Procès des attentats de janvier 2015 : un premier chapitre historique se referme avec le verdict
La cour d'assises spéciale de Paris a rendu une décision équilibrée, en retirant la qualification terroriste pour six accusés et en réservant les condamnations les plus lourdes au cercle rapproché d'Amedy Coulibaly. Un verdict qui ne manquera pas d'être étudié pour les prochains procès terroristes à venir.
Une première page se referme près de six ans après les attentats de janvier 2015, les premiers d'une longue série en France. La cour d'assises spéciale de Paris a rendu son verdict, mercredi 16 décembre, et condamné les 14 accusés, dont onze présents à l'audience, à des peines allant de quatre ans de prison à la réclusion criminelle à perpétuité. Une décision accueillie avec calme, tant du côté de la défense que des parties civiles, dans la salle d'audience où les débats ont pourtant été mouvementés pendant trois mois. Après 48 heures de délibéré, les magistrats ont écarté la qualification terroriste pour six accusés, et attribué les peines les plus lourdes au cercle rapproché d'Amedy Coulibaly : sa compagne Hayat Boumeddiene et Mohamed Belhoucine, partis en Syrie avant les attentats, et les quatre hommes dans le box jugés les plus proches du terroriste et ne pouvant ainsi ignorer "son projet criminel", Ali Riza Polat, Amar Ramdani, Willy Prevost et Nezar Mickaël Pastor Alwatik.
Ce procès de tous les superlatifs, avec 54 jours d'audience, 171 tomes de procédure, 200 parties civiles et près d'une centaine d'avocats, restera dans l'histoire à plus d'un titre. Son verdict, qui a délimité l'infraction d'association de malfaiteurs terroriste (AMT) criminelle, outil clé de la politique pénale antiterroriste, ne manquera pas d'être étudié pour les prochains procès d'attentats à venir, ceux du 13 novembre 2015 et de Nice, en juillet 2016. Ses débats, intégralement filmés, seront versés aux archives nationales. La postérité retiendra aussi les visages masqués, dans une audience interrompue pendant un mois en raison de la pandémie de Covid-19, ainsi que les trois attentats commis pendant le procès, dont deux en lien avec les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo.
"Deux procès en un"
Il a été bien lourd à porter, ce poids de l'histoire, pour les hommes dans le box et leurs avocats. La défense a tenté de s'en délester. "Ce procès n'est ni historique ni politique ni emblématique, c'est juste le procès de ces hommes-là", a plaidé Safya Akorri, conseil de Mohamed-Amine Fares, en écho à sa consœur Clémence Witt, avocate de Christophe Raumel : "Vous n'êtes pas là pour écrire l'histoire, mais pour juger des hommes."
L'histoire d'un côté, le droit de l'autre. L'émotion dans la salle, les accusés dans le box. Une ligne de fracture temporelle et géographique s'est dessinée au fil des jours. Pendant les trois premières semaines, la cour d'assises s'est replongée dans l'horreur perpétrée par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Survivants et proches de victimes, policiers et gendarmes ont raconté l'effroi de s'être trouvés sur la route de ce trio mortifère. Les trois semaines suivantes, la douleur des parties civiles a cédé la place aux explications alambiquées de ceux poursuivis pour avoir soutenu et armé les terroristes.
Pour Richard Malka, l'avocat historique de Charlie Hebdo, il fallait "accepter qu'il y ait deux procès en un. Celui des accusés et celui des idées que l'on a voulu assassiner. Ces fameuses valeurs républicaines ébranlées."
"Ces crimes ne sont pas des crimes comme les autres et ce procès ne peut pas être un procès comme un autre. Il doit tenir compte de sa dimension symbolique."
