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On a essayé de créer le test ultime pour déceler le sexisme au cinéma (et c'est compliqué)

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
"Dunkerque", de Christopher Nolan. (WARNER BROS)

Peut-on évaluer, avec quelques questions simples, la représentation des femmes dans le cinéma ? C'est ce que franceinfo a essayé de faire.

Vous ne connaissez pas le "test de Caldini-Enault" ? C'est normal. Ce questionnaire vient tout juste d'être publié sur le site de franceinfo, quelques heures avant la 43e cérémonie des César, vendredi 2 mars – qui sera placée sous le signe de la lutte contre les violences faites aux femmes –, et à deux jours de celle des Oscars, dans la nuit de dimanche à lundi. Son objectif : évaluer la représentation des femmes au cinéma. Les films que vous voyez sont-ils "sexistes" ?  En toute honnêteté, on n'a pas vraiment réussi à concocter le test ultime dont on rêvait. On vous explique pourquoi c'était plus compliqué qu'on imaginait.

>> Le dernier film que vous avez vu est-il sexiste ? Faites-lui passer notre test

Mon collègue Nicolas Enault voulait "faire un truc, avec de la data, sur les scènes de sexe au ciné..." Un peu flou. "Mais tu veux dire quoi ?", lui ai je-demandé. "Je veux voir si ce sont toujours les mecs qui sont à l'initiative, si les femmes sont plus dénudées, si c'est cliché, etc." J'ai levé les yeux au ciel avant de répondre : "Si seulement ça ne concernait que les scènes de sexe…" 

Mako Mori, Furiosa et lampadaire sexy

Nous en sommes vite arrivés à évoquer le "test de Bechdel-Wallace", né en 1985, dans la BD Gouines à suivre (en anglais), de l'Américaine Alison Bechdel. Elle a emprunté à son amie Liz Wallace trois règles qu'un film doit, selon elle, respecter : "Mettre en scène deux femmes nommées", "qui doivent se parler" et "d'autre chose que d'un homme". L'objectif était de prouver, par l'absurde, que l'immense majorité des films sont centrés sur des personnages masculins. Facile à faire en sortant du cinéma, le test n'a pas vocation à déterminer si un film est sexiste ou non. Il n'aborde ni la diversité des femmes, ni leur rôle dans les intrigues, ni la façon dont elles sont montrées. Il lui est donc parfois reproché d'être "incomplet". Sur internet, médias, féministes, cinéphiles, tentent régulièrement de le compléter.

Nous avons trouvé par exemple le "test de Mako Mori", inspiré par Pacific Rim. Dans cette superproduction, qui trébuche sur le test de Bechdel, le personnage de Mako Mori, interprétée par Rinko Kikuchi, est peut-être la seule femme, mais elle a son propre arc narratif, qui ne consiste pas à simplement mettre en valeur un homme. Pour beaucoup de fans, elle est sans conteste le personnage le plus cool. On a aussi déniché le test de la "Sexy Lamp" : remplacez un personnage féminin par un lampadaire sexy et voyez si le scénario change. Ou encore le "test de Furiosa", tiré de Mad Max: Fury Road. Il consiste en une seule question : "Est-ce que les gens, sur internet, se mettent en colère parce qu'ils trouvent le film féministe ?" C'est précisément ce qui s'est produit avec Fury Road, parce que Furiosa (Charlize Theron) a plus de texte que Mad Max (Tom Hardy), et qu'elle libère des femmes esclaves sexuelles.

"On peut faire mieux que le test de Bechdel." C'est, dans nos recherches, ce titre d'un article publié par The Verge (en anglais), qui nous a fait croire que nous aussi, on pouvait faire "mieux". L'envie était la même pour FiveThirtyEight, qui a compilé des dizaines de critères suggérés par des femmes journalistes, scénaristes et actrices : quelle place pour les femmes "derrière la caméra" ou dans les seconds rôles ? Les personnages sont-ils stéréotypés ? Les minorités sont-elles représentées ? Dans le tableau final, on voit très bien que la grande majorité des films échoue à laisser une place aux femmes "derrière la caméra". C'est finalement la comédie Bad Moms, sur des mères de famille au bout du rouleau, qui, tous critères confondus, s'en tire le plus honorablement.

"Il nous faut tellement le robot Google !"

