Délit de faciès : l’Etat devant la cour d’appel de Paris
Ils estiment avoir été ciblés par la police uniquement pour leur couleur de peau. Treize citoyens assignent à nouveau l'Etat en justice pour ce qu'ils considèrent comme des "contrôles au faciès". Déboutés en première instance, ils ont depuis obtenu le soutien du Défenseur des droits. Devant la cour d'appel de Paris, ils tenteront ce mercredi de faire condamner l'Etat pour faute lourde.
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Pour eux cela n'a rien d'anodin. Certains disent avoir été contrôlés parfois tous les deux jours pendant plusieurs années. Etudiants ou salariés, ils tous ont un casier judiciaire vide. Une partie d’entre eux a des origines arabes, l'autre a la peau noire. "C’est clairement la couleur de ma peau qui a fait que j’ai été contrôlé ", raconte Bocar qui se souvient du procès en première instance, "ils ne l’ont pas dit ouvertement lors du procès mais dire ‘il sortait d’un quartier, il marchait à vive allure et il avait une capuche’, qu’est-ce que ça veut dire ? ". Ce professeur de français de 35 ans a été contrôlé en 2011 à la sortie de chez ses parents à Saint-Ouen en compagnie de ses deux jeunes sœurs.
Sentiment d’humiliation
S'ensuivent 20 minutes d'une vérification d'identité tendue, de la part d'un policier "discourtois ", dit Bocar. Les policiers le tutoient mais ne lui indiquent pas la raison de son contrôle. "Si on m’avait dit ‘Vous correspondez à un signalement’, j’aurai compris, mais là, je ne sais pas et je ne sais toujours pas ce qui s’est passé ", déplore-t-il, "on nous explique que le contrôle n’a pas à être motivé. On est dans un Etat de droit ou pas ? ", s'interroge le professeur.
Cette incompréhension a poussé Bocar à saisir la justice. Il l'a fait surtout pour ses deux sœurs qui ont assisté à la scène et aux yeux desquelles il a eu l'impression d'avoir été sali. "Tout mon travail de défense des valeurs républicaines dans ma cité s'effondre". Sihame Assebague, porte-parole du collectif "Stop le contrôle au faciès", un collectif qui soutient les plaignants, le regrette lui aussi : "Les contrôles discriminants peuvent en effet être lourds de conséquences. "
Déboutés en première instance, soutenus par le Défenseur des Droits en appel
En première instance, les juges ont estimé que les plaignants n'avaient pas apporté la preuve d'un comportement discriminatoire de la police. Preuve évidemment "difficile voire impossible à établir ", expliquent leurs avocats. Il n'existe en effet aucune trace écrite de ces contrôles, les plaignants ont quand même pu recueillir des attestations de témoins des scènes. Ils s'appuient aussi sur des études, comme celle menée par le CNRS en 2009 selon laquelle les personnes perçues comme "noires" et "arabes" ont respectivement six et huit fois plus de chances d'être contrôlées que celles perçues comme "blanches".
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Les plaignants ont fait appel et ils ont sollicité le Défenseur des droits Jacques Toubon qui s'est impliqué dans le dossier. Un de ses représentants sera ce mercredi à l'audience pour dire qu'en matière de discrimination, il doit y avoir ce qu'on appelle "un aménagement de la charge de la preuve ". Terme un peu technique qui veut dire que ce n'est pas au plaignant de prouver qu'il a été discriminé mais à l'institution de montrer qu'elle a été impartiale.
Jacques Toubon, invité de France Info mrecredi s'est exprimé sur la problématique :
"La procédure actuelle des contrôles d’identité ne me paraît pas correspondre à ce qu’exigent les droits fondamentaux."
Le Défenseur des droits remarque aussi qu' "il n’y a pas de traçabilité et d’encadrement des contrôles d’identité ".
Le Défenseur des droits sera-t-il suivi ? Slim Ben Achour, un des avocats des plaignants, préfère rester prudent même si à ses yeux le contexte politique a aussi évolué. "Parler de ségrégation raciale comme l’a fait le président de la République, ou d’apartheid comme le Premier ministre m’interpelle dans notre dossier parce que notre droit (…) n’est pas un droit d’apartheid. Chaque fils de la République a les mêmes droits ".
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