Pédocriminalité, inceste... Comment parler des violences sexuelles à mon enfant (pour mieux le protéger) ?
Aborder le sujet avec les enfants peut notamment les aider à dénoncer les violences dont ils pourraient être victimes. Voici quelques conseils de spécialistes pour engager cette conversation.
Il est venu dans mon lit et il m'a dit : 'Je vais te montrer. Tu vas voir, tout le monde fait ça.' Il m'a caressé et puis tu sais..." La publication de La Familia grande (Seuil), récit de Camille Kouchner dans lequel elle accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d'avoir violé son frère jumeau de 13 ans, a fait réémerger le sujet de l'inceste dans l'actualité et provoqué des centaines de témoignages similaires sur les réseaux sociaux.
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En France, une personne sur dix déclarait avoir été victime d'inceste, dans une enquête de l'institut Ipsos (lien vers un PDF) pour l'association Face à l'inceste, publiée en novembre 2020. Pour contribuer à lutter contre ces violences sexuelles, il apparaît nécessaire d'en parler avec les enfants. Comme l'explique la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, "il est important que les enfants soient avertis qu'il existe des personnes qui agressent sexuellement les enfants". Dans son guide sur le sujet (lien vers un PDF), elle ajoute que les auteurs sont "le plus souvent des personnes connues, des proches, des membres de la famille, et non des inconnus dans la rue".
Comment en parler aux enfants ? A partir de quel âge ? Que faire quand un enfant nous révèle une agression ? Franceinfo a interrogé pédopsychiatres et associations spécialisées pour recueillir leurs conseils.
1Je lui apprends que son corps lui appartient en m'adaptant à son âge
Il faut "apprendre très tôt à un enfant que personne n'a le droit de toucher ses parties intimes", résume la pédopsychiatre Dominique Frémy. Et ce, dès que l'enfant est en âge de faire sa toilette seul. Bien sûr, on adapte son discours au niveau de compréhension de l'enfant. Quand il est petit, mieux vaut employer des mots simples et se référer aux fesses et au sexe par le nom communément utilisé par l'enfant ("zizi", "zézette", "foufounette", etc). Il ne faut pas hésiter à lui désigner, sur le corps ou sur une poupée, lesdites zones, ajoute la responsable de l'unité du psychotraumatisme et de thérapie familiale du centre hospitalier de Novillars (Doubs).
"Il est important de leur dire que ces choses-là sont interdites, qu'elles ne relèvent pas de l'amour car c'est ce que prétendent les agresseurs", notamment dans le cas de l'inceste, explique aussi Homayra Sellier, présidente de l'association Innocence en danger. Celle-ci met toutefois en garde contre le risque d'inversion des rôles. "Ce n'est pas à l'enfant de faire attention, c'est à l'adulte de ne pas passer à l'acte. Il ne faut pas culpabiliser l'enfant s'il n'arrive pas à dire 'non'", prévient-elle.
De même, "il faut également insister auprès des enfants sur un point : si personne n’a le droit de les forcer, il en va de même pour eux. Le corps de leurs camarades ne leur appartient pas", rappelle le guide de Muriel Salmona.
2Je choisis le bon moment
Pour aborder la question des violences sexuelles, la forme de la discussion compte autant que le fond. "Ce n'est pas une conversation qu'on entame comme ça en disant : 'Allez, on va parler de ça'. Ce n'est pas un cours, il faut que ça s'inscrive dans la vie quotidienne", conseille Marie-Pierre Colombel, présidente de l'association Enfance et partage.
Le moment du bain est particulièrement adapté pour les plus jeunes, car il "permet de nommer les parties du corps les plus intimes", avance la psychiatre Muriel Salmona. "On peut aussi en parler en recourant à des livres* ou à des poupées pour lui montrer les zones du corps privées", conseille Homayra Sellier. Pour les enfants plus grands, "il vaut mieux en parler à l'occasion d'une actualité, d'un film ou de la lecture d'un livre, dans un contexte de confiance et d'échanges", estime Muriel Salmona. Ce moment d'échanges peut se faire individuellement ou avec ses frères et sœurs, relève-t-elle également.
"Le mieux est d'aborder les violences sexuelles dans le cadre plus général des violences, ce qui permettra de ne pas amalgamer violences sexuelles et sexualité", précise aussi le guide de la psychiatre. Elle recommande notamment d'éviter d'aborder le sujet quand un enfant pose des questions sur la sexualité et la reproduction comme "Comment on fait des bébés ?".
