Présidentielle 2022 : le sport-santé, un enjeu de santé publique qui reste sur la touche lors de cette campagne
A moins de deux mois du premier tour de l'élection, le sport-santé, cette notion qui voit le sport comme une thérapie ou un garant de la prévention contre certaines maladies, est une des grandes oubliées de la campagne. Un constat que déplorent les spécialistes, alarmés par les ravages de la sédentarité.
"La sédentarité est une bombe à retardement sanitaire." Dans leur rapport de juillet 2021 sur l'évaluation des politiques de prévention en santé publique, les députés Marie Tamarelle-Verhaeghe (LREM) et Régis Juanico (Génération.s) dressent un constat alarmant : les Français ne bougent pas assez. Selon ce rapport, 54% des hommes et 44% des femmes de 18 à 74 ans sont "en situation de surpoids ou obèses". Plus généralement, jusqu'à 5 millions de décès par an pourraient être évités si la population mondiale était plus active, rapporte l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ces mauvais indicateurs font "froid dans le dos", observe auprès de franceinfo Tony Estanguet, le président du comité d'organisation des JO de Paris 2024. Pour inciter les Français à enfiler leurs baskets, médecins ou élus misent sur le sport-santé, la pratique d'activités physiques contribuant au bien-être et à la santé, physique, psychologique et sociale, selon la définition du ministère. Ils auraient aimé voir le sujet au cœur de la campagne présidentielle. Mais à deux mois du scrutin, aucune trace, ou presque, de ce concept dans les programmes, discours, ou débats télés.
L'exception Yannick Jadot
Pas un mot dans la feuille de route d'Eric Zemmour (Reconquête !). Pas une ligne chez Marine Le Pen (RN), même si elle évoque la santé dans ses 22 mesures pour 2022. Rien non plus dans le programme de Vélérie Pécesse (LR). Au détour de ses 70 propositions, Anne Hidalgo (PS) promeut, elle, en une phrase, "la pratique du sport" pour son plan de prévention des maladies chroniques. Fabien Roussel (PCF) entend, quant à lui, augmenter le nombre d'heures d'activités sportives "dans les contenus des formations, de l'école maternelle au lycée", mais sans mentionner le sujet. Dans son programme en ligne, Jean-Luc Mélenchon (LFI) entend mettre en place le remboursement du sport-santé "grâce à la Sécurité sociale". Yannick Jadot (EELV), lui, en fait une priorité. Alors, pourquoi une telle discrétion ?
Le sport est bon pour la santé. Jusqu'ici rien de bien nouveau. "Ce qui est innovant, c'est que la science a prouvé que l'activité physique est une thérapeutique validée dans le traitement des maladies chroniques, explique à franceinfo Roland Krzentowski, médecin, fondateur de Mon stade, maison de sport-santé, à Paris (propriété de la mutuelle MGEN). La sédentarité augmente le risque de cancers, de diabètes ou de maladies cardiovasculaires." Pour preuve, une étude de 2017 de l'Institut national du cancer (INCa) montrait les effets bénéfiques de l'activité physique chez les patients atteints de cancer.
Un thème pas assez clivant
Ces dernières années, des actions ont bien été lancées, notamment à travers la création de maisons sport-santé, pour permettre à des patients de pratiquer un sport en étant encadré. En sortant des hôpitaux, "des personnes malades, des gens sédentaires, apprennent une activité [physique]", expliquait en octobre à franceinfo la ministre déléguée des Sports, Roxana Maracineanu. "Dans ces endroits, où il y a des éducateurs sportifs et des professionnels de santé, il est possible d'emmener les gens vers une activité physique régulière, de pérenniser cette habitude."
Le candidat Emmanuel Macron avait promis 500 structures de ce type il y a cinq ans. Finalement, 436 ont bien été labellisées, assure à franceinfo le député LREM du Cher François Cormier-Bouligeon, président du groupe Sport à l'Assemblée nationale. Au total, 3,4 millions d'euros en 2021, et 4,3 millions d'euros cette année, ont été investis dans ces maisons de sport-santé, elles ont été inscrites dans la loi sur la démocratisation du sport et "au moins 360 000 personnes y ont déjà été accompagnées", évalue le ministère des Sports à franceinfo. Roxana Maracineanu a également été la première à signer avec l'ordre des médecins une convention commune visant à promouvoir les activités physiques et sportives.
Si la droite dénonce un coup marketing avec les maisons de sport-santé, les défenseurs de la cause assurent que le signal est le bon. "Rien n'est à jeter vu d'où on part. Les maisons sport-santé, c'est bien, mais ça ne va pas assez vite", regrette l'ex-athlète Stéphane Diagana, entrepreneur dans un campus sport-santé à Mougins (Alpes-Maritimes). D'après une étude de l'AP-HP, "en France, on comptabilise 20 millions de personnes souffrant de maladies chroniques", enchaîne Martine Duclos, directrice du service de médecine du sport du CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
"Ce ne sont pas 500 maisons de sport-santé qui vont régler tous les problèmes."
Martine Duclos, directrice du service de médecine du sport du CHU de Clermont-Ferrandà franceinfo
Car l'enjeu semble de taille. Lors de la primaire Les Républicains, Michel Barnier, alors candidat, l'avait évoqué sur BFMTV : "Un pays sportif est un pays qui a le moral, qui dépense moins pour sa santé et qui sait inclure." Depuis, l'ancien commissaire européen s'est incliné face à Valérie Pécresse et le sport-santé a disparu des radars. "Je vois surtout des guerres d'ego plus que des programmes, je n'ai pas vu passer grand-chose", déplore pour franceinfo Michel Cymes, le docteur du PAF, présent sur France Télévisions, et signataire d'une tribune "Pour une France en forme".
