Nouvelle loi immigration en 2025 : quelles sont les mesures déjà adoptées avec les textes votés durant ces vingt dernières années ?

Article rédigé par franceinfo
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Une discussion à l'Assemblée nationale, du projet de loi sur l'immigration de Gérald Darmanin, le 19 décembre 2023 à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Alors que le gouvernement a annoncé vouloir de nouveau légiférer pour allonger la rétention administrative des étrangers clandestins jugés dangereux, certains dénoncent l'inflation législative dans ce domaine depuis quatre mandatures.

"Il y aura besoin d'une nouvelle loi." La porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a confirmé dimanche 13 octobre que l'exécutif prévoyait un nouveau texte sur l'immigration, dont l'examen pourrait démarrer dès "début 2025" au Parlement. A peine un an après la loi de Gérald Darmanin sur le sujet, qui avait fracturé la majorité à l'Assemblée nationale, l'objectif est de prolonger "la rétention administrative" des étrangers clandestins jugés dangereux, dans le sillage de l'affaire Philippine. Une des pistes envisagées est de faire passer la durée maximale de rétention de 90 à 210 jours, ce qui n'est possible pour le moment qu'en matière d'infractions terroristes. 

De quoi faire faire grincer des dents dans le reste de la classe politique et notamment du côté du camp présidentiel. Le chef de file des députés macronistes, Gabriel Attal, a estimé lundi qu'une nouvelle loi sur le sujet ne lui semblait "pas totalement prioritaire". Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a rétorqué mardi sur France 2 qu'il ne souhaitait pas "aller au-delà de ce qui a été voté" en janvier 2024 et censuré par le Conseil constitutionnel. Sur le réseau social X, le député LFI Paul Vannier a chiffré à "19" le nombre de lois immigration "ces vingt dernières années", dénonçant un gouvernement de "larbins prêts à faire leur la politique de l'extrême droite pour se maintenir". Comme le recensait Le Monde, 19 textes de loi sur l'immigration sont en effet entrés en vigueur depuis un peu plus de vingt ans et le second mandat de Jacques Chirac. Franceinfo se penche sur les principaux et sur ce qu'ils ont mis en place en la matière.

Délais de rétention, regroupement familial, mariages blancs... Cinq lois sous l'ère Nicolas Sarkozy

Comme l'analyse Le Monde dans son passage en revue des 118 textes de loi sur l'immigration votés depuis 1945, les ministres de l'Intérieur ont toujours voulu laisser leur empreinte sur la question. Mais parmi eux, Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy ont été les plus actifs.

En novembre 2003, le ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac, qui entame son second mandat, obtient le vote de sa première loi sur le sujet. Celle-ci durcit les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, en allongeant les délais de rétention à 32 jours (contre 12 auparavant), en recueillant les photos des étrangers dans un fichier policier et en renforçant les peines en cas d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers.  

Un mois plus tard, la loi Villepin (alors ministre des Affaires étrangères) sur l'asile vient compléter cet arsenal. Afin de raccourcir le délai d'instruction des demandes d'asile, le texte oblige les préfectures et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à privilégier les procédures rapides. Corollaire de cette mesure, les demandeurs n'ont plus que 21 jours pour constituer leur dossier (contre un mois avant) et doivent le faire en français. 

En juillet 2006, une deuxième loi Sarkozy sur l'immigration est adoptée puis validée par le Conseil constitutionnel. Elle supprime la régularisation de plein droit après dix années de présence en France, qui existait depuis 1984. Elle durcit également les conditions du regroupement familial, en allongeant à 18 mois – contre 12 auparavant – le délai de séjour en France requis pour en faire la demande et en contraignant les conjoints de Français à retourner dans leur pays pour faire la demande d'un visa de long séjour.

La même année, en novembre, une loi portée par le garde des Sceaux, Pascal Clément, s'attaque aux mariages blancs en rendant obligatoire le contrôle de l'identité des candidats au mariage et en prévoyant une audition des futurs époux en cas de doute. L'opposition socialiste dénonce alors "une stigmatisation des étrangers", principalement visés par ce texte.

En novembre 2007, une cinquième loi vient enrichir l'arsenal législatif. Nicolas Sarkozy est désormais président de la République et son ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, obtient une restriction accrue du regroupement familial en soumettant les candidats à un test de connaissance de la langue française et des valeurs de la République ainsi qu'à un test ADN si "l'état civil présente des carences" dans le pays d'origine. L'Ofpra passe par ailleurs de la tutelle du ministère des Affaires étrangères à celle du tout nouveau ministère de l'immigration, qui sera supprimé en 2010.   