Nous avons emprunté à ces exemples et ajouté nos propres interrogations. "La tenue des femmes semble-t-elle adaptée à leurs activités ?" ; "Est-ce qu'une femme meurt dans la première moitié du film ?" ; "Est-ce qu'il y a un personnage féminin dans une position chelou sur l'affiche ?". En voyant celle de Tomb Raider, on a ainsi eu une longue conversation sur la position "boobs and butt" ("seins et fesses") des actrices sur les affiches de films d'action, pour embrayer sur la tendance à ne garder que leurs jambes et leurs fesses. Très vite, nous avons dépassé les 30 questions, avec des tournures parfois loufoques (qu'il vaut mieux vous épargner).

Premier échec : il est impossible de se souvenir de cette litanie.  Deuxième écueil : la formulation des questions laisse parfois place à l'interprétation. C'est quoi "une tenue adaptée" par exemple ? Et pourquoi, dans Jumanji, la seule femme, jouée par Karen Gillan, crapahute-t-elle dans la jungle le nombril à l'air, quand ses collègues masculins sont en pantalon et chemise ? (En réalité, c'est une référence au jeu vidéo qui sert de point de départ au film)

A côté de ces errements, trop de questions n'avaient pas de réponse simple. Comment savoir qui apparaît le plus souvent à l'écran et qui s'exprime le plus ? La plupart des scripts sont introuvables et analyser les sous-titres est vain, car ils ne précisent pas qui parle. A tâtons, nous avons cherché une méthode. Nous avons même proposé à l'association Deuxième regard, qui lutte contre les stéréotypes de genre au cinéma, de s'associer à notre démarche. Elle a prudemment décliné, reconnaissant l'intérêt de notre démarche, tout en nous mettant en garde : "Vous verrez, vous reviendrez souvent au test de Bechdel."

Et nous commencions à le croire. Jusqu'au moment où l'un de nous s'est écrié : "Il nous faut tellement le robot Google !" Une des équipes du géant américain (en anglais) a en effet aidé l'institut fondé par l'actrice Geena Davis à analyser le temps de présence, et de parole, des personnages féminins et masculins. Parmi leurs résultats : "Les hommes sont vus et entendus deux fois plus souvent que les femmes" dans les 100 films analysés par le programme.

"C'est inexploitable"

Sans l'aide de ce robot, il a fallu nous résigner à nous concentrer sur les éléments visibles par les spectateurs et dont ils peuvent facilement se souvenir à la sortie d'une séance. Il n'est resté que dix questions. Restait à les tester auprès de nos collègues. Une quarantaine de cobayes, la liste des 30 plus gros succès du box-office en France en 2017 et dix jours pour que chaque œuvre soit vue au moins par deux journalistes : cela semblait faisable (en fait, non).

Pour certains films, les résultats sont clairs. C'était le cas pour Baby Boss, un dessin animé. Pour Dunkerque aussi, long-métrage sans personnage féminin ("Si, il y a une infirmière, à un moment", glisse tout de même quelqu'un). "Mais le test n'a aucun sens avec ce film ! Evidemment, il n'y a que des hommes, c'est la guerre !", tempère un autre de nos cobayes. De mon côté, j'ai vu Raid dingue, qui, en plus d'un passage ouvertement homophobe, donne une triste image des femmes : l'unique personnage féminin, qui veut intégrer le Raid, est présentée comme une parfaite idiote, ce qui ouvre la porte à toute une série de blagues des plus sexistes (même si la finalité est peut-être de dénoncer le sexisme). Mais au moins, le film confirme que le test fonctionne.

D'autres nous ont laissés perplexes. "On dirait que Pierre et Robin n'ont pas regardé le même Alibi.com", ai-je noté. L'un a vu dans cette comédie française des femmes plus dénudées que les hommes, et considéré que les rapports de séduction semblaient contraints et à l'initiative des personnages masculins. L'autre y a vu des rapports mutuels et un parfait équilibre entre les genres. Les films Le Sens de la fête et Thor : Ragnarok ont donné le même type de résultat.

Plusieurs leçons à en tirer : nos questions n'étaient peut-être pas encore assez objectives, ou mal formulées, et surtout deux spectateurs ne suffisaient pas à tirer des conclusions. "C'est inexploitable comme ça, a conclu Nicolas. En fait, il était bien, le test de Bechdel." Nous avons donc abandonné notre idée d'article et nous ne vous révélerons pas si les films qui ont cartonné en France l'an dernier sont sexistes ou non. Mais nous avons choisi, après quelques retouches, de publier ce "test de Caldini-Enault" imparfait, qui vous incitera, peut-être, vous lecteurs, à vous interroger sur la place des femmes au cinéma.

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