"Le sport est malheureusement un thème très peu abordé dans les campagnes présidentielles. On évoque les enjeux d'actualité, ceux qui sont clivants et plus vendeurs pour les médias. La place du sport dans la campagne est à la hauteur du budget de l'Etat dans ce domaine : très faible", déplore Michel Savin, sénateur de l'Isère et président du groupe Pratiques sportives et grands événements sportifs au Sénat. Même dépit chez Stéphane Diagana : "C'est affligeant ! Le sujet ne fait peut-être pas le buzz, mais il rapporterait des solutions et du bien-être. Il y a un mépris pour ce qui se passe en dessous des épaules."
Depuis deux ans, la crise sanitaire liée au Covid-19 aurait pu changer la donne. D'autant que certains médecins avaient déploré la fermeture des salles de sport durant les confinements. "La pandémie aurait pu être un tremplin. On cherche des vaccins, des médicaments, mais l'activité physique en est un", observe Roland Krzentowski. "Avec une population en meilleure santé, on aurait passé la pandémie de manière moins douloureuse, au niveau individuel comme au niveau collectif", juge Stéphane Diagana.
Des bienfaits dans tous les domaines
Ce désintérêt cacherait-il un mépris pour l'activité physique en France ? C'est ce que déplore François Carré, cardiologue au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine), affligé par certains discours. "'Vous voulez qu'on mette en place des choses dont les fruits seront récoltés dans quinze ou vingt ans, alors qu'on ne sera plus en place ?' m'a dit un jour un élu. Moi qui pensais que la politique signifiait se mettre au service des autres..."
Le développement du sport-santé nécessite, il est vrai, une réflexion sur le temps long. "Il faut prendre de la hauteur et mesurer les résultats en termes de santé et sur le plan économique sur quatre ou cinq ans, admet Michel Savin. Il ne faut pas que la réflexion se limite à une année budgétaire." Mais pour ses partisans, les bénéfices ne se discutent pas : baisses des dépenses consacrées à la prise en charge des maladies chroniques, création d'emplois non délocalisables pour l'encadrement des pratiques d'activités physiques, aménagement de l'espace urbain, etc.
"En 2018, une expérimentation nommée 'As du cœur' démontrait qu'on pouvait économiser 30% du montant des soins pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires par la prescription d'une activité physique adaptée", illustre Régis Juanico, délégué chargé du sport dans la campagne de Yannick Jadot.
Le climat et la santé, même urgence
Pour mettre en place durablement le sport-santé, il faut aussi franchir quelques obstacles. Roland Krzentowski et Régis Juanico pointent notamment l'absence, dans les cursus universitaires des médecins, de formation "sur les bienfaits de l'activité physique, qui ne sont pas assez étudiés, en prévention". Autre frein, le remboursement de ces soins. Pour quelles activités ? A quelle fréquence ? Par quel circuit ? "Il faudrait une prise en charge au moins partielle de la prescription d'une activité physique adaptée par la Sécurité sociale", encourage Michel Savin.
"S'il est élu, la première mesure de Yannick Jadot sera le remboursement de la première consultation en vue d'une activité physique adaptée pour les maladies chroniques."
Régis Juanico, député Génération.s de la Loireà franceinfo
Le sport sur ordonnance, en quelque sorte. A ce sujet, certaines initiatives locales existent déjà. Dès 2012, la ville de Strasbourg l'avait expérimenté afin "de favoriser la pratique d'une activité régulière, modérée et adaptée pour des patients souffrant de malades chroniques stabilisées", rapporte France 3 Grand Est. En un an, "près de 800 ordonnances avaient été délivrées par plus de 150 médecins généralistes", estimait en 2014 à 20 Minutes Alexandre Feltz, actuel adjoint à la santé à la maire de Strasbourg.
Par ailleurs, les spécialistes insistent sur la nécessité de revoir les messages de prévention. "Un tiers des adultes respectent le programme national nutrition santé", qui recommande de consommer "au moins cinq fruits et légumes par jour", avançait en janvier 2021 Laurent Grandin, président de l'interprofession française des fruits et légumes. "La nutrition et les cinq fruits et légumes par jour, ça fonctionne peu, les Français ne le font pas, tranche Martine Duclos. La promotion de l'activité physique peut fonctionner, mais il faut se donner les moyens." Qu'ils soient financiers ou humains, alors que notre système de santé montre ses limites, selon la médecin.
"Comme pour les catastrophes climatiques, on sait que ça va nous tomber dessus, on sait que le système ne pourra pas tenir, mais on ne réagit pas, il y a un aveuglement."
Martine Duclos, directrice du service de médecine du sport du CHU de Clermont-Ferrandà franceinfo
Pour les promoteurs du sport-santé, l'espoir réside peut-être dans une échéance proche. En 2024, Paris accueillera les Jeux olympiques d'été. Un horizon qui doit permettre de remettre davantage d'activité physique dans le quotidien des Français. L'un des axes du fameux "héritage" vanté par les organisateurs. "Si on a une population en moins bonne santé, on aura moins de champions, conclut Stéphane Diagana. L'enjeu ce ne sont pas les médailles, c'est la santé, parce que celle-ci, on ne pourra pas s'en passer." Voilà une nouvelle devise : l'important, c'est d'anticiper.
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