"Ni trop proche, ni trop éloignée" : comment ils ont intégré une mère porteuse à leur histoire de famille
Malgré son interdiction en France, des centaines de couples ont déjà eu recours à la gestation pour autrui (GPA) à l'étranger. Alors que cette pratique revient dans le débat public, francetv info s'est penché sur la manière dont ces familles en parlent à leur enfant et les liens qu'elles conservent avec la gestatrice.
C'est l'histoire d'une femelle kangourou plutôt généreuse. Pour aider une famille à avoir un bébé, l'animal décide de jouer les mères porteuses et de leur prêter, le temps de la grossesse, sa poche ventrale. Bien connu des militants de la gestation pour autrui (GPA), ce petit conte a trouvé sa place dans la bibliothèque de Mathilde* et Julien, 33 ans chacun. Une fiction qui n'est pas si éloignée de leur propre histoire.
Mathilde a subi, il y a quelques années, une hystérectomie, une ablation de l'utérus, qui l'a privée de la possibilité de tomber enceinte. C'est l'une des situations dans lesquelles certains couples se tournent vers la GPA. Selon les associations qui défendent cette pratique, illégale en France, des dizaines, voire des centaines de couples y ont recours chaque année pour fonder leur famille. Eux se sont dirigés vers le Canada, où la "GPA altruiste" est autorisée : la gestatrice n'est pas censée être payée pour porter le bébé, mais peut recevoir une compensation pour les dépenses liées à la grossesse. Grâce à une mère porteuse et une donneuse d'ovocytes rencontrées de l'autre côté de l'Atlantique, ils sont devenus les parents de Théophile, âgé d'un an.
Ni "secret", ni "bourrage de crâne"
Comme les enfants de son âge, le petit garçon ne manque pas d'énergie : il tente de courir dès qu'une porte s'ouvre, s'époumone pour réclamer son dîner, et finit par s'assagir, une fois installé sur les genoux de son père. "Il a une histoire particulière, mais c'est un petit garçon normal", insiste Mathilde. D'ailleurs, les origines de Théophile ne sont pas connues de tout le monde, même si l'entourage de la famille est au courant. "Sa nounou me dit qu'il a les mêmes yeux que moi, raconte, amusée, Mathilde, qui n'a pas de lien génétique avec lui. La gardienne, c'est pareil, elle me dit qu'il me ressemble beaucoup."
Avant de se lancer dans son parcours de GPA, le couple s'est interrogé, s'est documenté, s'est renseigné auprès de spécialistes. Au final, ils ont choisi de respecter une certaine distance avec la mère porteuse. "J'ai toujours eu peur d'être trop intrusive dans sa vie, confie Mathilde. On s'envoie des nouvelles, des photos, mais ce n'est pas une amie, même si on conserve un lien indéfectible." "Un peu comme de la famille éloignée", complète Julien.
Pour autant, il n'y a "pas de secret, pas de mystère" pour Théophile, explique le père. "Pas de bourrage de crâne non plus", ajoute sa compagne. Pour eux, tout est dans le juste milieu. "Il faut que Théophile soit complètement conscient de la façon dont il est né, mais ce n'est pas ça qui doit conditionner sa vie, explique le père. On a déjà commencé à lui parler de sa gestatrice, sans que cela soit quotidien, comme on ne lui parle pas quatre fois par jour de ses grands-parents."
"Les gestatrices savent rester à distance"
"Les gestatrices ne doivent être ni trop proches, ni trop éloignées", résume Sylvie Mennesson, présidente de l'association Clara, qui milite en faveur de la légalisation de la GPA en France. Avec son mari, ils ont eux-mêmes fait appel à une Californienne pour concevoir leurs jumelles. Et, selon eux, la relation s'établit naturellement. "Les gestatrices sont conscientes de la place qu'elles occupent, elles savent rester à distance", assure-t-elle.
