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"Ma mort peut servir d'électrochoc" : Loïc Résibois, emporté dans son combat pour l'aide à mourir

Yann Thompson, avec les photographies de Pauline Gauer

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Depuis plusieurs mois, ce père de famille se confiait à franceinfo sur sa vie avec la maladie de Charcot et sa lutte pour l'autorisation du suicide assisté et de l'euthanasie. Il est mort, mardi, sans avoir pu en bénéficier.

Une voix s'éteint, un appel retentit. Le militant pro-euthanasie Loïc Résibois est mort, mardi 24 septembre, des suites de la maladie de Charcot, une pathologie neurodégénérative incurable qui rongeait ses muscles depuis quatre ans. De cette épreuve intime, cet homme de 47 ans avait fait une lutte politique, poursuivie jusqu'à son "dernier souffle".

Son histoire s'arrime à celle de la nation dès le diagnostic, reçu en septembre 2022, tandis qu'Emmanuel Macron relance le débat sur l'aide à mourir. Loïc Résibois finit par faire entendre sa colère en juin 2023, depuis son village agricole de la Somme, Franvillers. Ce jour-là, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, il interpelle "le président, son gouvernement et les députés". Il dénonce l'"injustice" de ne pas pouvoir "demander à mourir en France dans la dignité". Ce jour-là, il cesse de se taire. Le malade entre en croisade pour une ultime liberté, dans un pays en quête d'un "modèle français de la fin de vie".

Son combat, cet ancien policier des renseignements généraux l'entame seul. Avec sa voix pour seule arme. Une voix douce, apaisée, qui s'invite à la table des Français au gré des interviews à la radio et à la télévision. Son témoignage, humble et nuancé, enrichit le débat sur la fin de vie. Des patients reconnaissent en lui l'un des leurs et un trop rare porte-voix. Mais, déjà, l'arme s'enraye. Le débit ralentit, l'élocution ramollit, la voix faiblit. Charcot gagne du terrain.

Loïc Résibois consulte son ordinateur, le 10 septembre 2024, dans la maison de ses parents aux Portes-en-Ré (Charente-Maritime). (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

En juin 2024, au coup d'envoi de l'examen du projet de loi sur les soins palliatifs et l'aide à mourir, Loïc Résibois entame avec franceinfo un projet de journal de bord de sa maladie. Il veut raconter les hauts et les bas et, "tel un ver luisant", avant de sombrer dans la nuit, "éclairer les consciences". Il ne peut plus tenir un stylo, mais il peut dicter des messages et nous recevoir chez lui. C'est à ce moment-là que la donne politique vient tout chambouler : Emmanuel Macron dissout l'Assemblée nationale, et le texte parlementaire est abandonné, à quelques jours du vote en première lecture. Un naufrage pour le malade, qui s'accroche à son combat. Sur son radeau à la dérive, il commence son carnet de bord.

"Sacrifié" par Emmanuel Macron

Franvillers, le 18 juin. Loïc Résibois, quasiment paralysé, nous attend dans son fauteuil électrique. Il est en survêtement, prêt à mouiller le maillot. "Parler me demande un tel effort que je finis en nage", explique-t-il. Chaque inspiration, en quête éperdue d'oxygène, le défigure. "J'ai l'impression d'être un poisson échoué sur le sable qui veut retourner dans l'eau", sourit-il. Est-ce bien raisonnable de se fatiguer à témoigner ? "Je préfère user mes muscles respiratoires et perdre un peu de temps de vie plutôt que d'être réduit au silence."

"Ce combat m'aide à donner du sens à ce qui m'arrive. J'essaye de faire quelque chose de plus grand que moi."

Loïc Résibois

à franceinfo

Depuis la dissolution, le militant ne se ménage pas. Macroniste déçu, il accuse le chef de l'Etat d'avoir "trahi" et "abandonné" les malades. Il lui en voulait déjà de n'avoir "jamais eu un mot" pour eux. Désormais, c'est le "baiser de la mort".

Portrait de Loïc Résibois

“L’abandon du texte a réveillé en moi l’angoisse de devoir aller au-delà du supportable.”

“Avec le projet de loi sur la fin de vie, j’avais retrouvé une forme de sérénité. J’entrevoyais la possibilité de bien mourir. Tout est retombé comme un soufflé et j’ai perdu l’espoir de bénéficier d’une aide à mourir. J’ai peur de souffrir et que mes proches souffrent de me voir ainsi. J’en veux beaucoup à Emmanuel Macron, qui nous a sacrifiés sur l’autel de ses manœuvres politiciennes.”

