Prises d'otages en prison : anatomie d'un phénomène en essor
En quatre mois, le nombre de prises d'otages derrière les barreaux a dépassé celui des années précédentes. Francetv info se penche sur ce phénomène.
Presque à chaque fois, le scénario est digne d'un film. De la tension, des armes bricolées en cellule, des heures de négociations, des revendications alambiquées… Cela se passe en France, dans de petites villes anonymes hébergeant des prisons, à Ensisheim (Haut-Rhin), Montmédy (Meuse) ou encore Saint-Quentin-Fallavier (Isère).
Depuis peu, elles se multiplient : 2014 s'annonce comme une année record pour les prises d'otages en prison.
Un phénomène en forte progression
Six prises d'otages ont été recensées depuis le mois de janvier, bien au-dessus de la moyenne enregistrée sur la période 2009-2012 (3,5 prises d'otages par an). En 2013, le bilan a atteint le chiffre de sept. Si la tendance de 2014 se maintient, cette année se terminera sur un total de 18 prises d'otages. Cette carte recense les prises d'otages depuis le 1er janvier 2013.
"Cela devient un sport national de prendre en otage les collègues pour demander son transfert", soupire le syndicaliste Ufap Laurent Scassellati. "Ces transferts peuvent être obtenus sans prise d'otages, en faisant des demandes par courrier", estime un surveillant de la prison de Clairvaux (Aube). D'autres s'inquiètent de "l'effet médiatique" des prises d'otages et des revendications croissantes exprimées par les prisonniers.
La multiplication des prises d'otages s'inscrit dans un contexte marqué par une hausse du nombre de violences en détention. L'administration pénitentiaire a recensé, en 2012, 4 403 agressions contre le personnel (contre 3 230 en 2010), 8 861 agressions entre détenus (contre 7 825 en 2010) et 90 interventions des équipes régionales d'intervention et de sécurité (contre 76 en 2010).
Pour les détenus, les agressions comme les prises d'otages ne sont parfois qu'un moyen d'attirer l'attention. Certains peinent à faire valoir leurs droits, affirme le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, dans un entretien au Monde. Selon lui, les demandes des détenus ne sont pas toujours transmises par les surveillants à la direction, si bien que certains détenus ne "se sentent pas écoutés".
Un mode opératoire "artisanal"
Les surveillants, hommes et femmes, parfois stagiaires, sont les plus touchés (77% des cas recensés en 2013 et 2014). Le personnel médical n'est pas épargné (15%), pas plus que les directeurs de prison (8%). Ainsi, en janvier, une directrice de la prison marseillaise des Baumettes a été retenue par un détenu armé d'une barre de fer et d'un morceau de verre, selon France Info. Cela a duré près de trois heures, soit un peu moins de la durée moyenne des dernières prises d'otages.
Le plus souvent, les armes sont des poinçons réalisés à partir de couverts, de ciseaux ou de brosses à dents aiguisées. En septembre, à Clairvaux, "les deux détenus avaient travaillé des morceaux de plaques d'aluminium d'un ordinateur pour en faire des lames", indique un surveillant à francetv info.
La détermination des preneurs d'otages vacille souvent durant les négociations. "J'ai remarqué trois phases dans ma prise d'otage, raconte Frédéric, 23 ans, retenu pendant six heures, en juillet, à Moulins-Yzeure (Allier). Pendant deux heures et demi, le détenu était ingérable et voulait me buter. Ensuite, j'ai réussi à lui parler doucement, à entrer dans son histoire personnelle, même à lui rouler des cigarettes. Enfin, il a vidé son sac et a fondu en larmes. Il m'a remercié, regrettant son geste et craignant d'être abattu par le groupe d'intervention."
Les équipes d'intervention de l'administration pénitentiaire, voire de la police ou de la gendarmerie, se déplacent souvent lors de prises d'otages. Mais elles entrent rarement en action. Le travail des négociateurs ou des otages eux-mêmes suffit souvent, par les mots, à convaincre les ravisseurs de se rendre. Il faut remonter à 2008 pour retrouver trace d'un tir de neutralisation du GIGN, qui avait grièvement blessé un preneur d'otages.
Des événements lourds de conséquences
Pour les ex-otages. Après une prise d'otages, le personnel touché est rapidement pris en charge par divers médecins, psychologues et psychiatres, pour un suivi qui peut durer plusieurs mois. Les insomnies sont fréquentes, même chez les surveillants les moins éprouvés, comme Frédéric. "Neuf mois plus tard, je fais encore des cauchemars, reconnaît-il. Et il suffit que je voie un reportage télé sur des otages libérés à l'étranger pour replonger dans mon histoire et y penser pendant une journée."
Certaines victimes choisissent de retourner au travail le plus vite possible, pour ne pas ruminer chez elles. C'est le cas d'un surveillant pris en otage à Clairvaux, "qui a voulu reprendre tout de suite, mais qui a craqué quelques mois plus tard et a dû être arrêté", selon l'un de ses collègues.
Lorsqu'ils enfilent à nouveau leur uniforme, les surveillants peuvent être affectés à des postes aménagés, afin de limiter les contacts avec les détenus. D'autres reçoivent un coup de pouce de l'administration pénitentiaire pour obtenir une affectation ou une mutation dans un établissement de leur choix. Leur carrière est également boostée, avec des montées en grade ou des échelons supplémentaires.
Pour les ravisseurs. Dans la plupart des cas, la revendication principale d'un preneur d'otages est un transfèrement dans une autre prison, pour fuir certains détenus ou se rapprocher de sa famille. Même si un déménagement a lieu de manière "quasi-automatique", selon une responsable syndicale, le ravisseur obtient rarement gain de cause. Il arrive ainsi qu'il soit envoyé dans un établissement encore plus éloigné de chez lui.
Autre conséquence d'une prise d'otages : la peine du détenu s'allonge. Pour avoir retenu une surveillante pendant treize heures, en août, avec un couteau de cantine effilé, et un aide médico-psychologique pendant quarante minutes, en 2012, avec un manche de fourchette acéré, un prisonnier a été condamné à cinq ans d'emprisonnement supplémentaires, en septembre, rapporte Le Républicain lorrain.
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