Richard Malka, avocat de "Charlie Hebdo"lors de sa plaidoirie
Dans le camp adverse, l'avocate de Nezar Mickaël Pastor Alwatik, Marie Dosé, n'a pas voulu croire à "ce procès à deux têtes", "cette salle coupée en deux, avec d'un côté le procès des valeurs ébranlées, et de l'autre celui des accusés avec leurs fadettes, leurs déplacements, leurs voitures…" Car c'est de cela dont il a été question pendant tous les interrogatoires : ces "délinquants d'habitude", qui grenouillent dans des "milieux interlopes" et connaissent les lois du quartier et de la prison comme leur poche, ont-ils "franchi la frontière" entre le droit commun et le terrorisme ? Avaient-ils en main la carte de la trajectoire jihadiste des frères Kouachi, originaires de la même ville que certains des accusés, et de celui qu'ils surnommaient "Dolly" ?
La marque au fer rouge du terrorisme
La cour a répondu "oui" pour certains, notamment ceux qui avaient fréquenté la "secte de la buanderie" avec Amedy Coulibaly à la prison de Villepinte, "non" pour d'autres. Elle s'est appuyée sur des "éléments matériels" : cet ADN retrouvé sur des armes, un gant, un taser d'Amedy Coulibaly, ces nombreux messages échangés avec lui jusque dans les derniers jours des attentats, ces déplacements dans la région lilloise d'où provient l'arsenal du terroriste, ce matériel et ces voitures achetés pour lui, ces puces téléphoniques cassées juste après les attentats… Les magistrats ont aussi disséqué le rapport à l'islam des accusés et leur radicalisation présumée. S'ils ont estimé que tous étaient coupables d'avoir porté une assistance logistique aux terroristes, ils ont conclu que la moitié ignorait la finalité jihadiste de leur action. Et ainsi retiré la lettre "T" à l'infraction d'association de malfaiteurs. "T" pour terrorisme.
Cette marque au fer rouge, les accusés ont tenté de l'effacer à tout prix pendant le procès, quitte à en rajouter sur d'autres plans. Quitte à se dédire. Quitte à mentir. "J'ai menti, mais pas pour cacher quelque chose, j'ai menti parce que j'avais peur", s'est justifié Nezar Mickaël Pastor Alwatik. "J'ai fait l'idiot", s'est défendu Mohamed-Amine Fares. "Moi et ma mémoire, c'est pas trop ça", a fait valoir Saïd Makhlouf. Prostitution, escroqueries, trafic de drogue, addiction aux jeux, préparation d'un braquage… Tout valait mieux, dans leurs justifications, que d'être estampillé "terroriste". Si Ali Riza Polat a écrit cette liste d'armes retrouvée chez le Belge Metin Karasular, c'est parce qu'il envisageait de "taper" un fourgon de la Brink's, "à la période de Noël", car "les sacs sont chargés". "Quand je sortirai, je vais faire pire", a-t-il osé.
Reste qu'"il n'y a aucune concordance entre cette liste et les armes des terroristes", a rappelé son avocat, Antoine Van Rie. C'est tout le problème : si l'on sait avec certitude que celles d'Amedy Coulibaly provenaient du trafiquant d'armes lillois Claude Hermant, déjà jugé dans un autre procès, le rôle d'intermédiaire joué par certains accusés reste incertain. Tout comme l'identité des commanditaires. Les victimes "auraient souhaité que ce box soit plus rempli, qu'elles n'aient pas à subir une deuxième procédure", a reconnu l'avocate générale Julie Holveck, évoquant l'interpellation tardive de Peter Cherif, le jihadiste soupçonné d'être le mentor des terroristes, dont le discours fanatique puis le silence obstiné ont tranché avec l'attitude des hommes dans le box.
L'argument de la taqiya
Assumant "les zones d'ombre" et les "angles morts de la procédure", Julie Holveck et Jean-Michel Bourlès avaient requis des peines très lourdes, y compris contre le sexagénaire belge Michel Catino, accusé d'avoir transporté pour 200 euros un sac d'armes, dont certaines ont fini dans la Meuse. "Personne ici ne pourrait prétendre un seul instant que Michel Catino a des velléités terroristes. Bon sang ! Il suffit de le regarder", a plaidé son avocate, Beryl Brown. Les rares fois où son client a parlé, quand il ne s'endormait pas dans le box, c'était pour prononcer les mots "jeu" et "casino". Une posture qui n'a pas échappé à Denis Salas, magistrat et co-directeur d'un groupe de recherche d'historiens sur les grands procès du terrorisme, qui a suivi toute l'audience.
