Cet article date de plus de deux ans.

Pédocriminalité dans l'Église : "L'enjeu c'est de réussir à se faire connaître", estime la présidente de l’Instance de réparation

"Pour l'instant, 54 personnes ont été accompagnées, soit à peu près 10% des situations qui nous ont été adressées", explique sur franceinfo Marie Derain de Vaucresson.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Marie Derain de Vaucresson, le 24 février 2022. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

"L'enjeu, c'est de réussir à se faire connaître", estime Marie Derain de Vaucresson, présidente de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), mercredi 6 avril sur franceinfo. À l'occasion de l'assemblée plénière de la Conférence des évêques de France qui s'est ouverte mardi à Lourdes, un premier bilan a été présenté : 526 victimes de violences sexuelles au sein de l'Église se sont manifestées auprès de cette structure alors que la commission Sauvé avait reçu près de 6 500 signalements. "Pour l'instant, 54 personnes ont été accompagnées, soit à peu près 10% des situations qui nous ont été adressées", précise Marie Derain de Vaucresson.

franceinfo : 526 victimes se sont signalées auprès de l'instance de réparation. Ce chiffre est-il surprenant pour vous ? On rappelle que la commission Sauvé avait reçu près de 6 500 signalements.

Marie Derain de Vaucresson : Il y a de nombreuses explications pour comprendre ce chiffre. Il y a la question de l'existence récente de l'instance. Elle n'est pas forcément repérée et cela ne permet pas nécessairement aux victimes de comprendre comment cela va se passer. On a d'ailleurs des personnes qui s'adressent à nous en disant : "Mais je préfère attendre, je préfère voir ce que donne avant de vous contacter." Puis, il y a aussi des personnes qui ont souhaité se signaler à la Ciase [Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église] pour être décomptées parmi les victimes. D'ailleurs, certaines le disent très clairement. Mais elles ne souhaitent pas nécessairement entrer dans une démarche de reconnaissance et de réparation. Donc, l'enjeu c'est de réussir à se faire connaître évidemment, de réussir à rejoindre le plus grand nombre de victimes, de réussir à comprendre et faire comprendre ce que l'on fait et comment on le fait. Notamment, en clarifiant la question de l'accompagnement, de la reconnaissance et de la construction de la réparation avec la question financière mais qui, pour l'instant, concerne en réalité des demandes précises de la part de la moitié des victimes.

Quel est le profil des victimes qui se sont signalées ?

On observe d'abord qu'il y a 68% d'hommes qui s'adressent à nous. Tandis que la Ciase avait repéré, tout à fait conformément à ce qui existe dans les chiffres en population générale des victimes de pédocriminalité dans l'Église, plutôt 80% d'hommes. Ça veut peut-être dire que les femmes seraient plus à l'aise pour conduire ce type de démarche. Il y a toute cette analyse qui serait à faire. On a aussi un rajeunissement, c'est-à-dire qu'on a un certain nombre de victimes qui s'adressent à nous, dans les chiffres consolidés, à partir de 41 ans, et pour l'essentiel entre 56 et 70 ans. C'est aussi un rajeunissement par rapport à ce que la Ciase avait observé. Puis, ces dernières semaines, nous avons observé que des plus jeunes s'adresser à nous : des jeunes entre 20 et 35 ans, font aussi le lien avec la Civise [Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants] et la libération de la parole du côté des violences sexuelles et de l'inceste dans l'ensemble de la société. Plusieurs ayant dit, sur un mode forcément différent : "J'ai compris que c'était important de parler."

Lancez-vous un nouvel appel à témoignages ?

Sur la question de l'appel à témoignages, j'ai expliqué aux évêques que nous avions du mal à démarrer les échanges avec les victimes pour une simple raison : l'instance se structure. Elle a cinq mois et nous sommes en train d'embaucher un secrétaire général, nous n'avons pas fait le plein des référents de situation qui sont les personnes qui accueilleront des victimes. Pour l'instant, 54 personnes ont été accompagnées, soit à peu près 10% des situations qui nous ont été adressées. Je ne crois pas que ce serait sage vis-à-vis des victimes de relancer un appel en disant n'hésitez pas à vous signaler parce que ça veut dire que ces personnes devront attendre et ce n'est absolument pas souhaitable quand on est victime et que l'on souhaite passer à autre chose, obtenir réparation. L'instance est prévue pour durer trois années. J'ai été désigné pour trois années renouvelables. Ça veut dire peut-être trois de plus, mais peut-être pour une année ou deux de plus. Donc, on pourra attendre que l'organisation soit stabilisée pour faire à nouveau un appel à témoignages qui serait sécurisé.

Quel travail faites-vous une fois les témoignages reçus ?

Les personnes s'adressent à nous, souvent par mail, parfois par courrier écrit. Elles sont contactées pour leur assurer qu'on a bien pris en compte leur demande. Ensuite, un référent de situation est désigné et engage l'échange pour connaître les faits, les attentes de la personne et avoir suffisamment d'éléments pour pouvoir confirmer la vraisemblance. Puisque le principe c'est de croire toutes les personnes et de s'adresser au diocèse où ont pu se passer les faits pour confirmer la vraisemblance et le fait que ces faits ont bien eu lieu. Ensuite, une fois que tout cela est confirmé, on repart sur un échange à nouveau pour comprendre quelles peuvent être les attentes, qui peuvent être de différentes natures : rencontre avec des responsables de l'Église, parfois de simples, si je puis dire, réparation financière ou bien d'une démarche mémorielle. Il y a des personnes qui aimeraient écrire et on est en train de se demander s'il ne vaudrait pas le coup de faire, à l'instar de la phrase de la Ciase, un recueil de récits ou bien des ateliers d'écriture. On est en train vraiment de construire des réponses dans la temporalité des personnes victimes. Et ça, c'est aussi important parce qu'il y a des personnes victimes qui ont déjà beaucoup avancé dans les diocèses. Et ce n'est pas la peine de faire répéter, c'est un grand point d'attention parce qu'on ne peut pas raviver des souvenirs délicats. Puis quand les choses ont avancé déjà de manière incontestable, on ne va pas repasser derrière pour vérifier ce qui s'est passé.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.