: Portrait "J'ai aidé un ami à mourir" et "je le demande à mon tour" : malade, le médecin Antoine Mesnier veut faire légaliser l'euthanasie
L'infarctus qu'il espérait tant est arrivé fin juillet. Antoine Mesnier a saisi une photo de ses enfants, enfilé un maillot du XV de France et rejoint son lit. "Tu attends et tu vas mourir", s'est-il résolu, tandis que son cœur le lâchait. Ce fumeur invétéré rêvait d'une bonne vieille crise cardiaque depuis que, le jour de ses 65 ans, soit un an et demi plus tôt, il avait appris qu'il était condamné par la maladie de Charcot. Cette pathologie incurable ronge les muscles et détruit les capacités respiratoires. Une fois le diagnostic posé, l'espérance de vie est de trois à cinq ans en moyenne. Une "descente aux enfers" redoutée par ce médecin bordelais.
Après cinq minutes de tête-à-tête avec l'au-delà, Antoine Mesnier a regardé ses fils. "Putain, je ne leur ai pas dit au revoir. Paul va être papa et je ne vais pas voir ça." Il a appelé les secours. L'ambulance la plus proche se trouvait à 50 minutes de chez lui. Un hélicoptère du Samu a été dépêché sur le terrain de rugby de Saint-Etienne-de-Baïgorry, son refuge des Pyrénées-Atlantiques. A l'hôpital, arrêt cardiaque. Trente secondes de plat. Et "poum", par la magie des anticoagulants, ce fou du ballon ovale a renvoyé la mort dans ses 22 mètres. "C'est moi qui choisirai le moment", raconte-t-il à franceinfo.
Le Basque d'adoption a en réalité un dernier combat à gagner : il veut contribuer à faire changer la loi française sur la fin de vie et permettre à certains malades de bénéficier d'une euthanasie. "Moi qui ai, toute ma vie, soulagé la vie des autres, je voudrais cette fois tenter de soulager leur mort", écrit-il dans un livre, Bon anniversaire Antoine (éditions Bouquins-Mollat), sorti jeudi 5 octobre. Il y révèle comment, durant sa carrière de généraliste, il a lui-même pratiqué une euthanasie clandestine. Un témoignage pour faire bouger les lignes.
"Je ne supportais pas d'avoir fait ça"
C'est l'histoire d'une promesse faite à un copain de longue date. Patrice Lestage et Antoine Mesnier se sont connus en 1991. Le premier était footballeur professionnel aux Girondins de Bordeaux, où le second officiait comme médecin du club. Dans les années 2000, Patrick Lestage, quadragénaire, s'est pointé chez son ami docteur à la suite d'un banal footing qui l'avait épuisé. "Je lui ai diagnostiqué la maladie de Charcot, que je n'avais jusque-là croisée que dans les livres", se souvient-il.
Après trois années de dégradation physique, paralysé, son ami lui a demandé de l'aider à partir. "On en avait déjà parlé, je le lui avais promis, mais c'était très dur à entendre pour moi." Une infirmière a eu vent du projet. L'affaire est remontée jusqu'au parquet de Bordeaux. "Un procureur m'a appelé. Il m'a raconté que sa femme était morte de Charcot et qu'il aurait rêvé qu'un médecin soulage ses souffrances. Mais il m'a prévenu qu'il ne pourrait pas me protéger si j'allais au bout."
L'agonie du malade s'est aggravée durant trois semaines. "Patrice avait arrêté tous ses traitements, il était fiévreux, des mouches se posaient sur ses escarres, ça puait, c'était épouvantable", décrit son ami. Une nuit de novembre 2010, Antoine Mesnier a fini par craquer. Parti assister à un match du XV de France à Paris, il est rentré par le premier train, a filé chez les Lestage et, avec leur accord, est passé à l'acte.
"J'ai pris la machine et j'ai débranché Patrice."
Antoine Mesnier, ancien médecinà franceinfo
"Antoine a été exceptionnel avec Patrice, en tant que médecin et ami. Il l'a accompagné jusqu'au bout", salue, 13 ans plus tard, la veuve de l'ancien défenseur, Annick Oleksiak. Son geste, le médecin ne l'a jamais regretté. Mais il a eu du mal à le digérer. "Je ne supportais pas d'avoir fait ça. J'étais habité par la conviction judéo-chrétienne que je n'avais pas le droit de donner la mort à quelqu'un. Mais c'était un acte d'amour ! J'ai aidé un ami à mourir. Il m'a fallu un an et demi de thérapie pour m'en remettre."
En révélant son secret, Antoine Mesnier sait qu'il prend un risque. En matière criminelle, le délai de prescription est de vingt ans. Il court, dans son cas, jusqu'en 2030. "Je m'expose à un procès ? Je veux bien aller aux assises, lâche-t-il. Je suis déjà condamné par la maladie. La prison ne me fait pas peur."
