Prostitution : cinq ans après, quel bilan de la loi qui pénalise les clients ?
Il y a cinq ans, la loi pénalisait les clients et mettait fin au délit de racolage. Un texte qui continue à diviser les associations.
La loi du 13 avril 2016 mettait fin au délit de racolage. Désormais, les prostituées sont considérées comme des victimes qu’il faut protéger et les clients sont des délinquants qu'il faut punir. Cinq ans après, les associations sont toujours très divisées sur le sujet. D’un côté, les abolitionnistes veulent mettre fin au système prostitutionnel. Mais d'autres associations demandent une légalisation de la prostitution avec un cadre juridique pour les travailleuses et travailleurs du sexe.
"J'ai tourné la page"
Lisette a été la première des 564 personnes à bénéficier du parcours de sortie de prostitution depuis 2017. Elle dit que la loi lui a sauvé la vie. Cette femme de bientôt 26 ans et mère d'une fille de 8 ans, a commencé à se prostituer à l'âge de 13 ans, abandonnée à son sort dans les rues de Kinshasa au Congo. Le regard fixe, elle raconte son arrivée en France en 2012, les clients à la chaîne et les proxénètes sans cœur.
Un jour, elle a eu envie de tout arrêter. "C'est dur, dit-elle. J'ai rencontré des hommes violents, qui tapent, insultent, qui m'ont traitée de 'nègre', qui font n'importe quoi et qui me traitaient comme une moins que rien". Grâce au dispositif prévu par la loi d’avril 2016, son expulsion a été annulée.
Ça a été une "joie immense" pour Lisette, qui a pu changer de vie avec l'aide de l'association Le Nid. La loi lui a permis de toucher 443 euros par mois, pour elle et sa fille pendant deux ans, sans loyer à payer. "J'étais prise en charge par le 115. Ils m'ont aidée à trouver une formation et un appartement à mon propre nom. J'ai tourné la page", dit-elle.
"Cette loi vicieuse nous a mis dans une situation de victimes"
Mais cette loi ne fait pas l'unanimité. Le Strass, le syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe, appelle à un rassemblement contre la loi ce mardi 13 avril devant l’Assemblée nationale. Des associations comme Médecins du monde demandent même son abrogation. Elles considèrent que le texte a été pensé sans les personnes concernées et qu'il les fragilise.
Samantha, 46 ans, estime par exemple que cette loi l'a enfoncée, en tant que travailleuse du sexe. Elle aussi a commencé à se prostituer à l'adolescence, à la Rochelle. "Je pouvais faire des passes à 200 francs, 500 francs. Ça m'a plu", raconte-t-elle. Pour Samantha, "c'est un métier comme un autre", qu'elle exerce au Bois de Boulogne, "notre terrain à nous les trans", dit-elle. Elle ne reçoit jamais de clients chez elle, au nord de Paris, car son appartement est son "cocon" et elle a attendu longtemps avant de l'obtenir.
Dans son petit logement social, Samantha ouvre un tiroir "avec les capotes, les godes, le poppers etc.", qu'elle utilise rarement, puisqu'elle n'a presque plus de clients. D'après elle, c'est à cause de la crise sanitaire mais surtout à cause de la loi. "Ça devient très compliqué. Ça m'arrive de faire l'aumône pour manger. Ça m'arrive parfois de faire un, voire deux clients par mois. Là je suis obligée de prendre 50 balles la pipe."
"Les clients négocient, demandent sans capote etc. Ils sont plus violents. Du fait de la pénalisation du client, ils estiment que comme ils sont plus rares, que l'on fait moins de passes et que l'on gagne moins d'argent, on n'a pas d'autre choix que de les accepter".
Samantha, travailleuse du sexefranceinfo
Depuis 2016, 1 300 clients en moyenne par an ont été verbalisés. Un chiffre ridicule pour Samantha. "Cette loi vicieuse nous a mis dans une situation de victimes, alors qu'on disait qu'elle était là pour nous protéger", estime-t-elle.
Une loi "insuffisamment mise en oeuvre"
Depuis 2017, 564 personnes sont sorties de la prostitution. Les associations comme Le Nid, pourtant favorables à la loi, considèrent que c'est trop peu. Elles demandent plus de moyens et une phase 2 de la loi, avec revalorisation de l’aide financière de 330 euros par mois.
De l’aveu même d’une source au ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes, la loi est "insuffisamment mise en œuvre". Aujourd'hui, 161 parcours de sortie de la prostitution sont bouclés, avec un taux de réussite de 95% d'après le ministère. La plupart des personnes sont soit en CDI, en formation ou en réinsertion. Au 1er janvier 2021, il y avait 403 démarches en cours.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.