"Ce qui est important, c'est que la gestatrice existe, qu'elle soit, de temps en temps, présente... que ça soit à travers des photos, une carte postale, un petit message", explique Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, favorable à la GPA "éthique", détachée le plus possible des questions de rémunération.
"Une famille sans lien de sang"
Âgé d'un an, le fils d'Etienne ne risque pas de perdre de vue sa mère porteuse, même si elle vit aux Etats-Unis : sa photo est présente dans la chambre du petit garçon, installé avec ses deux pères. La jeune femme a touché 20 000 euros pour la grossesse, mais cet argent n'a, selon Etienne, pas mis à mal leur relation : "Tous les deux ou trois jours, on s'écrit", raconte cet homme de 35 ans, qui a vendu son appartement pour financer son rêve de paternité.
Il assume cette proximité avec la femme qui a porté son enfant, jugeant que "tout est d'une simplicité délirante" entre eux, car "les choses sont claires depuis le début". "Elle n'a jamais considéré mon fils comme le sien, assure Etienne. Elle n'a pas de neveu ou de nièce, mais elle explique qu'il tient un peu cette place-là, elle a une affection particulière pour lui. C'est un peu comme si on était devenu une famille sans lien de sang."
La mère porteuse considérée comme "une super-nourrice"
A 49 ans, Anne-Marie vit une relation similaire avec la femme qui porte actuellement son futur enfant, de vingt ans sa cadette. Elle confie avoir vécu un "coup de foudre amical" pour elle lors de leur première conversation, en septembre 2013 : "En 48 heures, on était décidées l'une pour l'autre, mon mari me faisait confiance." Dans la foulée, Anne-Marie s'est envolée une première fois pour le Canada, où elle a passé une semaine chez la mère porteuse. "J'ai été reçue comme une reine", sourit-elle.
Depuis, la Française multiplie les attentions à son égard, lui ramenant de petits cadeaux à chacune de ses visites, comme du fromage. La naissance de son enfant est prévue pour décembre, mais déjà, Anne-Marie est persuadée que cette relation va s'inscrire dans la durée. "Pour nous, c'est une nouvelle branche dans l'arbre de la famille, c'est une tante un peu spéciale, estime-t-elle. On ne perdra jamais le contact."
Ce vocabulaire familial ne surprend pas Serge Hefez. "La mère porteuse est vraiment considérée comme une super-nourrice, décrypte le spécialiste. Plein d'enfants ont eu des nounous à leur naissance, un personnage très investi dans leur évolution. La mère porteuse, c'est pareil, sauf qu'elle a été présente pendant les neuf premiers mois de la vie."
La "reconnaissance éternelle" des parents
Rien à voir avec le discours tenu par Delphine, 42 ans. Victime du Distilbène, une hormone de synthèse prescrite par le passé aux femmes enceintes, cette Parisienne en couple a eu recours aux services d'une Américaine, en Floride, pour avoir sa fille, aujourd'hui âgée de 16 mois. Et elle "assume". Adepte du franc-parler, elle explique sans problème que sa GPA a été aussi une affaire d'argent. "Aujourd'hui, c'est un truc de riche, et la mère porteuse l'a fait pour le fric, lâche-t-elle. Je suis encore en contact avec elle, mais je ne suis pas du tout dans le délire familial. Elle ne fait pas partie de ma famille, je l'ai vue trois fois dans ma vie."
Pour autant, Delphine confie vouer "une reconnaissance éternelle à cette gonzesse". "J'ai de la gratitude, je lui dois du respect", précise-t-elle. Et si d'aventure sa fille veut la rencontrer, elle traversera à nouveau l'Atlantique, sans hésiter. Si son discours se distingue des autres familles qui ont accepté de témoigner, reste un point commun : le jour où sa fille souhaitera connaître son histoire, elle lui dira "la vérité, je ne lui cacherai rien".
*Tous les prénoms ont été changés.
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