Loïc Résibois, le 18 juin, à Franvillers

Se pose "la question angoissante de comment mourir". Depuis son diagnostic, le Picard refuse de se rendre en Suisse ou en Belgique, où des dizaines de Français abrègent leurs souffrances chaque année. "Je veux m'éteindre en France", clame-t-il. Il attend de son pays la fin de "l'injustice" de ces funestes exils et le droit pour chacun de "mourir dignement".

Pas question non plus "d'artificialiser" sa fin de vie. Avec une trachéotomie ou une gastrostomie, il pourrait respirer et s'alimenter par machine et par sonde. Il admire la soif de vivre de ceux qui y recourent et qui, ainsi, gagnent quelques mois ou années supplémentaires d'existence, au prix d'une dépendance accrue. "Personnellement, je ne me sens pas capable de vivre comme cela. Je n'ai pas non plus envie d'offrir dix ans de cette vie-là à ma femme. Je vois déjà à quel point c'est dur pour elle." Pour sa fin de vie, seule la qualité importe. "J'aspire à être heureux jusqu'au bout."

"La maladie est un exhausteur de goût"

Les Portes-en-Ré, 1er août. Loïc Résibois est heureux. Il nous écrit depuis son "paradis", l'île de Ré, le port d'attache estival de sa famille. Il baigne dans un océan de souvenirs de parties de tennis, de virées en roller et de maraudages de figues dans les jardins. Un an plus tôt, il faisait encore le tour de l'île à vélo. Aujourd'hui, il savoure de rouler jusqu'à la plage, en maniant un joystick surmonté de balles jaunes signées de ses idoles Roger Federer et Stanislas Wawrinka.

“Grâce à un fauteuil roulant de baignade mis à disposition des personnes handicapées, je vais me baigner tous les jours. C’est une sensation extraordinaire. Avec une frite passée sous mes bras, je peux me verticaliser dans l’eau, sentir le sable sous mes pieds et même faire quelques pas – je marche à reculons, mais je marche !”

Loïc Résibois, le 1er août, aux Portes-en-Ré

Corbeille de fruits

A l'été 2023, déjà, il dédramatisait la fin de vie. "La maladie est un incroyable exhausteur de goût", découvrait-il, mesurant sa chance de pouvoir encore parler, jouer aux cartes et nager. A l'automne, lui qui redoutait tant d'être privé de la marche confiait son "bonheur" de "retrouver une vraie mobilité" en fauteuil électrique. En juin, il plaisantait sur sa sexualité préservée : "Tout est mou chez moi, sauf ça."

"Avant d'être malade, j'étais heureux, mais je m'en rendais à peine compte. Aujourd'hui, je mesure chaque chose positive qui m'arrive."

Loïc Résibois

à franceinfo

Loïc Résibois sait la chance qu'il a d'être entouré par sa famille et ses amis, qui défilent chez ses parents. Sa mère a donné à la petite maison blanche un air de Provence. C'est ici qu'il aimerait s'éteindre. "Je verrais bien ça à l'heure de la sieste. Aller voir la mer, dire au revoir à tout le monde, embrasser ma femme et m'endormir, les volets ouverts, au son des haubans de la base nautique."

A la vie, à la mort, à l'amour

Cet été sera son dernier. "Je n'ai pas envie de pousser ma vie au-delà de la fin de l'année", nous lâche le Picard, ce 1er août. C'est la première fois qu'il prend date avec la mort. Il se sent de plus en plus oppressé par ses difficultés respiratoires, qui l'obligent à dormir avec un masque de ventilation. Il souffre d'être "emprisonné" dans son corps, un terme qu'il n'utilisait pas jusqu'ici. Malgré les moments heureux, son moral en pâtit. 

Trois jours plus tard, alerte générale. Le quadragénaire croit mourir par étouffement après avoir avalé un grain de riz de travers. Tousser ? Ses muscles thoraciques en sont incapables. "Aux urgences, j'ai vu la terreur dans ses yeux", décrit sa femme, Caroline, 48 ans. "Tout ce que j'ai trouvé à lui dire, c'est que, si on ne trouvait pas de solution, je ferais ce qu'il faudrait. Heureusement, il n'en a pas eu besoin. Il s'est mis à pleurer et m'a remercié. Savoir que je serais là l'a vraiment apaisé."

Photo de famille de Loïc Résibois Caroline Résibois devant la mer

Voilà près de trente ans, depuis les bancs du lycée à Brest (Finistère), que Loïc et Caroline cheminent ensemble. Ils ont eu un fils, Martin, 22 ans, et une fille, Capucine, 18 ans. Avec la maladie, son épouse a endossé un rôle d'aidante, toujours aimante. Elle a appris à le lever, le laver, l'essuyer, l'assister. Elle a fini par arrêter son métier d'assistante sociale. "Je me sens impuissante face à cette maladie. La seule chose que je peux faire, c'est être là et lui rendre la vie la plus agréable possible, pour lui donner envie de continuer."

