib. La plateforme offre la possibilité aux médecins de suivre l'assiduité de leurs patients et de "bloquer la prise de rendez-vous en ligne pour les (...) récidivistes".

"Moi, si un patient a l'habitude de ne pas honorer ses rendez-vous, je l'exclus de ma patientèle", a également expliqué dimanche matin Luc Duquesnel, président de la branche généralistes de la Confédération des syndicats médicaux français, sur franceinfo.

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