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Loi de bioéthique : les centres de PMA seront-ils prêts pour l'ouverture de la procédure à toutes les femmes ?

Pénurie de sperme, manque de moyens financiers et humains… Franceinfo a interrogé des directeurs et directrices de centres de PMA, pour comprendre comment ils et elles se préparent à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, adoptée par le Parlement mardi 29 juin.

Article rédigé par franceinfo, Fabien Jannic-Cherbonnel
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une femme travaille dans un laboratoire de biologie reproductive de l'hôpital Tenon, à Paris, le 24 septembre 2019. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Après des années de débats, la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes va bientôt devenir une réalité en France. Les députés ont adopté en dernière lecture, mardi 29 juin, le projet de loi de bioéthique, qui prévoit notamment d'ouvrir la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. 

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Il ne reste alors plus qu'à la promulguer. Un acte qu'Olivier Véran, le ministre de la Santé, a promis de faire rapidement cet été, pour que les couples lesbiens et les femmes célibataires puissent "s'inscrire dans des parcours PMA dès la rentrée". Se pose dès lors une question : les centres de PMA et les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) seront-ils prêts à temps pour accueillir une demande accrue ? Franceinfo s'est entretenu avec les acteurs sur le terrain.

Une affluence "pas simple à chiffrer"

La première inconnue pour les centres de PMA et les Cecos est celle de l'affluence. Combien de femmes se présenteront après la publication des décrets ? "Ça n'est pas forcément très simple à chiffrer, confie Catherine Metzler-Guillemain, responsable du service de biologie et de reproduction à l’hôpital de la Conception à Marseille. Lors des débats sur la loi de bioéthique, on parlait d'une augmentation potentielle de deux à trois fois le nombre de patientes actuel." Le raz-de-marée attendu ne se produira peut-être pas, d'autant que, pendant ces années de débats, "nombre d'entre elles sont allées à l'étranger faire une PMA", relève Michaël Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction au sein de l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine). 

L'allongement des temps d'attente pour un premier rendez-vous, qui frôle parfois les six mois dans certains centres, est source d'inquiétude pour ceux et celles qui patientent déjà. L'ouverture de la PMA à toutes les femmes "va nécessairement" faire augmenter les délais, juge Michaël Grynberg, tout en soulignant avoir "d'ores et déjà des demandes de femmes qui souhaitent être sur liste d'attente". Selon le rapport 2019 de l'Agence de biomédecine, en 2018, 148 711 tentatives de PMA ont été réalisées en France.

Mais la situation ne sera pas la même partout en France, car "tous les centres ne sont pas sollicités de la même façon", souligne Catherine Metzler-Guillemain. D'autant que ce sont d'abord les Cecos qui devront faire face à un accroissement d'activité pour les couples de femmes et les femmes célibataires, puisque la majorité auront besoin d'un don de sperme. "Pour l'instant, 95% des PMA en France sont intraconjugales et ne nécessitent pas de don", rappelle  Virginie Rio, fondatrice du collectif BAMP, qui défend les patients ayant recours à la PMA.

Pas question de "faire de la priorisation"

L'augmentation du nombre de demandes représente aussi un défi en termes d'organisation et de moyens. "Il nous faudra plus de personnel pour gérer ce nouvel aspect, mais aussi du matériel technique", souligne Christophe Roux, en charge du service biologie et médecine de la reproduction du CHU de Besançon (Doubs). Contacté par franceinfo, le ministère de la Santé précise que "des travaux" ont été menés avec les centres "pour qu'ils puissent adapter leur fonctionnement à une activité augmentée dans la période qui suivra la publication de la loi". "Un soutien financier spécifique" a été "initié en début d'année et se poursuivra cet été", ajoute le ministère.

Mais les discussions sur une augmentation des moyens de façon pérenne sont toujours en cours. "On attend le retour de nos institutions pour savoir quel montant d'aide on va obtenir", rapporte Catherine Metzler-Guillemain. Cette incertitude inquiète particulièrement les associations de patients et patientes de la PMA. "Il ne faudrait pas que ce manque de moyens soit un argument pour empêcher la prise en charge", s'alarme Virginie Rio du BAMP. 