"Peut-être même que mon procès deviendrait un tournant pour faire changer la loi."
Antoine Mesnierà franceinfo
Changer la loi. L'obsession ne vient pas de lui, mais de Serge Simon, son meilleur ami, que d'autres ont connu comme rugbyman international, consultant TV et radio, ou encore vice-président de la Fédération française de rugby. C'est à lui qu'Antoine Mesnier a annoncé en premier sa maladie. C'est à lui que le médecin a ouvert sa porte, quelques jours plus tard, alors qu'il s'était coupé du monde et s'abandonnait au whisky et à la cigarette. "Il était furieux de me voir comme ça. Il m'a dit : 'On va donner un sens à ta vie et à la mienne. On va enterrer la loi Claeys-Leonetti, on va inventer la loi Simon-Mesnier.'"
A l'été 2022, le malade en a touché un mot à Emmanuel Macron. L'échange a eu lieu au Stade de France, en marge de la finale du Top 14. Grâce à des places VIP obtenues par Serge Simon, il a claudiqué avec sa canne jusqu'au salon Elyseum. Entre deux petits fours et une coupe de champagne, il a attiré l'attention du président, fraîchement réélu. "Je lui ai dit que, s'il voulait entrer dans l'histoire, comme Giscard avec l'avortement, Mitterrand avec la peine de mort ou Hollande avec le mariage pour tous, il fallait une loi sur la fin de vie. Il a pris mon numéro et, le lendemain, un de ses proches m'appelait pour recueillir mon témoignage."
"J'existe enfin"
Depuis l'annonce de sa maladie, le sexagénaire se sent "revivre". Monter des marches l'épuise, soutenir sa tête est une lutte et ouvrir un tube de dentifrice lui est impossible, mais il prend du temps pour lui et s'enrichit de chaque nouvelle rencontre. "J'existe enfin, moi qui suis passé à côté de ma vie, offerte aux autres, aux malades, 14 heures par jour." Parti s'isoler dans les hauteurs du Pays basque, il a l'impression d'y "stabiliser" sa pathologie. Mieux oxygéné, son sang s'est éclairci. "Mon neurologue ne comprend pas comment je peux encore marcher", assure-t-il.
Son espoir – vite déçu – de bénéficier d'un traitement expérimental l'a un jour conduit à Paris. Un projet de documentaire sur son combat l'a aussi mené à la capitale, où il a croisé la route de la journaliste et médecin Marina Carrère d'Encausse, devenue une amie proche. Elle parle de lui comme d'un "compagnon", lui évoque "un amour filial". Leur rencontre a donné naissance au film Fin de vie : pour que tu aies le choix, diffusé le 11 octobre sur France 2.
"Charcot me tue et me fait renaître. J'ai commencé à vivre quand j'ai su que j'étais condamné."
Antoine Mesnier, ancien médecinà franceinfo
Sachant le compte à rebours enclenché, le malade aux yeux bleus est allé régler certains comptes avec la vie. Il est retourné sur les lieux de sa jeunesse et sur les traces d'un viol infligé par un curé pédophile à 13 ans, dont il révèle l'existence. "Ce fardeau a détruit ma vie. Je suis devenu un clown triste, qui fait rire tous ses patients en salle d'attente, mais qui pleure la nuit." Cet hypersensible, contraint par la maladie d'abandonner son cabinet, connaît toujours des nuits sans sommeil. Il gamberge et se persuade parfois d'avoir été puni pour avoir abrégé les souffrances de Patrice Lestage.
>> TEMOIGNAGES. Des médecins belges racontent l'euthanasie : "Je n'ai jamais eu le sentiment de tuer"
Comme ce dernier, Antoine Mesnier a "demandé à [s]on tour" à un ami médecin de l'aider à partir. Cet ami, ce frère, c'est Serge Simon. "C'est toi que je choisis pour m'envoyer dans les étoiles quand je serai au bout, au moment où je ne pourrai plus me gratter", lui a-t-il lancé, le jour du diagnostic. "Il a pleuré, m'a serré dans ses bras et m'a dit qu'il serait là." Depuis, cette garantie de ne pas vivre le "cauchemar" de Patrice Lestage lui apporte de la "sérénité".
Il sent aussi que son dernier combat est en passe d'être gagné. Au printemps, le chef de l'Etat a promis un projet de loi sur la fin de vie. Le texte doit être présenté en Conseil des ministres en décembre, puis examiné au Parlement en 2024. Chez Antoine Mesnier, les produits létaux sont déjà prêts. Reste à attendre le feu vert de la loi, pour "ne pas envoyer Serge en prison".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.