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ENTRETIEN. Perquisitions dans cinq banques : "Ça doit sérieusement nous inquiéter", avertit une économiste qui réclame "une régulation financière beaucoup plus forte"

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Article rédigé par franceinfo
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Jézabel Couppey-Soubeyran pointe "un secteur bancaire européen concentré autour d'un petit nombre de très gros établissements avec un pouvoir de marché démentiel qui opèrent en toute impunité".

"En tant que citoyen et contribuable ça doit sérieusement nous inquiéter et nous inciter à réclamer une régulation financière beaucoup plus forte", affirme mercredi 29 mars sur franceinfo Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste spécialiste du secteur bancaire au lendemain des perquisitions menées dans cinq banques à Paris et à La Défense (Société générale, BNP Paribas, Exane, Natixis et HSBC). Cinq enquêtes sont ouvertes depuis 2021 pour "blanchiment de fraude fiscale aggravée" et certaines pour "fraude fiscale aggravée" après les révélations du schéma de fraude dit "CumCum" par le journal Le Monde en 2018. Un montage fiscal sur les dividendes "à la limite du légal", estime Jézabel Couppey-Soubeyran. Sur franceinfo, la maîtresse de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne appelle les gouvernements à se saisir du sujet et à regarder de plus près le "pouvoir de marché énorme" dont disposent ces établissements bancaires et qui "leur donne une impunité"

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franceinfo : En quoi consiste concrètement ce schéma de fraude dit "CumCum" ?

Jézabel Couppey-Soubeyran : On parle d'un montage d'opération à la limite du légal. L'investisseur étranger, qui détient des actions, est soumis à une taxe sur les dividendes. Il est en relation avec une banque qui est un autre investisseur, mais qui est résidente et donc pas astreinte à la taxe sur les dividendes. L'opération consiste à faire en sorte que l'investisseur étranger prête pendant un moment ses actions à la banque résidente juste avant la distribution des dividendes comme ça c'est la banque qui perçoit les dividendes, sans être astreinte à la taxe. Une fois que ceci est passé, les actions sont restituées à l'investisseur étranger initial et ils se partagent les économies réalisées.

S'agit-il de petits épargnants ou de fonds d'investissement ?

Les fraudeurs présumés sont des grandes banques, des colosses aux pieds d'argile qui caractérisent la structure même du marché bancaire européen. Même depuis la crise financière de 2007-2008, même depuis qu'on a réalisé le danger que font peser ces établissements, on continue d'encourager leur croissance. Leur poids correspond à un pouvoir de marché énorme et ce pouvoir de marché leur donne une impunité qui n'est pas sans lien avec toutes ces affaires.

Est-ce, selon vous, de l'optimisation fiscale légale ou de la fraude ?

C'est la justice qui le dira. S'échanger des actions entre résidents ou non-résidents ce n'est pas interdit. Les financiers pourront donc toujours se prévaloir de ça. Mais on voit bien que c'est un contournement du principe de la taxe.

En 2018, plusieurs médias internationaux, dont Le Monde, avaient évoqué ces soupçons. À l'époque, on parlait d'une dizaine de pays impliqués et d'un préjudice total de 140 milliards d'euros sur vingt ans. Depuis cette enquête que s'est-il passé ?

Depuis, il y a eu ce travail du Parquet national financier. Grâce à l'enquête d'un consortium de médias, l'alerte a été donnée et aujourd'hui la justice est en train de s'emparer de cette affaire. C'est finalement une bonne période pour faire sortir cette affaire car on est en train de réaliser la fragilité de ces établissements et les manipulations auxquelles ils peuvent s'adonner.

Quelles sont les conséquences pour les clients non fraudeurs de ces banques ?

Au fond, c'est un peu la double peine pour tous les clients, en tant que contribuables. Le manque à gagner de recettes fiscales est juste énorme. Pour ce qui est de la France, on parle de 33 milliards d'euros depuis 2000, soit entre 1,5 et 3 milliard(s) d'euros par an. C'est de l'argent qui manque pour l'hôpital, pour l'école, pour les universités, pour les retraites.

"Si la preuve est faite de l'illégalité de ces opérations, ce sera sanctionné. Mais ces établissements ayant un pouvoir de marché énorme, ils reporteront très facilement sur leurs clients le coût que représentent ces sanctions."

Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste spécialiste du secteur bancaire

à fanceinfo

Il faut donc s'attacher au problème de structure du secteur bancaire, en particulier européen. Il y a eu des réformes entreprises depuis 2007-2008, mais elles sont restées dans la droite ligne des dispositions qui prévalaient. On a demandé aux établissements bancaires d'avoir un petit peu plus de fonds propres, d'avoir un peu plus d'actifs liquides, de regarder la stabilité de leurs ressources. On a fait ça de façon plus ou moins complexe et ambitieuse. En revanche, ce problème de structure, le fait que le secteur bancaire européen soit concentré autour d'un petit nombre de très gros établissements avec un pouvoir de marché démentiel qui opèrent en toute impunité, ça on n'a rien fait.

Ces opérations interviennent alors que le secteur bancaire est déjà fragilisé par les faillites de plusieurs banques américaines. Faut-il s'attendre à des secousses à la bourse ?

Hier, la réaction a été faible à la bourse. Les cours sont restés à peu près stables en fin de journée. Ça veut dire que pour les financiers, ces opérations, ces montages sont monnaie courante et ne les inquiètent pas. En tant que citoyen, en tant que contribuable ça doit sérieusement nous inquiéter et nous inciter à réclamer une régulation financière beaucoup plus forte.

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