Cet article date de plus de dix ans.

Droit à l’oubli : Google croule sous les demandes

Jeudi dernier Google lançait un formulaire en ligne censé permettre d'effacer ses traces sur le web, au nom du droit à l'oubli. Plus de 42.000 internautes ont déjà envoyé leur requête.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (© REUTERS/Francois Lenoir)

C'est l'agitation pour ne pas dire le casse-tête chez Google Europe. Il y a deux semaines, la Cour de Justice de l'Union européenne a imposé au géant du net de gérer les demandes des internautes européens qui souhaitent faire disparaître certains liens les concernant dans le moteur de recherche, au nom du droit à l'oubli. Jeudi dernier, Google a obtempéré et mis en ligne un formulaire de demande de suppression de résultat. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce formulaire a du succès : plus de 42.000 internautes ont déjà envoyé leur demande.

Pierre a 48 ans. Il est l'un des tous premiers internautes européens à avoir rempli ce formulaire Google, dès la semaine dernière. Au départ, Pierre confie qu’il n'était pas très "branché" Internet. Il y a trois ans, ce sont des amis qui lui ont fait remarquer que quand on tape son nom dans Google, on tombe sur des liens plutôt fâcheux, en l'occurrence un blog insultant. Il fait la démonstration sous nos yeux :

"Voyez : je viens de taper mon nom dans ce moteur de recherche que tout le monde utilise, et le deuxième lien qui sort est un lien carrément injurieux à mon égard ! " On y lit en effet  que Pierre est une "pourriture", un "escroc", un "con". Ces insultes ont été écrites il y a trois ans par le client visiblement mécontent d’une société pour laquelle Pierre travaillait. Depuis, cette société a disparu. Elle a été placée en liquidation. Mais le lien, lui demeure bel et bien.

Trois ans de bataille en vain

Pour tenter de se faire enlever des résultats de recherche Google, Pierre a sollicité la Commission nationale informatique et liberté, qui s'est révélée impuissante. Il s'est rendu au siège de Google France dans le IXe arrondissement de Paris. En vain. Cela a été pour lui trois ans d'une bataille usante.

"C’est vraiment injuste. Ca n’est pas du tout amusant.  J’ai tout essayé pour m’en sortir. Je suis allé au commissariat de mon quartier. Les policiers m’ont renvoyé vers les services juridiques de Google, si compliqués à joindre. Je leur ai envoyé des courriers avec constats d’huissiers et accusés de réception. Je leur ai même envoyé des lettres d’injonctions rédigées par un avocat. Beaucoup d’énergie dépensée pour rien. Ils n’ont pas touché à ces référencements qui me concernent et que je trouve scandaleux ", s’agace Pierre qui veut croire que le formulaire qu’il vient de remplir sera pris au sérieux par Google étant donné la décision de la justice européenne il y a deux semaines.

Ils sont déjà au moins 42.000 Européens, comme Pierre, à avoir envoyé leur requête à Google pour faire supprimer des liens les concernant dans ce moteur de recherche plébiscité par 90 % des internautes.

Source d'espoir pour les professionnels du secteur

Pour Stéphane Boukris aussi, ce nouveau formulaire Google est source d'espoir. Lui a créé une société "ES numérique" pour aider les personnes comme Pierre, à qui des propos malveillants référencés dans Google font beaucoup de tort. Ce professionnel a été sollicité par 70 clients depuis une semaine, depuis la mise en ligne du fameux formulaire.

"Avant 80 % des rendez-vous professionnels, les intéressés vont sur Google pour faire des recherches avec celui qui va être leur interlocuteur. Alors, vous imaginez le tort que cela peut faire quand une personne est associée à des propos injurieux ou insultants dans les résultats de la recherche ", explique Stéphane Boukris. "Au moment où on est sous les feux des projecteurs, cela passe encore, mais quinze ans après, chacun a le droit à l’oubli, à une deuxième chance ", argumente-t-il.

"Jusqu’à présent, quand on essayait pour le compte d’un client de faire retirer un référencement déplaisant, on arrivait à nos fins une fois sur mille. Je veux croire que cette fois, avec la réaction de la Cour européenne et ce nouveau formulaire, la donne va vraiment changer ", conclut le jeune patron.

Le risque de censure

Certains avocats spécialistes de la question des données personnelles sur Internet sont bien moins enthousiastes. Ils savent que Google d'ici un an va recevoir 500.000 à un million de demandes d'internautes européens mécontents. Le moteur de recherche pourra-t-il vraiment  traiter tous ces dossiers. Sur quels critères acceptera-t-il ou non de déréférencer une page web ? D'autres comme Reporters Sans Frontières soulignent le risque induit par le fait d'effacer des contenus de Google, même au nom du droit à l'oubli. Les militants de cette organisation craignent la suppression de contenus à valeur d'information. En clair, ils craignent une censure.

En outre, notons que si un internaute mécontent parvient à faire déréférencer de Google un lien le concernant qui lui déplaît fortement, cela ne supprimera en rien les propos fâcheux sur le site ou le blog incriminé. Les moteurs de recherche peuvent oublier. Le web n'oublie pas.

 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.