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Procès des attentats de janvier 2015 : "vacciné contre le terrorisme", "pas radical", "innocent"… Les accusés nient leur implication

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Ali Riza Polat, lors de son interrogatoire au procès des attentats de janvier 2015, le 4 septembre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Les accusés sont suspectés d'avoir aidé, à des degrés divers, les auteurs des attentats commis à "Charlie Hebdo", Montrouge et à l'Hyper Cacher. Jeudi et vendredi, ils se sont défendus de toute implication dans des actes terroristes.

"Je suis innocent des faits qu'on me reproche." Ali Riza Polat vient de se lever. D'emblée, l'homme au crâne rasé, masque blanc sur le visage, "35 ans aujourd'hui", décline toute responsabilité dans les attentats commis début janvier 2015 par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. "Je suis là à cause de certaines personnes, des balances mythomanes qui ont raconté n'importe quoi, assure-t-il, ils balancent, mais ils mentent." C'est pourtant le principal accusé du procès historique et hors norme qui s'est ouvert mercredi. Le seul présent à être renvoyé pour "complicité d'actes terroristes", quand les autres sont jugés pour "association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste".

Pour l'heure, aucun des dix accusés assis dans les boxes vitrés et recouverts de grilles en fer − pas plus que le onzième, qui comparaît libre − n'a été condamné pour des faits de terrorisme. Ils le clament haut et fort lors des interrogatoires de personnalité, jeudi 3 et vendredi 4 septembre. "Je suis là aujourd'hui pour répondre aux questions dans ce dossier. Je suis innocent, j'ai grandi dans une famille musulmane. La religion, on sait ce que c'est, ça n'a jamais été d'assassiner des gens au nom de la religion", lance Abdelaziz Abbad, premier à être entendu par ordre alphabétique. Originaire de Charleville-Mézières (Ardennes), ami avec la femme de Saïd Kouachi depuis le collège, il est soupçonné d'avoir cherché des armes pour lui. "Je me retrouve dans cette histoire par rapport à certaines fréquentations", justifie Abdelaziz Abbad.

De la délinquance au procès des attentats

Brun, petit et mince, Abdelaziz Abbad, 36 ans, est entré "dans la délinquance (...) en vendant de la drogue". En raison de mauvaises fréquentations, ou par appât du gain, à l'instar d'autres accusés. "C'était pour l'argent, c'est tout. Quand t'as pas d'argent, t'as rien. Je voulais des belles choses", assume, de son côté, Ali Riza Polat. Il a commencé dans la petite délinquance à 14 ans, avec "des petits larcins", avant de se tourner, deux ans plus tard, vers le trafic de cannabis. Trafic de stupéfiants, vols, délits routiers et parfois outrages, voire violences : comme lui, les accusés cumulent des condamnations de droit commun, listées dans des casiers judiciaires bien garnis. Des vies chaotiques, des tempéraments "nerveux", des accidents de la vie et des scolarités ratées.

"Parcours somme toute classique, mais avec quelques aspérités, je dirais", ironise l'un des assesseurs. Cette fois, il s'adresse à Saïd Makhlouf. Cheveux longs ramenés en chignon, lunettes sur le nez, il a grandi à Gentilly (Val-de-Marne). Après un BEP vente qui ne lui plaît pas, il enchaîne les petits boulots puis part au Canada, pour une formation de "chauffeur poids lourd de l'extrême". Il n'obtient pas son visa d'études et rentre à Paris, où il devient auxiliaire ambulancier. "C'est un travail qui me plaisait énormément, être utile, aider les gens. Après, je me suis retrouvé interpellé [dans le dossier des attentats]. C'est ma première incarcération", indique-t-il. Et de préciser : "En détention, c'était très compliqué, surtout les deux premières années."

On me dit que je suis un terroriste à tout prix, alors que je ne suis pas radical. Cette image que je suis un terroriste, alors que je suis loin de tout ça, c'est assez choquant.

Saïd Makhlouf, accusé

à l'audience

"L'étiquette terroriste n'est pas bonne, mais l'étiquette grand banditisme, c'est mieux ? Plus valorisant ?", interroge le président de la cour d'assises spéciale. Régis De Jorna s'étonne qu'en prison, Saïd Makhlouf se revendique du grand banditisme. a vous fascine ?" "Ooh, non", désapprouve l'accusé.

