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Fabrication, promesses, craintes… Cinq questions sur la viande artificielle, bientôt commercialisée à Singapour

A Singapour, les autorités sanitaires ont autorisé début décembre la vente de viande "de culture". Une première mondiale qui relance le débat sur le sujet. 

Article rédigé par franceinfo - David Pauget
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un échantillon de viande in vitro à l'université de Maastricht (Pays-Bas), le 9 novembre 2011. (FRANCOIS LENOIR / REUTERS)

Mangera-t-on demain de la viande de laboratoire ? Les éleveurs appartiendront-ils un jour au monde du passé, remplacés par des chercheurs en blouse blanche ? Autant de questions qui ressemblent à de la science-fiction. Et pourtant, un premier pas a déjà été franchi en Asie du Sud-Est. 

De la viande artificielle de poulet – en l'occurence des nuggets – va pouvoir être proposée bientôt dans des restaurants de Singapour, à la suite du feu vert des autorités sanitaires locales. "Une première mondiale" selon la start-up américaine Eat Just à l'origine du projet, qui a fait cette annonce le 2 décembre, saluant dans un communiqué "une avancée pour l'industrie alimentaire mondiale".

1De quoi parle-t-on exactement ?

Viande "artificielle", "cultivée", "de laboratoire"... L'appelation même fait débat. Mais concrètement, il est question de créer de la viande en laboratoire à partir de cellules, d'où le terme "in vitro" que l'on retrouve généralement. En clair, le processus de fabrication est "non naturel", la main de l'homme étant derrière. 

Aujourd'hui, des dizaines de start-up dans le monde travaillent à la création de viande artificielle : Memphis Meats, Eat Just, Just Food... En France, la societé Gourmey a comme objectif de créer du foie gras in vitro d'ici à 2022. 

2Quel est le processus de fabrication ?

Le principe est de cultiver des cellules souches provenant des animaux. "Dans les laboratoires de recherche, on prend un petit morceau, par exemple de muscle. Les cellules vont se multiplier dans une boîte ou un réacteur, et se transformer à la fin en fibre musculaire", détaille à franceinfo Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Cette méthode nécessite un milieu de culture "qui apporte de l'énergie : des acides aminés pour faire des protéines, des hormones et des facteurs de croissance", précise-t-il. 

3Quelles sont les promesses ?

Sur le papier, les avantages sont nombreux. A commencer par celui du bien-être animal, puisque cela ne nécessite plus de tuer des animaux. Il y a en d'autres. "Sur le plan sanitaire, on n'utiliserait plus d'antibiotiques chez les animaux, ce qui enlèverait le risque de résistance aux antibiotiques chez l'homme", souligne auprès de franceinfo Romain Espinosa, chercheur en économie au CNRS et spécialiste des questions animales.

"On diminue aussi les risques de zoonoses (ndlr : maladies infectieuses humaines d'origine animale). Et à terme, on pourra détecter les cellules qui posent problème dans la viande, celles potentiellement cancérigènes", ajoute-t-il. De plus, l'élevage intensif pour la consommation de viande est émettrice de méthane, favorisant l'effet de serre. Les sociétés spécialisées dans la viande artificielle entendent proposer une alternative, autre que les produits à base de végétaux.

4Pourquoi la viande artificielle fait-elle débat ?

Derrière les promesses, beaucoup d'incertitudes. Revenons d'abord au débat sémantique : est-vraiment de la viande ? Non, selon Jean-François Hocquette. "Le muscle est normalement un tissu chez un animal vivant, composé essentiellement de fibres musculaires entourées d'une trame conjonctive où l'on trouve des nerfs, des vaisseaux sanguins, des cellules de matière grasse... Le muscle est attaché au squelette animal, il est en tension", souligne-t-il. Ainsi, "cela lui confère des propriétés qui dépendent de l'emplacement du muscle dans le corps. Les fabricants n'ont reproduit qu'un muscle imparfait car le muscle n'est pas attaché aux os lors du processus in vitro."

L'autre crainte est liée au milieu de culture de cette viande in vitro. Pour l'instant, dans les laboratoires de recherche, "la solution plus efficace est d'utiliser du sérum de veau fœtal", sérum prélevé... au moment de l'abattage des animaux.

"Des entreprises disent qu'elles vont remplacer ce sérum par des hormones et facteurs croissance qu'elles vont fabriquer. Mais il y a le problème du coût de fabrication et la pollution éventuelle liée à cette fabrication", souligne Jean-François Hocquette. Enfin, les experts mettent en garde contre l'incertitude à propos des éventuels risques sur le plan sanitaire pour les consommateurs et estiment que l'on manque encore de recul.

5Quand arrivera-t-elle en France ?

C'est impossible de le dire précisément. Pour l'heure, malgré les innovations et la compétition entre les start-up, la technologie est encore expérimentale, notamment au niveau des coûts de production. "La plupart des laboratoires savent faire de la culture cellulaire à petite échelle, en boîte en plastique. Le passage au prototype commercial nécessite des coûts supplémentaires, de repenser le dispositif pour qu'il soit efficace", estime Jean-François Hocquette. 

Cela impliquerait en outre une évolution des règles européennes, qui interdisent de rajouter des implants hormonaux en élevage traditionnel. Le législateur européen pourrait s'opposer à leur utilisation dans le milieu de culture.

Enfin, la question fait débat dans la société, comme au sein du gouvernement. "Est-ce vraiment cela, la société que nous voulons pour nos enfants ?", s'interroge le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie, souhaitant qu'en France "la viande reste naturelle et jamais artificielle".

“Ce qui est dommage, c'est qu'on n'investisse pas sur ce sujet en France", regrette Romain Espinosa. Même s'il reconnaît que les incertitudes sont encore très fortes, il considère que la France ne doit pas prendre de retard sur cette technologie. "On va se faire manger, c'est evident et c'est très dommage".

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