Par ailleurs, vous pouvez rappeler ces principes "avant un déplacement" en colonie de vacances, en classe verte, lors d'un week-end chez un ami ou un membre de la famille, ajoute Marie-Pierre Colombel. Prenez aussi les devants. "Informer les enfants pour qu'ils puissent en parler plus facilement est très important, mais ce n'est pas suffisant, insiste Muriel Salmona. Il est nécessaire d'aller vers eux et de leur demander régulièrement s'ils ne subissent pas ou n'ont pas subi de violences."
3Je lui dis qu'il peut me parler et lui désigne d'autres personnes de confiance
L'objectif de la conversation est aussi de faire comprendre à votre enfant que le sujet des violences sexuelles n'est pas tabou, et que vous êtes à sa disposition pour en parler. Le silence est en effet l'une des armes des agresseurs. "Pour les victimes, il est très compliqué de parler, surtout quand les agressions ont lieu dans le milieu familial, car le sentiment de culpabilité est très présent", rappelle Marie-Pierre Colombel, de l'association Enfance et partage. L'enfant peut également avoir peur de ne pas être cru, ou de causer de la peine ou de la colère à ses parents.
Pour contourner cette autocensure, elle conseille de convenir avec son enfant de personnes de confiance extérieures au cercle familial, avec qui il se sentirait à l'aise. Objectif : qu'il ou elle puisse se confier facilement. Il peut s'agir par exemple de copains à l'école, d'un enseignant, d'une assistance sociale, etc.
4Je repère les signes de potentielles violences sexuelles
Outre les éventuelles séquelles physiques (rougeurs sur les parties intimes, douleurs somatiques répétitives et inexpliquées), les parents doivent être attentifs aux changements de comportements (perte d'appétit, morosité soudaine…), aux régressions dans le développement (un enfant propre se remet à faire pipi au lit, il passe des nuits agitées alors qu'il dormait bien, il se met à bégayer, etc.) ou à l'apparition de comportements sexualisés, l'enfant reproduisant sur lui ou sur d'autres ce qui lui a été fait. Un vif refus lié à la visite d'un adulte, au départ en colonie de vacances ou à une activité scolaire doivent aussi être entendus, soulignent les expertes interrogées par franceinfo.
Ces signes peuvent être les révélateurs de traumatismes, même s'ils ne sont pas toujours liés aux violences sexuelles. Cette possibilité doit au moins être prise en compte. "Souvent, les proches repèrent les changements dans le quotidien de l'enfant, mais le mettent sur le compte d'autre chose, comme le décès d'un grand-parent ou un divorce en cours", regrette la pédopsychiatre Dominique Frémy.
Si vous constatez l'apparition de l'un ou plusieurs de ces signes, déclenchez une conversation avec votre enfant, par exemple en disant "Si tu veux en parler, on peut", indique Marie-Pierre Colombel. Cette dernière rappelle également qu'il est possible de l'emmener consulter un pédopsychiatre, parfois mieux placé qu'un proche pour délier la parole.
5Je m'entoure de professionnels si mon enfant me révèle une agression
Si votre enfant vous dévoile avoir été victime de violences sexuelles, "la première chose à faire est de l'écouter, de le croire, et de récolter un maximum d'informations", conseille Homayra Sellier, présidente de l'association Innocence en danger. Il faut "dire aux enfants (...) qu'il est normal d'être mal, de se sentir différent", ajoute Muriel Salmona dans son guide.
En cas de flagrant délit, appelez le 119, numéro national dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger, afin de dénoncer l'agresseur. Un signalement aux forces de l'ordre sera effectué. "Si l'enfant parle rapidement après l'agression, comme il reste pendant plusieurs jours des traces d'ADN, il faut mettre de côté les vêtements qu'il portait et l'emmener voir un médecin qui pourra effectuer un certificat médical", recommande aussi Homayra Sellier.
Les parents peuvent également porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie pour leur enfant. Les associations recommandent toutefois de prendre rendez-vous par téléphone avant et de s'assurer que les officiers en charge de recevoir votre enfant sont formés aux violences sexuelles. Il est également possible de discuter avec un avocat spécialiste des violences ou une association pour se faire conseiller avant d'aller porter plainte.
En plus de la procédure juridique, il faut proposer un accompagnement psychologique à son enfant, et ne pas hésiter à en suivre un soi-même : c'est possible en prenant rendez-vous avec un médecin généraliste, un pédopsychiatre, ou une association (certaines proposent des accompagnements psychologiques gratuits).
Sachez enfin que si votre enfant se confie à un membre du personnel médical, la Haute Autorité de santé recommande (lien vers un PDF) à ce dernier de faire un signalement au procureur de la République et à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Ces signalements sont mêmes obligatoires si l'enfant s'est confié à un membre du personnel de l'Education nationale.
* Elle conseille par exemple Et si on se parlait ? (Harper Collins), dès 3 ans, ou La princesse sans bouche (Bayard), à partir de 5 ans.
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