"Vacciné contre le terrorisme depuis très longtemps"

Se revendiquer du grand banditisme, une manière de se défaire de l'image tenace de terroriste, qui colle à la peau ? "Quand je suis incarcéré en QER (Quartier évaluation de la radicalisation), je suis l'animal qu'on peut voir dans sa cellule. Des surveillants viennent voir qui je suis. Il y a des réveils à 4 heures du matin pour voir si je suis vivant alors que je dors", souffle Nezar Mickaël Pastor Alwatik, dont l'ADN a été mis en évidence sur deux des armes de poing d'Amedy Coulibaly. Lui est à l'isolement depuis août 2018, à sa demande.

J'ai été coupable dès le début. On a fait de moi un terroriste, un jihadiste.

Nezar Mickaël Pastor Alwatik, accusé

à l'audience

"Qu'on soit bien clair, monsieur le président, je ne mets pas dans une position de victime, car dans ce dossier je suis accusé, se défend Nezar Mickaël Pastor Alwatik. Je n'ai pas de mot pour décrire la honte que j'ai dans cette affaire."

Il n'est pas le seul à évoquer ce sentiment. "J'ai un mal-être permanent depuis que je sais que je vais devoir passer devant les familles des victimes, comme si j'étais responsable de leur malheur, alors que c'est faux", déclare Miguel Martinez, gérant d'une carrosserie au moment de son interpellation, âgé de 38 ans aujourd'hui. "Personnellement, je suis vacciné contre le terrorisme depuis très longtemps", insiste-t-il, interrogé par l'avocate générale sur son rapport à la religion.

"Un débat sur les questions de religion"

Comme certains de ses coaccusés, Miguel Martinez est musulman. Il s'est tourné vers l'islam "très tôt", ce qui "l'a aidé dans les passages difficiles de sa vie". Jusqu'à quel point ? La cour aurait préféré aborder le sujet plus tard dans les débats, mais avec Ali Riza Polat, la question se révèle inévitable. Les débats dévient sur la religion. "Vos parents sont kurdes, mais kurdes alévis. Est-ce que vous pouvez nous préciser si la pratique religieuse était importante pour vous ?", interroge Régis De Jorna, vendredi matin. "Non, pas plus que ça", répond l'accusé qui parle de "tradition familiale".

Toutefois, depuis 2014, la pratique d'Ali Riza Polat a changé : il devient croyant et pratiquant, fait cinq prières par jour. "Donc, vous faites des escroqueries et après vous demandez pardon ?" s'étonne le président de la cour d'assises. "Oui, ça reste des péchés", répond l'accusé du tac au tac. "Une personne judéo-chrétienne, elle fait des péchés, mais elle fait des prières à côté", s'agace-t-il. "On fait tous des conneries, tu veux croire ou tu veux pas croire, c'est pas mon problème", lâche-t-il encore, avec désinvolture.

Je ne suis pas dans le combat religieux.

Ali Riza Polat, accusé

à l'audience

Son avocate, Isabelle Coutant-Peyre, intervient : "Je m'étonne qu'on fasse un débat sur les questions de religion dans une enceinte judiciaire laïque." "Y a-t-il un autre sujet à aborder ?" gronde sa consœur Nathalie Senyk, depuis le banc des parties civiles. "Vous n'avez pas peur de ce genre de propos devant des victimes !" s'emporte-t-elle.

"Faut pas tuer des innocents"

Car c'est au nom de l'islamisme radical que les attentats de janvier 2015 ont été commis. Saïd et Chérif Kouachi se sont réclamés d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique pendant leur cavale, Amedy Coulibaly a revendiqué une appartenance au groupe terroriste Etat islamique. Ali Riza Polat a-t-il versé dans cet extrémisme ? "Je désavoue [les attentats, en particulier à Charlie Hebdo]. Faut pas faire ça, faut pas tuer des innocents. Vous dites j'ai donné les armes aux frères Kouachi, mais je les connais pas !" clame l'accusé.

Ali Riza Polat poursuit, narquois : "On fait l'interrogatoire de fond ou on fait pas le fond ?" Le président de la cour d'assises finit par calmer les ardeurs des uns et des autres. "On abordera ces questions plus tard", tranche-t-il. Une manière d'annoncer le ton pour les semaines à venir. Le procès est prévu pour durer jusqu'au 10 novembre.

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