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Tribune Fin de vie : "Ne pas poursuivre les traitements n'a rien à voir avec une euthanasie"

Alors que les parents de Charlie Gard, bébé britannique atteint d'une maladie génétique rare, ont renoncé lundi à réclamer son maintien en vie, Bernard Devalois, spécialiste de la médecine palliative, explique comment est prise la décision de mettre fin à la vie.

Article rédigé par franceinfo - Bernard Devalois, médecin, Directeur du Centre de Recherche et d’Enseignement Interdisciplinaire Bientraitance et Fin de Vie
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Publié Mis à jour
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En France, la loi interdit "l'obstination déraisonnable" à l'égard d'un patient atteint d'un mal incurable. (WESTEND61 / WESTEND61 / AFP)

Le sort du petit Charlie Gard, un bébé britannique de 11 mois atteint d'une maladie génétique rare, provoque une vague d'émotion, bien au-delà des frontières du Royaume-Uni. Lundi 24 juillet, ses parents ont annoncé l'abandon des recours en justice qu'ils avaient intenté contre la décision des médecins de mettre fin aux soins qui le maintiennent en vie, condamnant ainsi leur fils pour qui il est "trop tard". Ce type de décision tragique pousse souvent l'opinion à pointer du doigt les équipes médicales. Bernard Devalois, médecin, directeur du Centre de recherche et d’enseignement interdisciplinaire bientraitance et fin de vie, et responsable du service de médecine palliative du CHRD Pontoise, défend la position des soignants. L'auteur de "Les Mots de la fin de vie" (Presses universitaires du Midi, 2016) détaille comment sont prises ces décisions difficiles et les multiples problèmes éthiques et sociétaux qu'elles supposent.

L’attention des médias a été récemment attirée sur les questions complexes liées aux décisions d’arrêt des traitements de maintien artificiel en vie. C’est bien sûr le cas pour Vincent Lambert, mais aussi celui de la petite Marwa à Marseille, ou du petit Charlie Gard au Royaume Uni. Jusqu’à il y a une dizaine d’année, sur la scène médiatique, les médecins étaient représentés comme ceux qui s’acharnaient à maintenir en vie à tout prix, y compris celui de souffrances inacceptables pour le patient et sa famille. Le cas de Vincent Humbert en 2003 est un exemple saisissant. On se souvient de sa mère réclamant le droit de mettre fin à ses jours contre l’avis de ses médecins. Au contraire, depuis quelques années, c’est la situation inverse qui est mise en avant. Ce serait les médecins qui décideraient, à tort, de faire cesser la vie, obligeant les proches à saisir la justice pour faire valoir un "droit à la vie" qui serait bafoué par la médecine.

Evidemment le prisme médiatique n’est qu’un reflet très imparfait de la réalité quotidienne. Les enjeux doivent être analysés pour chaque cas en particulier. Il convient aussi de décrypter les visées idéologiques des groupes de pression qui organisent l‘hypermédiatisation de cas singuliers.

Une loi qui empêche l'acharnement thérapeutique

La question majeure à laquelle les équipes soignantes confrontées aux fins de vie doivent répondre est : "Jusqu’où ne pas aller trop loin ?" L’acharnement thérapeutique, que la loi nomme "obstination déraisonnable", est un concept complexe à appliquer à une situation particulière. La loi française le définit comme des actes "inutiles, disproportionné ou n’ayant d‘autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". C’est autour de ces trois notions que s’organisent les discussions des professionnels de santé pour savoir notamment s’il faut ou non poursuivre les soins de maintien en vie.

Lorsque le patient est en capacité de décider pour lui-même, la loi française lui laisse le dernier mot pour pouvoir refuser un traitement de maintien artificiel en vie, s’il considère que c’est déraisonnable pour lui. Il s’agit bien du droit de refuser un traitement déraisonnable. En aucun cas du droit de l’exiger contre l’avis des médecins.

Lorsque le patient n’est pas en capacité d’exprimer sa volonté, il n’existe pas de transfert à ses proches de cette possibilité de s’opposer. Et encore moins un droit à exiger pour leur patient un traitement déraisonnable. Soit le patient a rédigé des directives anticipées et les médecins doivent s’y conformer. Soit le patient a désigné une personne de confiance et celle-ci doit être consultée pour exposer les souhaits exprimés antérieurement par le patient. Mais, si l’entourage doit être informé des décisions envisagées, il n’a pas, selon la loi, de rôle décisionnel. Le législateur a pris cette position (souvent mal comprise), car l’entourage est parfois divisé et pas forcément en capacité de prendre la meilleure décision possible. C’est donc à l’équipe soignante que revient de prendre cette meilleure décision possible pour le patient afin de respecter ses droits à ne pas subir une obstination déraisonnable.