Face à cet amour, le malade redoute de ne plus être à la hauteur. "L'admiration a toujours été un élément important de notre amour", confie-t-il. "Mais, avec ma déchéance physique, avec la charge mentale qui pèse sur Caro, j'ai peur que ça s'étiole de son côté." Au plus profond de lui, la peur de l'abandon, le vertige de la dépendance.

Sa femme, elle, vit comme "une chance" de ne plus rater une journée avec son mari. "Il a toujours croqué la vie à pleines dents et, là encore, il met tout son cœur dans son combat. Il m'a embarqué avec son enthousiasme. Je trouve cela magnifique." Elle reste "fière" de lui. Son combat, glisse-t-il, sans le lui avouer, il le mène "aussi pour ça".

Faux espoir d'euthanasie clandestine

Les Portes-en-Ré, le 30 août. Dans un message écrit sur fond noir, Loïc Résibois enclenche le compte à rebours. Il se donne un mois avant de tirer sa révérence.

Portrait de Loïc Résibois

“Voilà, nous y sommes…”

“Depuis des mois, je me bats pour que les malades condamnés puissent décider du moment où ils estiment ne plus vouloir ou ne plus pouvoir aller plus loin. Ce moment est arrivé pour moi. C’est à la fois un moment que j’accueille et accepte avec tristesse, mais aussi une forme de soulagement. Tristesse de quitter ce monde et les miens, mais aussi une forme de soulagement, car je suis fatigué de vivre depuis des mois avec cette maladie. J’ai exprimé la volonté de ne pas aller au-delà de la fin du mois de septembre.”

Loïc Résibois, le 30 août, aux Portes-en-Ré

Depuis sa fausse route, le Picard a vu ses souffrances s'intensifier. Il ne mange presque plus et voit arriver le "point de bascule" vers l'insupportable. Le moment est venu de trouver comment diable partir en paix. La piste du suicide est vite écartée. Revient l'idée de recourir à une euthanasie clandestine, grâce à un médecin qui s'était dit prêt le moment venu. Sauf qu'entre-temps, l'homme a pris sa retraite et n'exerce plus.

"Il m'arrive d'espérer mourir subitement, dans la seconde, pour arrêter cette vie devenue trop difficile. Mais, pour info, ça ne marche pas. Ce serait trop facile."

Loïc Résibois

à franceinfo

Reste la voie légale de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, inscrite dans le droit depuis 2016. En toute fin de vie, un patient peut demander à être plongé dans un coma pour s'éteindre en douceur, sans nutrition, ni hydratation, ni traitement de maintien en vie. La pratique reste méconnue, y compris par le corps médical. Certains y voient une euthanasie déguisée, d'autres une épreuve inhumaine. Parfois mal pratiquée, cette sédation peut s'éterniser et faire subir aux proches, des jours durant, le spectacle d'un corps qui s'émacie toujours plus.

Photo de Loïc Résibois Photo de Loïc Résibois Photo de Loïc Résibois

Loïc Résibois, lui, dénonce dans cette sédation une solution "hypocrite", qui prolonge inutilement le calvaire. Faute de mieux, il s'y résout. Avec un espoir : tomber sur un professionnel "qui augmentera un peu le produit" pour abréger l'agonie.

La bataille pour la sédation

Encore faut-il trouver un médecin et une équipe infirmière. Sur l'île de Ré, aucun cabinet n'accepte de placer Loïc Résibois sous sédation profonde et continue quand il en fera la demande. Les uns trouvent la procédure trop risquée, contraignante ou éprouvante, quand d'autres refusent les résidents saisonniers. "Une infirmière m'a presque reproché de faire un caprice en voulant mourir ici", se désespère le malade.

Surtout, Loïc Résibois est jugé trop en forme pour une sédation, car encore capable de respirer seul. Il se sent "condamné à pourrir dans un lit" jusqu'à ce que le corps médical lui accorde son feu vert. Il crie au supplice.

"Aujourd'hui, je fais l'expérience personnelle d'un système que je dénonce depuis des mois. Je vais mourir, je veux mourir et on a l'air de m'empêcher de partir sans souffrance. J'ai peur, mais cela me conforte dans la légitimité de mon combat."

Loïc Résibois

à franceinfo

Loïc Résibois est en lutte, plus que jamais. Tous les matins, il se met "au travail" sur son lit médicalisé. Devant son ordinateur, équipé d'une commande oculaire, il témoigne sur son compte Instagram. Sa sœur et son père l'aident à publier des vidéos de lui, dans lesquelles il mentionne parfois l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, dont il est membre. A la force des yeux, il répond aux nombreux messages qu'il reçoit. Il relaie aussi les histoires d'autres patients, comme pour préparer la relève.

