Cet article date de plus d'onze ans.

Prison : pourquoi 100 000 condamnés n'ont pas encore exécuté leur peine

Alors que la réforme pénale est présentée, mercredi, en Conseil des ministres, francetv info vous explique pourquoi la majorité des peines de prison ne sont pas immédiatement exécutées.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La maison d'arrêt de Loos, près de Lille (Nord), le 22 octobre 2008. (DENIS CHARLET / AFP)

Vous êtes-vous déjà demandé ce que deviennent les prévenus et les accusés, une fois leur peine de prison prononcée ? Tête baissée, les poignets endoloris par les menottes, certains quittent le box et disparaissent. Direction les couloirs mal éclairés du tribunal, les fourgons de l'administration pénitentiaire, la prison. D'autres - la plupart d'entre eux - sortent du palais de justice par la grande porte. Condamnés, mais en liberté.

Présenté en Conseil des ministres, mercredi 9 octobre, le projet de réforme pénale questionne l'efficacité de la peine de prison en matière de lutte contre la récidive. Il aborde moins le sort des peines non exécutées, dont s'est inquiété François Hollande, en septembre, sur TF1En France, 99 600 personnes attendaient, en octobre, que leur peine de prison ferme soit mise à exécution, selon les dernières données du ministère de la Justice, obtenues par francetv info (soit plus que les 67 088 personnes (PDF) effectivement détenues).

Présenté sans pincettes, ce chiffre laisse à penser que la majorité des condamnés échappent à la justice sans jamais voir leur peine mise à exécution. La réalité est plus complexe.

Pourquoi ne vont-ils pas tout de suite en prison ?

Parce que les juges en ont décidé ainsi. Lorsqu'un magistrat prononce une peine d'emprisonnement, libre à lui, dans certains cas, de décerner un mandat de dépôt, permettant une incarcération immédiate. Cette possibilité est très encadrée, si bien que "les peines immédiatement exécutées sont l'exception", indique JapTwit, une juge de l'application des peines (JAP) très présente sur Twitter, contactée par francetv info.

La plupart du temps, le juge estime qu'il n'y a pas d'urgence particulière à incarcérer le condamné. Il prend en compte le fait que le justiciable bénéficie d'un délai de dix jours pour faire appel de sa condamnation (et être éventuellement relaxé) avant que celle-ci ne devienne définitive. Un cas spécial concerne les personnes absentes lors de l'audience, qu'il va falloir retrouver avant l'exécution de leur peine.

Parce que la procédure est longue. Dans la plupart des cas, après l'audience, le magistrat et le greffier s'appliquent à rédiger la décision. Elle est transmise au parquet, qui s'assure que le texte ne comporte pas d'erreurs et se penche sur la situation du condamné. Dans le cas où la peine n'excède pas deux ans, un détour est prévu chez le JAP, avec un éventuel remplacement de la peine de prison par un aménagement de peine. En fin de course, le parquet convient d'une date à laquelle le condamné devra se constituer prisonnier, ou saisit la police, qui va rechercher le condamné et le remettre à la justice, qui procède alors à l'incarcération.

Que révèle le chiffre des 100 000 condamnés en liberté ?

Une justice au ralenti. Cette masse est avant tout révélatrice de la lenteur de la justice, qui engendre un empilement de dossiers de condamnation en attente de traitement. La simple rédaction d'un jugement, en tout début de chaîne, peut intervenir "huit mois" après la condamnation, tant les juges et les greffiers sont "assommés par le nombre d'audiences", indique JapTwit. Un constat partagé, en 2009, par l'Inspection générale des services judiciaires.

Même embouteillage dans les parquets et les services de l'application des peines. "La loi prévoit un délai de quatre mois pour que les JAP rendent leur décision, mais c'est pratiquement impossible, même dans un service où tout roule", se désole Laurence Blisson, JAP à Meaux (Seine-et-Marne), contactée par francetv info. Pendant que la procédure s'éternise, le sentiment d'impunité s'accroît, car les victimes risquent de croiser leur agresseur en liberté. Les condamnés, eux, voient leur vie suspendue, sans savoir quand ils seront incarcérés.

Des prisons surpeuplées. La surpopulation carcérale explique aussi certains délais d'incarcération, faute de place, comme l'a révélé l'affaire de Dreux cet été. Certains parquets ont mis en place un "rendez-vous pénitentiaire" planifiant les incarcérations en tenant compte de la capacité des prisons.

Des condamnés dans la nature. "Plus le circuit se rallonge, plus on prend le risque de perdre la trace des personnes", explique à francetv info Olivier Janson, vice-procureur à Bayonne. Des "fuyards" cherchent (rarement avec succès) à échapper à la justice, pendant que d'autres condamnés déménagent, sans mauvaises intentions.

Comment réduire ce chiffre ?

Davantage de personnel et de places de prison. Début 2011, après le meurtre de Laëtitia Perrais, tuée par Tony Meilhon alors qu'il était sous suivi judiciaire, des créations de postes dans le cadre d'un plan national d'exécution des peines ont permis de faire baisser le nombre de peines non exécutées de plusieurs milliers. Les bureaux d'exécution des peines ont été créés dans certaines juridictions pour accélérer les procédures. Mais cet effort ponctuel n'a pas suffi et "le manque de personnel est criant", selon Olivier Janson. Des places de prison supplémentaires pourraient aider à réduire certains délais.

Une meilleure implication policière. Dans un rapport interne révélé par Le Figaro, le ministère de la Justice constate "un déficit d'investissement" de la part des forces de l'ordre en matière d'exécution des peines, une activité parfois considérée comme "secondaire parmi leurs missions". "C'est mieux vu de faire du chiffre sur l'usage de stupéfiants que sur l'exécution des décisions de justice", déplore la JAP Laurence Blisson.

Un chiffre incompressible. "Il y a un problème avec le stock de peines non exécutées si les condamnations dépassent un an, pas quelques mois", affirme Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, joint par francetv info. Des délais incompressibles existent du fait des exigences de rédaction et de transmission des dossiers. En 2011, le ministre de la Justice, Michel Mercier, avait estimé à 30 000 le chiffre en-dessous duquel il serait difficile de descendre. Est-ce si grave ? "Il faut bien avoir à l'esprit qu'il s'agit de peines pour lesquelles le tribunal a décidé qu'il n'y avait pas d'urgence d'exécution", rappelle Xavier Gadrat.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.