Les directeurs et directrices de centre assurent cependant qu'ils traiteront toutes les demandes à égalité. Pas question "de faire de la priorisation", assure Catherine Metzler-Guillemain. Pour accélérer les choses, certains ont déjà préparé un protocole spécifique pour les couples lesbiens et les femmes célibataires qui viendraient faire une demande de PMA. "Nous avons mis en place un parcours pour les nouvelles patientes, avec une check-list de rendez-vous à réaliser en ville, puis un tri avec une file de patientes fertiles, et les autres qui verront un médecin de la reproduction", détaille Christine Decanter, cheffe du service d'assistance médicale à la procréation et de la préservation de la fertilité au CHRU de Lille. 

"Une majorité de ces femmes ne seront pas infertiles et il n'est pas question qu'elles attendent quatre mois pour avoir un premier rendez-vous. Les couples hétérosexuels qui nous consultent le font pour cause d'infertilité et ont en général déjà fait ces examens."

Christine Decanter, du CHU de Lille

à franceinfo

Selon les centres, le délai entre le dépôt d'un dossier et le premier rendez-vous peut aller de deux à six mois. Une fois le processus lancé, le délai d'attente d'un don de sperme est de l'ordre de douze à quinze mois. Pour la majorité des couples lesbiens et femmes célibataires, la procédure choisie devrait être celle de l'insémination, "que l'on pourra absorber facilement, parce qu'elle est simple à réaliser", souligne Christine Decanter.

Le don de sperme, nerf de la guerre

De toute façon, jugent les responsables contactés par franceinfo, la question tourne surtout autour du stock de sperme, déjà à flux tendu. Au-delà du nombre de paillettes disponibles, c'est surtout la levée partielle de l'anonymat des donneurs de gamètes, prévue par la loi de bioéthique, qui risque de ralentir le processus. Avec la nouvelle loi, les donneurs de sperme comme d'ovocytes devront accepter que certaines informations personnelles soient accessibles aux 18 ans de l'enfant issu d'un don. Cela fera-t-il baisser les stocks disponibles ? Christine Decanter se veut optimiste : "Je pense qu'il va se passer ce qu'il s'est passé dans les pays nordiques avec la levée de l'anonymat. Certains donneurs ont souhaité ne plus donner. Mais on gagne d'autres donneurs, des membres de la famille des femmes nouvellement concernées par la PMA, qui vont venir donner par altruisme."

Les centres auront de toute manière "deux ans pour utiliser leur stock et s'en constituer un nouveau", souligne la médecin lilloise. Il faudra en tout cas "communiquer" sur les nouvelles règles de don, estime Christophe Roux, et donc prévoir une augmentation du "budget communication" des centres de PMA. Michaël Grynberg espère qu'un travail sera engagé par l'agence de biomédecine "pour toucher la population générale, alors que les campagnes actuelles ne touchent qu'un nombre très limité de personnes". Le médecin suggère également de dédommager les donneurs, comme cela se fait déjà au Danemark ou en Espagne.

Des centres insuffisants pour la congélation des ovocytes ?

Mais si la PMA pour toutes focalise l'attention médiatique, ce n'est pourtant pas son ouverture qui inquiète le plus les médecins et le personnel des centres de PMA. La loi de bioéthique prévoit en effet la possibilité pour toutes les femmes de faire congeler leurs ovocytes, une pratique réservée pour l'instant à des cas particuliers, comme pour les femmes atteintes de certaines maladies.

"On va avoir un nombre très important de femmes qui vont vouloir le faire", prédit Michaël Grynberg. Or, le prélèvement d'ovocytes est une procédure médicale lourde, qui demande une anesthésie générale "alors que l'on manque de personnel et de places au bloc", s'alarme Christine Decanter. "En plus, l'activité de banque prend beaucoup de place physiqueLes centres publics ne sont pas adaptés à ça en termes de moyens." 

La seule solution, pour Michaël Grynberg, serait "d'autoriser les centres privés à recueillir des dons". Le gouvernement et les députés semblent avoir opté pour le chemin inverse : le projet de loi prévoit, pour l'instant, de réserver cette activité aux seuls centres publics. Un choix dénoncé par Virginie Rio, qui souligne "que dans certains départements, les patients n'ont accès qu'à un centre privé".

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