Prostitution : et si Hollande s'inspirait de la série "Borgen" ?
La proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées fait débat. Une question traitée dans l'épisode 5 de la saison 3 de la série danoise.
Faut-il sanctionner les clients de prostituées ? La proposition de loi de la députée socialiste Maud Olivier fait débat. Alors que Nicolas Bedos a pris ses distances, jeudi 31 octobre, avec le "Manifeste des 343 salauds" qui plaident pour "le droit à leur pute", et que les "salopes" de 1971 répondent aux "salauds" de 2013, quelle sera l'attitude de François Hollande lors du débat parlementaire ?
La série danoise Borgen a récemment traité cette question dans l'épisode 5 de la saison 3, diffusé sur Arte. Certes, le contexte est différent. L'héroïne, Birgitte Nyborg, et son équipe sont dans l'opposition. Mais les différents arguments montrés dans la fiction rejoignent ceux développés sur la scène politique française. Francetv info retrace les parallèles.
(Attention, donc, cet article dévoile le contenu de cet épisode.)
Légiférer pour pénaliser les clients
Dans la série. La présidente du parti travailliste, Pernille Madsen, également dans l'opposition, souhaite abolir la prostitution. Elle veut "prohiber l'achat de services sexuels" et, pour cela, "pénaliser les clients, pas les filles".
Dans la réalité. La députée socialiste de l'Essonne a déposé une proposition de loi qui va dans le même sens. Elle souhaite sanctionner par une amende les clients de prostituées. "L'idée, c'est de bien faire comprendre à nos concitoyens que les prostituées sont des victimes et que la prostitution est une violence faite aux femmes et contre laquelle il faut lutter", déclare-t-elle dans un entretien au site Jol Press. Elle affirme à La Chaîne parlementaire que le client doit être responsabilisé car "dans la grande majorité des cas, son argent alimente les réseaux de proxénétisme".
Ecouter les abolitionnistes
Dans la série. "La prostitution est une atteinte à la dignité des femmes", estime Katrine Fønsmark, une collaboratrice de l'héroïne, attachée de presse des Nouveaux démocrates. Elle dit également avoir du mal à imaginer la figure de la "pute heureuse".
Dans la réalité. Les prostituées sont des "esclaves du sexe", estime, dans Le Nouvel Obs, Nicole Muchnik, à l'origine du manifeste des 343 femmes affirmant avoir avorté en 1971. Pour elle, "la prostitution, c'est de la vente de femme, et rien d'autre". Pour le député UMP Guy Geoffroy, rapporteur de la mission d'information parlementaire sur la prostitution en France en 2011, la pénalisation est "indispensable pour faire refluer le fléau de la prostitution". Il affirme, lors d'un débat sur LCP, en 2011, que 90% des prostituées qui travaillent sur le territoire français sont victimes de réseaux. Selon lui, il faut lutter contre la prostitution et non pas la réglementer, comme en Espagne ou aux Pays-Bas, car cela crée "un appel d'air" pour les mafias.
Ecouter les prostituées
Dans la série. "Pénaliser les clients, c'est victimiser les filles", selon la responsable d'une association qui vient en aide aux prostituées. Elle-même "travailleuse du sexe", elle a choisi son métier et il lui plaît. Surtout, elle souligne qu'elle paie ses impôts mais qu'elle ne bénéficie pas d'un statut à part entière. Elle réclame donc le droit de pouvoir travailler sans craindre une "descente de police". D'après elle, il faut aider les prostituées si elles ont des problèmes, lorsqu'elles sont victimes de violences ou de réseaux, sans se plier à la "vision moraliste de certains".
Dans la réalité. La pénalisation des clients "ne protégera pas les prostituées et les mettra, au contraire, en danger", a déclaré au Figaro, en septembre, une prostituée membre du syndicat du travail sexuel (Strass). "Il y a les prostituées libres d'un côté, dont je fais partie, et, de l'autre, il y a les proxénètes plaçant sous leur coupe des femmes qui ne sont pas, elles, des prostituées. Ce sont des esclaves, humiliées, malmenées, exploitées. Il faut lutter contre ces réseaux", a-t-elle ajouté.
Ces "prostitués indépendants", qui manifestent contre la pénalisation des clients, "revendiquent la prostitution comme une activité professionnelle. Pour eux, ils ne vendent pas leur corps mais des services sexuels. Ils veulent la reconnaissance du métier et un encadrement légal", a expliqué à francetv info Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). BFMTV a rencontré des travailleurs du sexe, hommes et femmes, qui dénoncent l'ambition de la députée Maud Olivier.
Mais les prostituées ne sont pas les seules à protester contre la proposition de loi de la députée PS. Selon un manifeste signé par une centaine d'associations, dont Act up et Médecins du monde, sanctionner les clients "accentuera la précarité et la clandestinité" des prostituées. Certaines féministes critiquent également la position du gouvernement. Dans une tribune publiée dans Le Nouvel Observateur, un groupe d'intellectuels dénonce le "parti pris idéologique" de Najat Vallaud-Belkacem, qui souhaite l'abolition de la prostitution. D'après eux, il "suppose les postulats suivants : 1) La sexualité tarifée est une atteinte à la dignité des femmes. 2) Les prostituées sont toutes des victimes et leurs clients, tous des salauds".
Observer la Suède et la Norvège
Dans la série. Des universitaires (sociologues et psychologues) citent en exemple ces deux pays voisins du Danemark, qui ont choisi de pénaliser les clients, pour défendre cette mesure. Mais très vite, leurs contradicteurs pointent des inexactitudes ou citent d'autres recherches sur les mêmes pays pour affirmer exactement le contraire.
Dans la réalité. C'est la même chose. "En France, les partisans de la pénalisation des clients affirment que cette réforme n'a eu que des retombées positives. Les opposants soutiennent au contraire qu'elle n'a eu que des conséquences désastreuses. Les deux camps n'utilisent pas les mêmes articles, rapports ou déclarations pour défendre leur cause", écrit Rue89, qui a consacré un long dossier au modèle suédois.
Au final, dans la série, Birgitte Nyborg finit par ne pas signer la proposition de loi, alors qu'elle la soutenait à l'origine. Elle préfère réglementer l'activité des prostituées, et met l'accent sur la lutte contre la traite des humains en proposant une police dédiée. L'ancienne Première ministre fictionnelle fait une distinction entre les prostituées qui ont choisi d'exercer ce métier et celles qui sont sous la coupe de réseaux mafieux.
François Hollande peut-il suivre cette ligne ? Difficile de pronostiquer la position du président avec, au sein de son gouvernement, une ministre des Droits des femmes abolitionniste, et une proposition de loi initiée par une députée de la majorité.
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