"Qu'est-ce qui vous empêche de répondre ?" : au procès des sondages de l'Elysée, le témoin Sarkozy garde le silence
Convoqué comme témoin, mardi 2 novembre, l'ancien président de la République a refusé de répondre aux questions, au nom de son immunité présidentielle.
"Avez-vous eu connaissance de cette note ?" Silence. "Et de celle-ci ?" Re-silence. "Quelle est votre position sur la disposition du Code des marchés publics liée à la présidence de la République ?" Re-re-silence. Ce n'est pas son habitude : Nicolas Sarkozy avait comme perdu sa langue, mardi 2 novembre, face à la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Convoqué comme témoin au procès des sondages de l'Elysée, l'ancien président de la République a botté en touche sur toutes (ou quasiment toutes) les questions qui lui ont été posées, comme son immunité présidentielle l'y autorise.
Ce n'est pas le lieu qui l'effraie. Cette salle d'audience du deuxième étage du tribunal judiciaire de Paris, Nicolas Sarkozy la connaît bien puisque c'est ici-même qu'il a été condamné en mars à trois ans de prison dont un ferme dans l'affaire des "écoutes", puis en septembre à un an ferme dans le dossier Bygmalion. Mais voilà, cette fois, même en tant que simple témoin, même en sachant qu'il ne pouvait pas être poursuivi, l'ancien locataire du "Château" s'est tu. Est-ce une surprise ? Pas tant... Il suffisait de voir sa mine renfrognée, en arrivant par la porte arrière, pour comprendre que l'ex-chef de l'Etat pensait avoir bien mieux à faire de son après-midi.
#SONDAGES Question 3 : silence. Question 4 : silence. Question 5 : silence. Question 6 : silence.
— Raphaël Godet (@Raphaelgodet) November 2, 2021
Costume sombre, porte-documents sous le bras et masque sous le nez, Nicolas Sarkozy a préparé une courte déclaration pour rappeler avec ses mots combien il n'est pas ravi d'être ici, et encore moins d'y avoir été contraint par le président du tribunal correctionnel de Paris, au besoin "par la force publique". "Je respecte et j'ai toujours respecté l'institution judiciaire. (...) De mon point de vue, cette décision est parfaitement inconstitutionnelle et disproportionnée", lance-t-il, cash, à celui qui voulait tant l'entendre.
"Il me semble que je n'ai pas été assez clair"
En face, le président Benjamin Blanchet fait comme s'il n'avait rien entendu et se lance dans sa liste d'une trentaine de questions. Debout, les mains croisées devant lui, Nicolas Sarkozy les écoute, avant de les écarter. Ses non-réponses sont parfois accompagnées d'un courtois "Pardon de vous interrompre" ou "Permettez-moi de vous dire". Il peut aussi s'agacer : "Monsieur le président, il me semble que je n'ai pas été assez clair", "Je ne le ferai pas", "Vous me demandez de m'expliquer sur l'organisation du cabinet du président de la République", "Je vous ai indiqué que je n'avais pas le droit de m'extraire des obligations constitutionnelles", "Ça s'appelle la séparation des pouvoirs", "Si je commence à répondre au quart ou au dixième des questions, ça veut dire que je suis venu ici pour m'expliquer sur les faits".
Ambiance étrange dans la salle d'audience, un mélange de malaise et de curiosité : mais quelle question du président du tribunal va bien pouvoir "faire mouche" auprès de l'ancien chef de l'Etat ? Réponse : aucune. Après près de trente minutes face à un mur, Benjamin Blanchet a déjà tout demandé à l'ancien chef de l'Etat. Jérôme Karsenti, l'avocat de l'association Anticor, partie civile dans ce procès, enchaîne. Sans grand espoir :
- "Monsieur Sarkozy, vous refusez de témoigner.
- Non !
- Si !
- Non, non.
- Si !
- Non, je ne refuse pas de témoigner. C'est que je n'en ai pas le droit.
- Qu'est-ce qui vous empêche de répondre ?
- Je n'ai pas à rendre compte d'actes accomplis durant mes fonctions de président de la République."
Le président du tribunal continue de distribuer la parole. "Monsieur le procureur, avez-vous des questions ?" "Non, aucune question." Et la défense ? "Non, aucune." Moins d'une heure après être arrivé, Nicolas Sarkozy quitte la salle d'audience, entouré de ses gardes du corps. Sans avoir apporté le moindre éclairage sur les millions d'euros d'enquêtes d'opinion que sa présidence a commandées au début de son quinquennat.
Et sans adresser le moindre regard aux anciens membres de son équipe rapprochée, qui sont jugés depuis le 18 octobre et pendant un mois pour "recel", "favoritisme" ou encore "détournement de fonds publics par négligence". C'est peut-être un détail : Claude Guéant, l'ancien secrétaire général de l'Elysée, Patrick Buisson, l'ancien conseiller, Emmanuelle Mignon, l'ancienne directrice de cabinet, ou Julien Vaulpré, l'ancien conseiller technique "opinion", n'ont pas beaucoup décollé les yeux du sol tant que leur ex-"boss" était là. Ils encourent entre deux et sept ans de prison.
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