"C'était la grande question de ce procès : jusqu'où peut-on retenir quelqu'un dans un filet aussi large que l'association de malfaiteurs terroriste, jusqu'à quel point les gens qui sont dans le box connaissaient les intentions d'Amedy Coulibaly ?"
Denis Salas, magistratà franceinfo
Michel Catino a finalement été condamné à cinq ans de prison, loin des quinze ans requis. Pour le président de l'Association française pour l'histoire de la justice, "deux vérités se sont fait face" pendant ce procès : la vérité de l'enquête, reprise par le parquet, et celle de l'audience. "C'est du choc de ces deux vérités qu'a surgi le verdict. Et dans ce procès, ce conflit a été très intense."
Les questions sur la religion, parfois intrusives, ont souvent été posées par les avocats des victimes, accusés d'avoir endossé le costume de "procureurs privés" par la défense. Le contenu des rapports des QER, ces quartiers d'évaluation de la radicalisation en détention, n'ont en revanche pas suscité beaucoup d'interrogations. Et pour cause, selon les avocats de plusieurs accusé ces documents confirment que leurs clients "ne sont pas perméables à une idéologie radicale violente".
Riposte immédiate des parties civiles et du parquet : certains accusés pratiqueraient la taqiya, qui consiste à dissimuler sa foi pour ne pas attirer les soupçons. Un argument contesté par la défense. "C'est en train de devenir un étendard qu'on brandit, c'est dire 'la radicalisation est une pathologie incurable, un aller sans retour'", s'est insurgée l'avocate de Nezar Mickaël Pastor Alwatik, Marie Dosé. Pour Denis Salas, il est important que l'hypothèse de la taqiya ne devienne pas un moyen de "remettre en cause la présomption d'innocence".
"La parole des accusés à l'audience est créditée d'un sens puisqu'on demande à la cour d'emporter cette parole dans le délibéré, avec leurs derniers mots", observe-t-il, retenant notamment ceux de Saïd Makhlouf : "J'ai confiance en la justice française, mais j'ai peur que le côté politique l'emporte." Miguel Martinez, dont l'image de "barbu du dossier" s'est déconstruite à l'audience, a aussi fait preuve de clairvoyance en s'adressant aux magistrats de la cour : "C'est vous qui avez le reste de ma vie entre vos mains, ne jugez pas le mauvais homme." Condamné à sept ans de prison, contre quinze ans requis, il semble avoir été entendu.
Deux univers qui se rencontrent
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cet homme de deux mètres, charismatique et cabot, a su créer des liens avec certaines parties civiles pendant le procès. "Un courant d'empathie est passé de part et d'autre" entre "l'univers de Charlie Hebdo, l'ambiance intello de la rue Nicolas-Appert d'un côté, et les garages glauques des duos Abbad-Martinez et Karasular-Catino de l'autre", souligne Denis Salas. Les assises permettent parfois la rencontre entre deux mondes qui s'entrechoquent. Elles forment des ponts et des passerelles de part et d'autre de la barre. On a vu les accusés rire en découvrant les caricatures de Charb projetées sur grand écran.
Après l'énoncé du verdict, Michel Catalano, le propriétaire de l'imprimerie dans laquelle se sont retranchés les frères Kouachi à Dammartin-en-Goële, a accueilli la décision avec apaisement, quand bien même le procès n'a pas répondu à toutes ses questions. Il peut enfin "clore un premier chapitre et passer au suivant". L'histoire n'est pas totalement écrite sur ces 7, 8 et 9 janvier 2015. Sa rédaction pourrait se poursuivre lors d'un éventuel procès en appel et avec le possible renvoi de Peter Cherif devant une cour d'assises.
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