Mesure privative de liberté, rétention de mineurs, étrangers malades : trois lois votées par la gauche sous François Hollande 

L'alternance politique, avec l'élection du socialiste François Hollande en mai 2012, n'a pas freiné le mouvement de durcissement de la politique migratoire française, même si des assouplissements ont été concédés. Avec les révolutions du "printemps arabe" dans les années 2010, qui ont évolué vers des guerres civiles dans certains Etats comme la Syrie et la Libye, la France a été confrontée, comme l'ensemble de ses voisins européens, à une vague de réfugiés et une hausse des demandes d'asile. 

En décembre 2012, la loi sur le droit au séjour du ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls, est ainsi adoptée pour dissuader les entrées individuelles sur le territoire. Tout en abrogeant le délit de séjour irrégulier, pour se conformer au droit européen, elle crée une mesure privative de liberté qui remplace la garde à vue. L'idée, comme l'explique le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), est de permettre aux forces de l'ordre de garder à disposition pendant 16 heures les personnes contrôlées, le temps de vérifier leur droit au séjour et d'obtenir le cas échéant un ordre de quitter le pays. La loi supprime aussi le délit de solidarité, qui réprimait depuis 1994 l'aide aux étrangers en situation irrégulière. Mais, regrette le Gisti, le texte se limite à élargir le cercle des personnes protégées contre des poursuites pénales.

A l'été 2015, alors que la France s'est engagée à accueillir 30 000 demandeurs d'asile en pleine crise migratoire –  seuls 10% l'ont finalement été –, la loi sur l'asile du nouveau ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, met en place le titre pluriannuel de séjour, d'une validité de deux à quatre ans. Le but est de permettre aux étrangers en règle d'éviter "une dizaine de passages par an en préfecture". Mais, comme l'observe Le Monde, le texte permet par ailleurs de maintenir en rétention des étrangers mineurs, à l'encontre de la promesse faite par le candidat Hollande en 2012. 

En mars 2016, une nouvelle loi Cazeneuve sur le droit des étrangers est promulguée. Elle va plus loin dans la rétention des mineurs puisqu'elle rend possible l'enfermement des enfants de familles étrangères dans les commissariats (locaux de rétention administrative). Les décrets d’application de la loi placent en outre la procédure des "étrangers malades", qui relevait des agences régionales de santé, sous la houlette de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et donc indirectement du ministère de l’Intérieur. Ces décrets renforcent aussi le droit à l'information des préfets sur le contrôle du séjour des étrangers en possession de cartes de séjour pluriannuelles.  

Examen des demandes d’asile, polygamie et OQTF : trois lois sous Emmanuel Macron  

Dans ses promesses de campagne, en 2017, Emmanuel Macron avait promis de réduire à six mois la durée moyenne de traitement des demandes d'asile. La loi asile et immigration du 10 septembre 2018, portée par le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, modifie ainsi la procédure administrative. Si le délai moyen de traitement des dossiers par l'Ofpra s'établit toujours, en 2021, à "8,6 mois", il est ramené à quatre mois en 2023, selon le rapport annuel de l'Office (PDF), "un délai historiquement bas". A l'inverse, la loi, qui a provoqué de vifs débats jusque dans les rangs de la majorité, allonge la durée maximale du séjour en centre de rétention à 90 jours, pour faciliter les reconduites à la frontière. 

En août 2021, nouvelle controverse avec la loi confortant le respect des principes de la République, dite "loi contre le séparatisme", qui contient des dispositions sur l'immigration. Elle prévoit qu'aucun titre de séjour ne peut être délivré à un étranger vivant en France "en état de polygamie". Le texte prévoit aussi le refus et le retrait d'un titre de séjour à un étranger ayant manifesté un rejet des principes de la République. Mais le Conseil constitutionnel censure cet article, en raison de son imprécision.

Trois ans plus tard, les Sages censurent massivement une nouvelle loi immigration défendue par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Promulgué le 26 janvier 2024, ce texte, qui ne comporte plus que 51 articles sur 86, élargit les obligations de quitter le territoire français (OQTF) à des étrangers habituellement protégés, comme les personnes arrivées en France avant l'âge de 13 ans, crée un fichier des mineurs non accompagnés délinquants, conditionne l'obtention d'un titre de séjour au respect des "principes de la République" et allonge de six mois à un an la durée d'assignation à résidence d'étrangers soumis à une mesure d'éloignement. Seule disposition présentée comme un élément d'équilibre du texte, la régularisation de travailleurs sans-papiers dans les "métiers en tension" est rabotée puisque les préfets doivent donner leur aval à la délivrance ou non d'un titre de séjour.  

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