"On commence à peine à en parler" : la lente évolution de la représentation du clitoris
L'organe est, pour la première fois, représenté en détail dans un manuel scolaire pour la rentrée 2017.
Le clitoris débarque dans les manuels scolaires. A la rentrée, les élèves de collège et lycée, en cours de Sciences de la vie et de la Terre (SVT), vont pouvoir découvrir la forme, la vraie, d’un clitoris. Enfin, seulement ceux qui consulteront le manuel des éditions Magnard. Car la lente évolution de la représentation de l’organe du plaisir féminin n’a pas encore atteint tous les livres scolaires.
L’organe est en effet passé par plusieurs phases, d’une période de progrès scientifique à une véritable omerta. Franceinfo a demandé au sexologue Jean-Claude Piquard, auteur de La Fabuleuse Histoire du clitoris (éditions H&O), de retracer l’histoire de l’organe du plaisir féminin.
Au XVIe siècle, la découverte
En 1558, c’est la grande découverte. L’anatomiste italien Colombo parle, pour la première fois, du clitoris. Il décrit essentiellement sa fonction érogène. "Il faut attendre 1600 pour la première représentation graphique. C’était déjà très proche de la réalité. On voyait le gland, le corps et les deux piliers, raconte Jean-Claude Piquard. L’époque a assisté à de grands progrès sur l’organe féminin."
1850, la grande étape
En 1850, les études de l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt sont publiées en français. Il y fait de grandes découvertes sur le clitoris : les bulbes vestibulaires, par exemple, que l'on voit sur l'illustration ci-dessous. "Il a également compris, en suivant les nerfs, que le clitoris regroupait une très grande quantité de terminaisons nerveuses", ajoute Jean-Claude Piquard.
Dans les écrits médicaux publiés au XIXe siècle, le sexologue salue une grande connaissance de l’organe. "Il était connu et reconnu en tant qu’organe du plaisir féminin." A l’époque, "les spasmes sexuels" féminins sont considérés comme nécessaires pour l’augmentation de la fertilité. "De 1750 à 1880, la masturbation était conseillée en couple", relate Jean-Claude Piquard.
1880, la dégringolade
"Seulement vers 1880, la médecine découvre que la procréation est liée à la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovule, et que l’ovule dépend du cycle menstruel, plus du tout du plaisir féminin", poursuit Jean-Claude Piquard. De nécessaire, le clitoris devient rapidement dangereux. "La masturbation en couple, à l’époque, était vue comme un moyen de contraception. Et pour la pensée nataliste, elle était un vrai problème", précise-t-il. Cette image, qui veut démontrer les méfaits de la masturbation, illustre son propos :
Freud, que Jean-Claude Piquard surnomme "le grand exciseur", vient alors empirer la situation. Il répand l’idée qu’une fois pubère, une jeune fille ne doit "investir que son vagin, et non plus son clitoris, pour devenir une femme", rapporte le sexologue.
L’omerta des années 1960
Le silence sur le clitoris atteint son apogée dans les années 1960, d’après le spécialiste. "Le clitoris a peu à peu reculé." Dans les traités anatomiques, les Gray's Anatomy, qui sont mis à jour tous les dix ans environ, seules quatre lignes sont consacrées au clitoris pendant la période. Sur les illustrations, il disparaît peu à peu, comme le montre l'image ci-dessous. "Quand on pense qu’avant ça, quatre pages détaillaient l’organe, expliquaient sa neurologie, etc", regrette le sexologue, qui parle d’une "mise à nuit". Il a pu consulter les dictionnaires de l’époque, dans lesquels le mot "clitoris" n’est même plus défini. "La science a reculé devant une idéologie nataliste", déplore-t-il.
Le sexologue tient à rappeler un épisode qu'il juge significatif : "Le clitoris et la vulve ont fait une petite apparition dans les manuels de sciences naturelles dans les années 1980, mais ils ont été rapidement supprimés après une attaque en justice de groupes religieux."
La lente prise de conscience, jusqu'à 2017
C’est l'urologue australienne Helen O'Connell qui vient briser l’omerta, en 1998. Elle décide de publier un dessin détaillé du clitoris, que l'on peut observer ici. "Mais la médecine sexologique a pris beaucoup de retard", note Jean-Claude Piquard.
Dans les classes, le clitoris est rarement abordé. Dans le cadre de son mémoire, Annie Sautivet a réalisé une étude (publiée sur le site de Jean-Claude Piquard) en 2009 dans un collège de Montpellier (Hérault). Elle y explique que seules 16% des jeunes filles de 4e interrogées et 35% des élèves de 3e connaissent les fonctions du clitoris. Les professeurs racontent, en effet, que l'organe n'est que rarement évoqué pendant les études de médecine. "Au cours de ma formation, j’ai étudié l’embryologie, la manière dont se forment les organes reproducteurs, et l’influence du cerveau sur la reproduction. Le plaisir était absent des programmes", confirme un professeur de SVT de Mulhouse (Haut-Rhin) à L'Obs.
"Dans les manuels, il faut attendre 2017 pour que le clitoris revienne. Et un seul a franchi le pas", note Jean-Claude Piquard. Pour cette rentrée en effet, seule la maison d'édition Magnard a illustré l’organe dans sa totalité, comme le montre ce montage publié sur Facebook.
"On commence à peine à en parler, il y a des initiatives", se réjouit Jean-Claude Piquard, qui évoque l’impression en 3D d’un clitoris par la chercheuse Odile Fillod, en 2016. Pour le sexologue, le clitoris a pourtant encore beaucoup de chemin à faire. Et pour accélérer les choses, Jean-Claude Piquard n’hésite pas à dessiner l’organe grandeur maximale dans des champs : 120 mètres, comme le décrit France Bleu, pour dénoncer le silence autour de cet organe.
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