L'heure des adieux

Les Portes-en-Ré, le 9 septembre. On le retrouve dans la salle à manger. Il a maintenant besoin d'un micro-casque et d'un amplificateur pour se faire entendre. Avec cet attirail, l'ancien des RG a des airs de frondeur prêt à haranguer la foule. Dans une autre vie, c'est plutôt lui qui fichait les citoyens en colère à Amiens, comme l'actuel député de gauche François Ruffin. A l'autre bout de la table, la mère de Loïc Résibois, rongée par le stress, prépare une énième tarte, son remède à l'impuissance. L'après-midi, les bouches à nourrir défilent. Le bal des amis se poursuit. C'est une tournée d'adieux.

Portrait de Loïc Résibois avec son chien

“C’est étrange de voir une personne pour la dernière fois. Alors on se dit tout ce qu’on a à se dire. On rigole en se remémorant les bons moments et, quelques instants après, on pleure. Quand c’est fait, je me sens généralement plus léger. Certainement ai-je conscience d’avoir la chance de pouvoir faire mes adieux à ceux que j’aime...”

Loïc Résibois, le 9 septembre, aux Portes-en-Ré

Caroline Résibois, elle, se démène pour sortir son mari de l'impasse. Ce n'est que dix jours plus tard que ses efforts finissent par payer. Le dernier médecin sollicité, le plus lointain sur l'île de Ré, accepte d'accompagner son époux dans sa demande de sédation. En parallèle, avec l'aide d'un médecin du service d'hospitalisation à domicile (HAD), une équipe d'infirmiers de La Rochelle s'engage à mettre en place le dispositif. Pour la première fois, le malade voit le bout du tunnel.

"Il a pu mourir heureux"

Les Portes-en-Ré, lundi 23 septembre. Depuis quelques jours, son état s'est fortement dégradé, nécessitant deux hospitalisations en urgence. Après un ultime reportage sur son combat sur France 2 , Loïc Résibois annonce à ses milliers d'abonnés qu'il bénéficiera d'une sédation profonde et continue dès le lendemain. "Vous vous doutez que j'aurais préféré une fin plus rapide, mais j'ai choisi, notamment par militantisme, de mourir en France, dans l'endroit qui m'est le plus cher, l'île de Ré", écrit-il, dans un dernier message, illustré par un ver luisant.

"J'espère qu'un jour, les malades français condamnés pourront choisir quand, comment et où mourir."

Loïc Résibois

sur son compte Instagram

Les Portes-en-Ré, mardi, 7h58. Dernier e-mail, "clap de fin" de son journal de bord. Quelques lignes pour "parler de la puissance de l'amour" qui le lie à son épouse, sans laquelle il n'aurait "jamais pu aller aussi loin" dans sa maladie.

Avant l'arrivée de l'équipe médicale, sa femme et sa sœur filent à la plage et, par la magie d'un appel vidéo, lui offrent une dernière contemplation de la mer. Sa fille est là. Son fils est reparti, mais les deux hommes ont "fait la paix" quelques semaines plus tôt, "après des années difficiles". Loïc Résibois est prêt. "Il n'avait pas peur, il attendait la délivrance", racontera son épouse, Caroline, le lendemain.

“Loïc est parti tout en douceur, grâce à un médecin et deux infirmières formidables. Il s’est endormi une première fois, puis s’est réveillé. C'était incroyable. Il nous a fait des clins d’œil et nous a dit que tout se passait bien. Il souriait. Il était content de ne pas avoir perdu sa voix, qui représentait tout pour lui. Après qu’il s’est rendormi, son cœur battait très vite. Il a reçu de la morphine et il est parti comme ça, rapidement, sans souffrir. Inespéré. Il a pu mourir heureux.”

Caroline Résibois, le 25 septembre, aux Portes-en-Ré

Photo de la mer

Loïc Résibois est mort avec l'espoir de susciter "un électrochoc" en faveur de l'aide à mourir, gage selon lui de fins de vie plus sereines. "Il n'est pas impossible que, de là-haut, je hante encore nos dirigeants", a-t-il prévenu. Au Palais-Bourbon, 166 députés de divers bords réclament justement le retour du texte sur la fin de vie dans l'hémicycle. Parmi eux, figurent la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne. A leur tête, le député centriste de La Rochelle et de l'île de Ré, Olivier Falorni, a promis d'être "fidèle" au message de Loïc Résibois. Une voix s'est éteinte. Son appel retentit.

Photo de Loïc Résibois

Les photographies de cet article ont été prises par Pauline Gauer, les 9 et 10 septembre 2024.

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