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Immigration : pour tenter de reprendre des couleurs, la droite engage un bras de fer avec le gouvernement

L'exécutif s'est donné un mois pour parvenir à un accord sur la réforme de l'immigration avec Les Républicains, dont les voix sont indispensables pour faire adopter le texte.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président des Républicains, Eric Ciotti, avec le sénateur LR Bruno Retailleau (à gauche), le 24 janvier 2023 à Paris. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Le feuilleton des retraites à peine achevé, voilà l'exécutif face à un nouveau casse-tête : comment trouver une majorité pour faire adopter sa réforme sur l'immigration ? Pragmatiques, les macronistes ont jeté leur dévolu sur Les Républicains (LR), majoritaires au Sénat et dont les 59 sièges à l'Assemblée nationale peuvent offrir les voix pour faire passer le texte. La politique migratoire sera abordée par le président du parti, Eric Ciotti, lors des Etats généraux du mouvement, organisés samedi 17 juin à Paris. Sur ce thème, marqueur de la droite, les LR font monter les enchères pour obtenir un durcissement de la réforme.

Depuis la fin du mois de mai, Gérald Darmanin, chargé par l'exécutif de mener des concertations avec la droite, multiplie les rencontres avec des parlementaires LR. "Notre objectif, c'est de trouver un accord avant la pause estivale, d'ici au 14 juillet", explique le cabinet du ministre de l'Intérieur à franceinfo. Cela laisse à peine un mois pour élaborer un texte susceptible de séduire la droite. "Il va être très complexe d'arriver à une majorité, LR place très haut le niveau de ses enchères", prévient le sénateur centriste Philippe Bonnecarrère, corapporteur du projet de loi du gouvernement au Sénat.

La régularisation des sans-papiers, une "ligne rouge"

Lors de l'examen en commission des lois au Sénat, le 15 mars, LR est déjà parvenu à durcir la réforme, en resserrant les critères du regroupement familial et en renforçant le contrôle de l'immigration étudiante. L'aide médicale d'Etat (AME) a aussi été transformée en une aide médicale d'urgence uniquement. Le parti veut désormais enterrer la proposition d'un titre de séjour pour des immigrés travaillant dans les secteurs qui peinent à recruter, comme la restauration ou l'hôtellerie. Mais l'exécutif est attaché à un certain équilibre de son texte, qui prévoit de renforcer les expulsions, en particulier pour les étrangers condamnés, tout en facilitant les régularisations de sans-papiers.

"Sur ce sujet, on ne veut pas d'eau tiède, pas de 'en même temps'. Il y a des lignes rouges, notamment la régularisation des étrangers travaillant dans des métiers en tension", tranche Annie Genevard, députée LR du Doubs et secrétaire générale du parti. Eric Ciotti et ses troupes ont déjà annoncé que cette disposition n'aurait pas le soutien de LR à la réforme si l'exécutif n'y renonçait pas.

"J'ai dit à Gérald Darmanin que ce n'était pas discutable", confirme le sénateur du Rhône François-Noël Buffet, l'un des nombreux parlementaires LR reçus par le ministre de l'Intérieur, qui doit encore rencontrer Bruno Retailleau, chef de file LR au palais du Luxembourg, et Eric Ciotti. "Cette mesure envoie un message dangereux, en disant aux migrants et surtout aux réseaux mafieux de passeurs, qu'au bout du compte, si vous avez un boulot, alors vous pourrez rester en France même si vous êtes entré de manière irrégulière", insiste le sénateur.

La menace d'une motion de censure

Pour faire pression sur le gouvernement, les LR ont déposé deux propositions de loi (une ordinaire, et une constitutionnelle) contenant leur propre réforme. Elle comporte des points communs avec le texte du gouvernement, ce dernier s'étant inspiré des travaux de la droite pour s'assurer de son soutien. Mais elle va plus loin en proposant de s'affranchir des règles et traités européens en matière migratoire. Une ligne rouge pour Matignon, cette fois.

La Première ministre, Elisabeth Borne, a toutefois envoyé des signes d'ouverture, affirmant jeudi au Figaro être prête à "discuter" des "modalités" de régularisation des sans-papiers travaillant dans des métiers en tension. Au lieu d'exiger trois ans de résidence en France et une promesse d'embauche dans un secteur peinant à recruter, le gouvernement serait prêt à élever jusqu'à sept ans la durée de résidence et de restreindre la régularisation aux travailleurs en CDI payés 1,5 fois le smic. 

"C'est bien que la Première ministre commence à envoyer quelques signaux, mais il faut aller plus loin", réagit François-Noël Buffet. "Si le gouvernement essaie de passer en force, nous déposerons une motion de censure", a prévenu le président du groupe LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, au micro de LCI jeudi. "S'il ne trouve pas de majorité, Emmanuel Macron devra abandonner la réforme, ou dissoudre l'Assemblée", renchérit un cadre du parti.

Après un débat sur les 64 ans qui a révélé ses divisions internes, la droite compte se refaire une santé en affichant son unité sur la question de l'immigration. Les Républicains entendent ainsi préparer au mieux les élections européennes de 2024, sans oublier la présidentielle de 2027.

La voie s'avère donc étroite pour l'exécutif, qui doit aussi ménager l'aile gauche de la majorité, à l'instar du député de la Vienne Sacha Houlié, qui défend le droit de vote des étrangers aux élections municipales. "Le gouvernement est coincé entre son aile gauche et son aile droite, il essaie de trouver une majorité introuvable. Darmanin utilise tous les moyens de la séduction, mais ça peut durer indéfiniment", observe Julien Aubert, vice-président de LR.

"Si le gouvernement abandonnait sa mesure sur les métiers en tension et acceptait de piocher dans nos propositions, ce serait une victoire politique pour nous."

Julien Aubert, vice-président des Républicains

à franceinfo

Certains s'interrogent cependant sur les réelles intentions de la droite. "Je me demande si elle veut mettre sa patte sur ce texte en obtenant des concessions, ou si elle ne veut pas d'un accord, lâche un parlementaire centriste. Car si un compromis est trouvé et qu'elle vote la réforme, alors il n'y a plus de marqueur et la droite fait partie de la majorité. D'où cet exercice de faire grimper le gouvernement à une échelle sans fin, en faisant monter les enchères."

"Le parti ne veut pas que ce débat parasite la campagne des sénatoriales en septembre", assure une députée LR, pour qui la droite n'est pas pressée de boucler les concertations avec le gouvernement. "Notre gros dilemme aujourd'hui, c'est qu'on est divisés entre ceux qui pensent qu'on peut soutenir des textes du gouvernement s'ils vont dans le bon sens, sans être des supplétifs de Macron, et ceux qui sont viscéralement anti-Macron", poursuit-elle.

Quelle que soit l'issue de ces négociations délicates, le parti espère récolter le fruit de ses prises de position sur la politique migratoire, tant auprès de l'opinion qu'en interne. "C'est un sujet qui rassemble notre famille, il faut qu'on soit capables de se ressouder", espère la députée LR de Haute-Savoie Virginie Duby-Muller.

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