"Il y a clairement une coupure" entre le ministre et les professeurs, témoigne une enseignante en Seine-Saint-Denis
Une enseignante, l'une des premières à avoir témoigner sur les réseaux sociaux via le hashtag #pasdevague, estime que les enseignants "ne se sentent pas soutenus".
Quelques jours après la diffusion d'une vidéo montrant un élève d'un lycée de Créteil (Val-de-Marne) braquant une enseignante avec une arme factice, des enseignants témoignent de leurs difficultés face aux violences scolaires et dénoncent le laxisme de leur direction. Un laxisme que réfute Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education, qui demande de recourir au conseil de discipline dès que cela est nécessaire. "Il y a clairement une coupure" avec les professeurs, témoigne mercredi 24 octobre sur franceinfo Marie*, professeure dans un collège de Seine-Saint-Denis depuis six ans. Elle est l'un des premiers professeurs à avoir pris la parole en relayant le hashtag #pasdevague sur les réseaux sociaux. Pour elle, "les enseignants ne se sentent pas soutenus" par le ministère de l'Éducation nationale.
franceinfo : Vous avez décidé de raconter votre histoire sur Twitter, pourquoi ?
Marie : Lors de mon année de stage, pendant le dernier cours avec des élèves de 5e, je me retrouve au milieu d'une bagarre entre des garçons, et je me prends plusieurs coups qui ne m'étaient pas destinés. Pourtant, lors du conseil de discipline qui a lieu, mes coups ne sont pas du tout pris en compte, la gravité de ce qu'il s'est passé n'est pas du tout prise en compte, et on expédie rapidement les faits. Mes supérieurs me disent que finalement, je n'avais pas à être là, que j'ai juste à poser une main courante au commissariat et la justice fera le reste. En revanche, je reçois une lettre-type du rectorat disant qu'ils ont bien pris en compte les faits avec mon nom écrit rapidement à la place du blanc sur la feuille. J'ai décidé de le raconter tout simplement parce que ce phénomène de #pasdevague, c'est surtout un besoin de faire sortir les faits de violence au quotidien. Je pense qu'il ne faut pas remettre en cause la parole de ces professeurs, parce que derrière, il y a une sorte de lassitude : des réactions de la hiérarchie, du ministère, des rectorats. Les enseignants ne se sentent pas soutenus, les équipes éducatives, CPE [conseiller national d'éducation], surveillants et parfois chefs d'établissements sont pris entre deux feux. On est peu entendus.
Y a-t-il des consignes dans les collèges et dans les lycées pour faire le moins de bruit possible ?
Régulièrement, on nous demande de passer par le dialogue, ce qui est totalement compréhensible, mais quand on se fait insulter ou violenter, je pense que le dialogue doit aussi s'arrêter. Oui, à la bienveillance, oui, on doit écouter nos élèves et comprendre, mais il y a quand même des actes qui doivent être punis et qui doivent être entendus. Il y a eu beaucoup de conseils de discipline dans notre établissement, mais nos chefs se sont fait convoquer à la fin de l'année, notamment pour dire qu'il y en avait eu trop. Bizarrement, depuis, notre taux de conseils de discipline a beaucoup baissé.
Vous enseignez en Seine-Saint-Denis où c'est parfois difficile d'enseigner, est-ce que vous avez vu la situation changer depuis que vous êtes dans ce métier ?
Je pense qu'il faut aussi relativiser. La dernière enquête faite par l'Éducation nationale nous montre que le nombre d'incivilités, d'agressions et d'insultes ne bouge pas, ou en tout cas est stable depuis dix ans. En revanche, c'est la manière de le traiter qui change. Ce que l'on voit, c'est un arsenal judiciaire : l'interdiction du téléphone portable dans les lycées alors que cela ne concerne que 0,5% des agressions, le fait de parler de la suppression des aides familiales à nos élèves, ce qui veut dire qu'on pense que la violence est liée à la pauvreté, ça me révolte. On a aussi une récupération de nos témoignages par l'extrême-droite en disant qu'on montre bien que dans les banlieues, ça ne va pas. Moi, je n'ai pas envie de partager l'idéologie du bon sauvage dans les banlieues, il est hors de question de faire cela. En revanche, ce qui est sûr, c'est que l'Éducation nationale va très mal, elle survit grâce aux agents, à la bonne volonté de ses professeurs, de ses chefs d'établissements, de ses CPE. On a une baisse inquiétante des moyens, notamment humains. Par exemple, dans notre établissement, on a une seule psychologue de l'Éducation nationale, les fameuses conseillères d'orientation, pour 545 enfants, et elle vient une seule fois par semaine.
Y a-t-il une coupure aujourd'hui entre les enseignants, les chefs d'établissements et votre ministre Jean-Michel Blanquer ?
Il y a clairement une coupure, parce qu'ils sont au courant de ce qui se passe, car on écrit des lettres, on se met en grève, et pourtant ils ne nous entendent pas. Il faut qu'il se rapproche de nous, et qu'ils arrêtent de faire des calculs en permanence, et plutôt qu'ils nous écoutent. On est des professionnels de terrain.
*Le prénom a été modifié
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