Il faut "reconnaître les actes sexistes" : le Haut Conseil à l'égalité veut en finir avec les violences gynécologiques et obstétricales
Dans son rapport rendu public aujourd'hui, l'instance recommande notamment la réalisation d'une étude de santé publique sur ce phénomène.
Les témoignages se suivent et se ressemblent : touchers vaginaux douloureux et abrupts, remarques sexistes et désobligeantes sur le physique, refus de prescrire la contraception demandée, culpabilisation lors d'une IVG... Le 19 novembre 2014, le hashtag #PayeTonUtérus fait son apparition sur Twitter. Plus de 7 000 témoignages sont publiés en moins de 24 heures. Un mouvement est né, libérant la parole autour des violences gynécologiques et obstétricales en France. Le phénomène prend de l'ampleur en 2015, avec la révélation de touchers vaginaux pratiqués sur des patientes endormies.
Trois ans plus tard, le Haut Conseil à l'égalité (HCE) entre les femmes et les hommes fait le bilan, dans un rapport intitulé "Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical – Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaître, prévenir et condamner le sexisme". Rendu public vendredi 29 juin, il avait été commandé par la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa en juillet 2017 afin de "mesurer et objectiver le phénomène" et de "mettre en exergue les différents leviers à mobiliser". Voici ce qu'il faut retenir du constat fait par le HCE et de ses 26 recommandations, après neuf mois d'auditions et d'enquête.
Le phénomène existe mais n'a jamais vraiment été étudié
Le constat. Le HCE est formel : l'ampleur des témoignages "atteste du fait qu'il ne s'agit pas de faits isolés et appelle une prise de conscience et une action publique ambitieuse pour les combattre". Si "les actes sexistes lors du suivi gynécologique et obstétrical comptent aujourd'hui parmi les comportements dénoncés par les femmes", ils n'ont en revanche encore jamais fait l'objet d'une véritable étude.
Les seules données disponibles sont quantitatives et émanent d'enquêtes nationales menées auprès de maternités concernant les actes pratiqués (césariennes, épisiotomies...). On sait ainsi qu'une femme sur deux sur laquelle une épisiotomie a été réalisée déplore un manque ou l'absence totale d'explications sur le motif de cette intervention. Ces taux d'épisiotomie sont d'ailleurs très variables d'une maternité à l'autre, allant de 0,3% à 45%, selon la cartographie réalisée par Le Monde. En outre, 6% des femmes se déclarent "pas du tout" ou "plutôt pas" satisfaites du suivi de leur grossesse ou de leur accouchement, soit 50 000 femmes en 2016.
Pour le reste, le HCE a dû s'appuyer majoritairement sur les témoignages relayés sur les réseaux sociaux par des lanceuses d'alerte et sur les enquêtes journalistiques (dont Le Livre noir de la gynécologie de Mélanie Dechalotte, éd. First, 2017) afin d'établir un diagnostic. Plusieurs raisons à cela : le phénomène est encore méconnu et mal appréhendé par les victimes elles-mêmes. Les études traitant des violences faites aux femmes se concentrent davantage sur la sphère privée et les associations spécialisées se sont peu concentrées sur la spécificité des actes sexistes subis dans le cadre du suivi gynécologique et obstétrical. Enfin, les données recensées par la police, la gendarmerie ou la justice ne reposent que sur les crimes et délits reconnus comme tels et n'isolent ni le contexte de l'infraction ni la profession exercée par l'auteur(e) des faits.
La recommandation. Parmi ses préconisations, le Haut Conseil recommande donc avant tout de mener cette première enquête de santé publique, quantitative et qualitative, pour évaluer le vécu des femmes, que ce soit pour un accouchement, une interruption volontaire ou médicale de grossesse ou encore un suivi gynécologique.
Les femmes peuvent être victimes de six types d’actes sexistes
Le constat. Le HCE a répertorié six types d'actes sexistes. Cela va de la non prise en compte de la gêne de la patiente, liée au caractère intime de la consultation, à des propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, la volonté ou non d'avoir un enfant, en passant par des injures sexistes. Le rapport pointe aussi les actes (intervention médicale, prescription, etc.) exercés sans recueillir le consentement ou sans respecter le choix ou la parole de la patiente, les actes ou refus d'actes non justifiés médicalement et les violences sexuelles (harcèlement sexuel, agression sexuelle et viol).
En 2016, 3,4% des plaintes déposées auprès des instances disciplinaires de l'Ordre des médecins concernaient des agressions sexuelles et des viols commis par des médecins. Reste que "les actes sexistes dans le suivi gynécologique et obstétrical sont encore largement impunis", observe le HCE.
Les recommandations. Pour y remédier, le HCE estime que les femmes doivent d'abord être informées de leurs droits. Il recommande également de renforcer l'implication des ordres professionnels, en formant les membres des chambres disciplinaires aux violences sexistes et sexuelles. Objectif : systématiser la transmission à la justice des plaintes relatives à des pratiques sanctionnées par la loi. Il lui apparaît aussi nécessaire de renforcer la formation des forces de l'ordre et des magistrats sur ces violences.
La profession est majoritairement masculine et la formation, trop centrée sur la technique
Le constat. Selon le HCE, plusieurs facteurs favorisent les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. A commencer par la surreprésentation des hommes dans ces spécialités médicales. Ils représentent 90% des membres du Conseil national de l'Ordre des médecins et 74% des membres du bureau du Collège national des gynécologues et obstétriciens français.
Deuxième facteur, le nombre de consultations, plus élevé que pour d'autres suivis médicaux. Une femme va avoir en moyenne 50 consultations gynécologiques et obstétricales au cours de sa vie (frottis réguliers, renouvellement de contraception, interruptions volontaires de grossesse, consultations pré et post-accouchements…).
Dernier constat : le caractère particulièrement intime de ces consultations n'est pas suffisamment pris en charge dans la formation initiale et continue des médecins. Celle-ci reste centrée sur la technique, "au détriment de la relation humaine et du respect du consentement", écrit le Haut Conseil à l'égalité. Et ce, malgré l'obligation légale d'une formation sur les violences sexistes et sexuelles, prévue par la loi du 4 août 2014.
Les recommandations. Pour le HCE, il est essentiel de renforcer la prévention et la lutte contre le sexisme pendant les études de médecine. L'accent doit aussi être mis, dans la formation initiale et continue, sur la "bientraitance", le "respect du consentement" et le "dépistage des violences sexistes et sexuelles". Il est aussi impératif d'écrire noir sur blanc, dans le Code de déontologie médicale, l'interdit des actes sexistes. Il est temps, enfin, de faire appliquer les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé et de la Haute Autorité de santé, qu'il s'agisse de la position de la femme au moment de l'accouchement, de la liberté de choix quant au moyen de contraception ou de la fréquence des épisiotomies et césariennes.
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