Pourquoi le film "Grâce à Dieu" de François Ozon fait polémique
Le long-métrage retrace l'histoire de victimes dans l'affaire Barbarin. Le prêtre Preynat, mis en cause pour des actes de pédophilie et nommément cité dans le film, s'opposait à sa sortie.
Grâce à Dieu va pouvoir être diffusé sur grand écran. La sortie du film de François Ozon sur la pédophilie dans l'Eglise, prévue mercredi, n'a pas été interdite par la justice parisienne, ni par la justice lyonnaise. Cette dernière a débouté, mardi 19 février, une ex-membre du diocèse de Lyon, qui demandait que son nom n'y soit pas mentionné. Franceinfo vous explique pourquoi ce long-métrage, qui retrace l'histoire de victimes dans l'affaire Barbarin, fait polémique.
Parce que l'affaire visant le père Preynat n'a pas encore été jugée
Grâce à Dieu raconte la naissance de l'association de victimes La Parole libérée, fondée à Lyon en 2015 par d'anciens scouts abusés par un prêtre pédophile, Bernard Preynat. Au total, l'association recense près de 85 victimes de ce prêtre. Le film suit trois d'entre elles, incarnées à l'écran par les acteurs Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud.
Or, le film sort seulement un mois et demi après le procès du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, et de cinq autres personnes pour non-dénonciation d'agressions sexuelles pédophiles dans cette affaire, dont le jugement ne sera rendu que le 7 mars. De son côté, le père Preynat, mis en examen pour agressions sexuelles depuis janvier 2016, n'a pas encore été jugé. Il pourrait l'être à la fin 2019 ou début 2020.
Pour obtenir un report de la sortie du long-métrage, l'un des avocats du père Preynat avait donc assigné en référé le réalisateur. Il a été débouté car le juge des référés estime que Grâce à Dieu ne porte pas atteinte à la procédure concernant le père Preynat. Le magistrat précise que "l'éventuel procès de Bernard Preynat n'est ni fixé, ni même prévu à une date proche" et que par conséquent la sortie du film "n'est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d'assurer la sérénité des débats devant le juge pénal".
En marge de la cérémonie de la Berlinale, samedi, où Grâce à Dieu a reçu le Grand prix du jury, François Ozon a expliqué avoir pensé, "à tort", que les procès auraient lieu avant la sortie de son film. Ce n'est pas "un film sur l'actualité", ni "à charge contre l'Eglise", s'est défendu le réalisateur. Il a expliqué avoir voulu faire "un film citoyen" qui "pose des questions". "Mon film ne se place pas sur un aspect judiciaire, il se place sur l'aspect humain et sur la souffrance des victimes."
Parce que se pose la question de la présomption d'innocence
De fait, le film de François Ozon est présenté comme une "fiction basée sur des faits réels". Le réalisateur a donc pris le soin d'avertir le spectateur. Dans sa décision, le juge des référés rappelle que "les spectateurs sont informés, à l'issue du film [et avant le générique], du principe de la présomption d'innocence dont bénéficie, comme toute personne, Bernard Preynat", ce qui "vient rappeler que la personne mise en cause, qui n'a pas été condamnée, est toujours, à ce jour, innocente".
"Présenter durant deux heures comme coupable un homme qui n'a pas encore été jugé comme tel constitue une atteinte à la présomption d'innocence que ne saurait évidemment pas faire disparaître le fait d'écrire ensuite le contraire durant deux secondes, réagit Emmanuel Mercinier, l'avocat du père Preynat, interrogé par franceinfo. Que chacun s'interroge : que penser de cette décision si elle était demain appliquée pour des faits d'une autre nature ?" Il a regretté "amèrement cette décision, non seulement dans l'intérêt du père Preynat, mais plus largement dans l'intérêt général".
Au contraire, Paul-Albert Iweins, l'un des deux avocats du producteur et du distributeur du film, s'en félicite. "La décision, très bien motivée, reconnaît que le film — avec les avertissements qui l'accompagnent — ne justifie pas les mesures demandées qui menaçaient sa sortie", s'est-il réjoui auprès de l'AFP.
Parce que des personnes mises en cause sont citées nommément
De plus, dans son film, François Ozon fait le choix d'utiliser seulement les prénoms des victimes mais cite nommément trois personnes : le cardinal Barbarin, le père Preynat et Régine Maire, une ex-membre du diocèse de Lyon. Cette dernière a demandé que son nom soit retiré du film et a mis en demeure François Ozon. Régine Maire apparaît dans Grâce à Dieu, dans une quinzaine de scènes, dont une demi-heure au début, et son nom est cité à 20 reprises. Le tribunal de grande instance de Lyon a examiné lundi son recours mais n'est pas allé dans son sens.
Régine Maire était renvoyée devant le tribunal correctionnel de Lyon en janvier, en même temps que le cardinal Philippe Barbarin. Citée à comparaître pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineur, cette femme, âgée aujourd'hui de 80 ans, avait notamment reçu et écouté des victimes du père Preynat, allant jusqu'à organiser un échange ponctué d'une prière entre l'une d'entre elles et le prêtre pédophile.
A la barre, elle avait lu une déclaration et tenté de faire valoir son droit au silence. La présidente du tribunal avait néanmoins réussi à obtenir quelques réponses, selon notre journaliste qui avait suivi le procès.
Régine Maire annonce vouloir faire une déclaration au tribunal, "et ensuite je pense que je me tairais". La présidente lui pose quand même quelques questions préliminaires.
— Ilan Caro (@i_car) 8 janvier 2019
Bien que Régine Maire ait fait valoir son droit au silence, la présidente lui pose des questions comme si de rien n'était. Son avocat s'y oppose vigoureusement. "Madame est grande. Elle répond, elle répond. Elle ne répond pas, elle ne répond pas !", rétorque la présidente.
— Ilan Caro (@i_car) 8 janvier 2019
Les avocats des parties civiles posent à leur tour des questions à Régine Maire, mais son avocat Me Vahramian intervient à chaque fois pour s'y opposer. La présidente s'agace et suspend la séance pour quelques minutes. #Barbarin
— Ilan Caro (@i_car) 8 janvier 2019
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