"Le pape fonde énormément d'espoirs en lui" : qui est le cardinal Bustillo, à l'origine de la venue du Saint-Père en Corse ?
La vidéo est tournée au pied de la basilique Saint-Pierre, à Rome, un jour de grand soleil. "Mes amis, nous avons une très bonne nouvelle à vous annoncer", amorce le cardinal François Bustillo, 56 ans, les mains jointes et la mine réjouie. Dans cette capsule destinée à ses réseaux sociaux, l'évêque d'Ajaccio se charge d'officialiser ce qui n'était alors qu'une rumeur : le pape François va bien se rendre en Corse, dimanche 15 décembre.
L'annonce a surpris les observateurs de la vie religieuse, alors même que le souverain catholique avait, quelques jours plus tôt, décliné l'invitation à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris. Depuis le début de son pontificat, il y a près de douze ans, le pape n'a fait le déplacement en France qu'à deux reprises. Située à seulement 300 kilomètres du Vatican à vol d'oiseau, la Corse avait quant à elle toujours été ignorée des visites de la papauté, malgré la forte tradition catholique de l'île.
Les déplacements du Saint-Père, âgé de 87 ans, se sont en outre raréfiés ces derniers mois, limités par son état de santé déclinant. De quoi pousser le vicaire général du diocèse d'Ajaccio à qualifier cette venue de véritable "miracle" dans les colonnes du Journal de la Corse.
Un homme "qui en impose"
A la manœuvre derrière ce déplacement papal, on ne trouve pas une intervention divine, mais plutôt celle d'un évêque opiniâtre aux méthodes peu orthodoxes : avant même toute confirmation du Saint-Siège, le cardinal Bustillo annonçait la mise en ligne d'un site dédié et multipliait les prises de parole dans la presse. Avec son accent aux intonations ibériques et son mètre quatre-vingt-dix, François Bustillo ne détonne pas uniquement par ses méthodes. "C'est un homme qui en impose", confirme le père Hugues de Woillemont, secrétaire général de la Conférence des évêques de France.
Né à Pampelune, au Pays basque espagnol, le cardinal Bustillo fait partie de l'ordre religieux des franciscains – tout comme le pape François. Il a étudié la philosophie en Italie, puis en France, à Toulouse, avant de s'installer dans l'Aude durant une vingtaine d'années. Le prêtre était depuis peu à la tête du couvent franciscain de Lourdes, lorsqu'il a été propulsé, en mai 2021, évêque sur l'île de beauté.
Un cardinal "qui exprime ses convictions"
Soucieux de bien faire, l'homme d'Eglise se met au travail avant même de poser ses valises. "J'étais présent au moment de son ordination à Ajaccio et, dès le premier jour, il a su parler Corse", se souvient le père Hugues de Woillemont, qui dresse le portrait d'un homme d'une "grande intelligence". Pas question d'être perçu comme un pinzutu (touriste, en Corse). "Il s'est renseigné avant d'arriver. C'est un homme bien informé sur nos croyances et la manière dont les choses se passent en Corse", abonde Alexandre Farina, premier adjoint à la mairie d'Ajaccio.
L'île, en proie à de fortes revendications indépendantistes, a confié les clés de son conseil exécutif à Gilles Simeoni, figure autonomiste locale. Un contexte bien intégré par l'évêque, qui n'hésite pas, en janvier, à prendre la parole sur le dossier brûlant du statut conféré à l'île dans la Constitution. "La Corse doit retrouver son autonomie, sa liberté et sa capacité à gérer sa vie politique, économique, culturelle et même sanitaire", déclare-t-il au site Corse net infos. "Ses prédécesseurs, aussi, avaient des convictions fortes, mais lui les exprime et va un peu plus loin, salue l'élu ajaccien.
"Nous nous sommes pris de passion pour son sort"
Lorsque, à quelques jours de la venue du pape, l'île est en proie à des manifestations en faveur de l'inscription de la langue corse dans le règlement de l'Assemblée territoriale, l'évêque décide de s'en mêler. Après avoir posté, sur Instagram, un message d'appel au calme, il reçoit les représentants des organisations syndicales de jeunesse et exige la fin des manifestations. Un succès. "Il a réussi à calmer la jeunesse, ce que personne d'autre n'aurait pu faire", estime Alexandre Farina à propos de l'évêque, fait en juillet 2024 chevalier de la Légion d'honneur.
