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Suicide d'un adolescent à Poissy : comment la lettre du rectorat aux parents a poussé le gouvernement à réagir

Le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, a annoncé samedi un audit auprès des rectorats sur les cas de harcèlement scolaire signalés.
Article rédigé par franceinfo
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La façade du lycée professionnel Adrienne-Bolland, à Poissy (Yvelines), où était scolarisé, lors de l'année 2022-2023, l'adolescent qui a fini par se suicider le 5 septembre 2023. (JULIEN DE ROSA / AFP)

"Evidemment, c'est choquant." La Première ministre, Elisabeth Borne, a condamné, samedi 16 septembre, un courrier envoyé en mai par le rectorat de Versailles à la famille d'un adolescent, Nicolas, qui avait signalé des faits de harcèlement scolaire lors de l'année 2022-2023. Initialement scolarisé dans un établissement de Poissy (Yvelines), le lycéen de 15 ans a effectué sa rentrée dans un établissement parisien. Il s'est suicidé à son domicile le 5 septembre.

>> Ce que l'on sait du suicide à Poissy d'un adolescent de 15 ans qui avait signalé "des faits de harcèlement" scolaire

La façon dont l'Education nationale a traité ce signalement pose question après la révélation par BFMTV d'échanges écrits entre la famille, le proviseur et le rectorat, au printemps 2023. Face au tollé soulevé par ces courriers, le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, a annoncé, samedi, un audit auprès des rectorats sur les cas de harcèlement scolaire signalés. Franceinfo retrace les événements qui ont conduit le gouvernement à réagir.

Un courrier du rectorat invite la famille à "adopter" une "attitude constructive et respectueuse"

Trois lettres entre la famille de l'adolescent et les instances éducatives ont été révélées samedi par BFMTV. La plus ancienne date du 18 avril 2023. Les parents écrivent au proviseur du lycée à la suite d'une rencontre relative au harcèlement de leur fils. Ils lui annoncent qu'une main courante a été déposée au commissariat en l'absence de "la réponse" promise. "Il est incompréhensible que vous puissiez laisser un adolescent subir une telle violence verbale et psychologique dans votre établissement sans réagir d'une quelconque manière, aussi allons-nous déposer plainte et vous considérer comme responsable si une catastrophe devait arriver à notre fils", préviennent-ils.

Le proviseur se défend dans un courrier daté du 20 avril, en exposant les mesures mises en place. "L'établissement continuera à suivre et à traiter cette situation pour que la scolarité de votre fils se déroule au mieux et qu'il puisse s'épanouir", assure-t-il.

Mais c'est la lettre du rectorat de Versailles aux parents du lycéen, datée du 4 mai, qui suscite l'indignation de la famille de Nicolas. Ce courrier qualifie d'"inacceptables" les propos des parents qui ont "remis en cause" l'attitude du personnel de l'établissement scolaire.

Le rectorat mentionne également dans ce courrier l'article 226-10 du Code pénal qui sanctionne les dénonciations calomnieuses, rappelant qu'elles sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. "Je vous enjoins d'adopter désormais une attitude constructive et respectueuse envers les autres membres de la communauté éducative", est-il écrit. Et de prévenir : "Je serais contrainte, le cas échéant, de prendre toutes les mesures nécessaires tant au bon fonctionnement du service public de l'Education nationale qu'à la protection et la sécurité des personnels qui y concourent."

Le gouvernement dénonce une "défaillance" et une "honte"

"Manifestement, il y a une défaillance sur le type de réponse adressée à des parents qui étaient extrêmement inquiets", déclare Elisabeth Borne, samedi, au micro de BFMTV, jugeant "décalé" le courrier du rectorat. "La réponse que l'on doit construire, pour demain, c'est vraiment de s'assurer que tout le monde est bien formé à prendre la mesure de la gravité de ce que vivent les jeunes qui sont victimes de harcèlement", ajoute la cheffe du gouvernement.

"Ce courrier est une honte", appuie, samedi en fin d'après-midi, le ministre de l'Education nationale, face à la presse. Rappelant qu'une enquête administrative avait été lancée aussitôt après le suicide du lycéen, Gabriel Attal précise que les conclusions sont attendues "d'ici à 15 jours" et qu'il en tirera tous les enseignements, "y compris en matière de sanctions".

Gabriel Attal lance un audit auprès des rectorats

Affirmant que la lutte contre le harcèlement scolaire est sa "priorité absolue", le ministre de l'Education nationale annonce des mesures d'urgence : "Dès lundi, je réunirai l'ensemble des recteurs [d'académie], et je veux réaliser un audit sur l'ensemble des situations de harcèlement qui ont été signalées depuis l'année passée."

Dimanche, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, évoque sur RTL le caractère historique de cette annonce : "Le niveau de détresse est énorme (...) Ce qui s'est passé est une page que nous tournons dans l'histoire administrative de notre pays."

"A partir de ce moment, Nicolas n'a plus été le même", raconte la mère de l'adolescent

Selon la mère de Nicolas, la lettre du rectorat a bien eu un impact sur le moral et l'attitude de son fils. "Quand je l'ai lue, Nicolas était présent, juste derrière moi", raconte-t-elle au Journal du dimanche. La mère du lycéen raconte alors être entrée dans une "colère noire". "Nous étions outrés. Nous passions désormais pour des coupables. C'en était trop", se souvient-elle.

"A partir de ce moment, Nicolas n'a plus été le même. C'était tellement grossier et surtout injuste", ajoute-t-elle. D'après la mère, "l'inaction de l'administration a justifié le comportement de ces deux adolescents qui ont continué dans le dos des professeurs en toute impunité". Malgré cela, "Nicolas faisait semblant de ne rien voir et en souffrait d'autant plus. Et il ne me disait rien."

Les associations dénoncent des réactions similaires de l'institution scolaire dans d'autres affaires

La teneur du courrier ne surprend pas Martine Brousse, présidente de l'association La Voix de l'enfant, qui lutte contre le harcèlement scolaire. "C'est le type de courrier que reçoivent nos associations qui font de la prévention dans les établissements scolaires", réagit-elle dès samedi sur franceinfo. Elle évoque des associations "rappelées à l'ordre parce qu'elles font trop de signalements, après des interventions en classe", affirmant que deux associations ont déjà été visées "avec le risque de perdre leur agrément pour intervenir dans les écoles".

"Cette lettre est insupportable", a aussi jugé sur franceinfo Jean-Pierre Bellon, le fondateur de l'Association pour la prévention des phénomènes de harcèlement entre élèves. "Elle est surtout révélatrice d'un état d'esprit de certains cadres éducatifs qui se demandent si c'est vraiment du harcèlement (...) Ces réactions révèlent cette façon de minimiser le harcèlement, qui fait de graves dégâts dans les établissements scolaires. L'institution n'est pas là pour se défendre, mais pour protéger les enfants."

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