Cette décision est parfois difficile à prendre. Elle doit toujours se faire dans une grande transparence et en associant les proches, en écoutant leurs opinions et en tentant de les concilier lorsqu’elles sont contradictoires. Elle ne doit jamais être prise par une personne seule, mais associer, dans une procédure collégiale, plusieurs médecins, mais aussi d’autres professionnels de santé comme les infirmières, les aides-soignantes, les psychologues, etc.

La détresse des familles instrumentalisée par les lobbies pro-vie

Dans les années 2000, la médiatisation de certaines situations avait pour objectif de remettre en question la toute-puissance médicale et son corollaire, le paternalisme, qui conduisaient à nier la parole du malade. D’autre part, certains cherchaient à utiliser ces situations pour imposer la légalisation des injections létales. Pour échapper aux griffes de médecins soupçonnés de vouloir maintenir la vie quoi qu’il en coûte, la revendication d’injections mettant fin à la vie leur apparaissait comme la seule solution.

Mais avec le remarquable travail législatif réalisé depuis 2005, dans un consensus politique à souligner, c’est une nouvelle forme de pression idéologique qui a émergée, orchestrée par les lobbyistes pro-vie. La première situation ainsi véritablement mise en scène médiatiquement fut, en 2005, celle de Terri Schiavo, une jeune femme en état chronique de conscience altérée, aux Etats-Unis. Cette mouvance conservatrice met depuis en avant, au nom de croyances religieuses, la nécessité de maintenir la vie à tout prix, contre l’avis des médecins qui décident de ne pas s’acharner. Afin de promouvoir leurs positions, elles n’hésitent pas à instrumentaliser la détresse de famille douloureusement fragilisée par la situation tragique qu’elle vive à l’occasion de la mort d’un proche. Maîtrisant parfaitement les réseaux sociaux, elles recourent, comme on le voit par exemple dans l’affaire Lambert ou dans celle du jeune Charlie, aux théories complotistes et à la diffusion massive de fake news.

La meilleure (ou la moins mauvaise) décision possible 

Loin de ces considérations idéologiques, les équipes soignantes s’efforcent de mettre en œuvre une approche bientraitante, afin de respecter au mieux les patients dont ils ont la charge et leurs proches. Pour cette femme dans le coma, en phase terminale d’une tumeur cérébrale évoluant depuis plusieurs années et qui a clairement indiqué qu’elle ne voulait aucun acharnement, il faudra discuter de l’intérêt de lui administrer des corticoïdes en perfusion pour limiter son œdème cérébral, et ainsi la maintenir en vie quelques jours supplémentaires, alors que son mari et ses enfants sont partagés entre l’envie de respecter ses volontés et leur refus de la voir disparaître.

Pour cet homme atteint d’une sclérose en plaques, maintenu en vie par une nutrition et une respiration artificielles, dont la maladie a gravement altéré ces fonctions intellectuelles, qui ne bouge plus que très difficilement une partie de sa main, devenu totalement incapable de communiquer, comment convaincre sa mère âgée qu’il va falloir réfléchir à la question de l’acharnement pour son fils ? Comment lui expliquer que ne pas poursuivre les traitements, sans lesquels il serait mort depuis longtemps, n’a rien à voir avec une euthanasie, mais constitue en fait la seule conduite bientraitante pour lui ? Comment accompagner cette autre mère qui a tout sacrifié pour son fils de 25 ans atteint d’une maladie génétique, maintenu en vie depuis des années par un appareil de suppléance respiratoire et qui, du fait de l’aggravation, devient totalement grabataire et décide en pleine conscience de sa décision de ne plus accepter cette technique de maintien artificiel en vie, et donc de mourir ?

Chaque jour, loin des micros et des juges, les professionnels de santé – dans les unités de soins palliatifs, dans les services de réanimation et partout où c’est nécessaire – s’efforcent de faire face collectivement à ces décisions nécessaires et dramatiques, en recherchant ensemble le meilleur intérêt du patient, en lien avec leur entourage. Parfois, ils ne parviennent pas à ce que leurs décisions soient comprises ou acceptées par les proches. Il leur faut alors remettre en question leur décision pour vérifier qu’elle est bien la meilleure (ou la moins mauvaise) possible. Tout passage en force est un échec et il faut savoir passer le temps nécessaire pour convaincre et/ou respecter le temps psychique nécessaire aux proches.

S’ils acceptent naturellement que la justice puisse être saisie pour vérifier que la loi a été respectée, les professionnels de santé comprendraient mal une judiciarisation systématique ou pire encore, une médiatisation partisane. Aux professionnels de santé de prendre les décisions les plus dans l’intérêt des patients, aux juges de vérifier que le cadre légal est respecté, aux médias de savoir décrypter les tentatives de manipulation dont ils sont victimes, et de refuser de céder à la facilité de l‘émotion, plutôt qu’à l’analyse de la complexité.

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