François Bustillo n'hésite pas à mouiller la robe de bure, et les habitants de l'île le lui rendent bien. Lors de sa création surprise comme cardinal en septembre 2023, faisant de lui l'un des plus jeunes cardinaux du monde, plus de 800 Corses font le déplacement jusqu'à Rome pour l'applaudir bruyamment depuis la place Saint-Pierre. Alexandre Farina en était, pour représenter la municipalité. "Nous nous sommes pris de passion pour son sort, c'était un peu de nous qui était nommé à Rome ce jour-là !". Le pape, que l'on sait attaché à la ferveur populaire, aurait particulièrement apprécié l'ovation.
"Une proximité" entre le cardinal et le pape
"Si vous lui tendez la main, il vient vers vous, il prend le temps", décrit Marie Mateo Piña, une fidèle qui a vu la cathédrale d'Ajaccio faire salle comble depuis l'arrivée de François Bustillo en 2021. En signe de gratitude, la quinquagénaire, artiste-peintre, a réalisé un tableau de la Vierge Marie qu'elle compte bien lui offrir. Elle prévoit même de se rendre en mai prochain à Rome, avec des centaines d'autres Corses, pour accompagner son évêque. "Après tout, cet homme a tout pour être un jour le prochain pape", s'enthousiasme-t-elle.
Marie Mateo Piña est loin d'être la seule à voir dans l'ascension fulgurante du cardinal Bustillo dans la hiérarchie vaticane le signe de sa possible arrivée, un jour, à la plus haute fonction. La venue du pape sur les terres du cardinal ne risque pas d'éteindre les rumeurs, d'autant que les deux hommes ne font pas mystère de leur bonne entente. Le pape distribue à tous les prêtres du diocèse de Rome La Vocation du prêtre face aux crises, un ouvrage de François Bustillo publié en 2021. "Le cardinal a, du fait de sa proximité avec le pape, une parole qui compte", observe le père Hugues de Woillemont.
"Le pape François fonde énormément d'espoirs en lui et je lui souhaite la fumée blanche."
Alexandre Farina, premier adjoint à la mairie d'Ajaccioà franceinfo
Du fait de sa notoriété, les prises de parole du nouveau protégé du pape sont scrutées. Systématiquement, le verbe y est prudent. En mai, le cardinal publie ainsi une tribune dans les colonnes du Figaro pour dire son désaccord sur le projet de loi sur la fin de vie. "Il est dans la position classique de l'Eglise, qui est, sur le sujet, ultra-conservatrice", résume l'association pour le droit de mourir dans la dignité en Corse, sollicitée par franceinfo, "mais il l'exprime de la manière la plus chaleureuse possible."
"Il faut parler à tout le monde"
"Il donne l'impression de se préparer à son destin, c'est un cardinal très politique", commente une observatrice de la vie politique corse. En novembre 2023, le cardinal fait ainsi la couverture du magazine Paris-Match, détenu par le très conservateur milliardaire catholique Vincent Bolloré, et accorde, quelques jours plus tard, un entretien au journal d'extrême-droite Valeurs actuelles.
"Vous avez vu sa photo dans Paris-Match ? La bure au vent, face à la mer… Je suis sûre qu'il y a plein de vieilles dames qui l'ont encadré dans leur salon ! Mais tout ça, c'est pour le buzz."
Une observatrice de la vie politique corseà franceinfo
La même année, il opte en faveur de la maison d'édition Fayard, également propriété de Vincent Bolloré, pour faire publier son nouveau livre, Le cœur ne se divise pas, préfacé par le pape François en personne. Interrogé sur ses fréquentations politiques controversées, l'ecclésiastique appelle à ne pas y voir un signe d'accointance : "Un évêque ne peut pas être sectaire", explique-t-il ainsi au micro de franceinfo. "Il faut parler à tout le monde", martèle encore François Bustillo. Comme un candidat en campagne.
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