On vous explique les violences vicariantes, exercées par des pères ou des beaux-pères sur des enfants pour atteindre les mères
On les appelle les violences vicariantes, ou violences conjugales par procuration. Début juillet, avec la mort de Célya, 6 ans, le beau-père de la fillette étant le principal suspect, ou encore ce drame où un père a défenestré ses deux enfants de 2 et 5 ans, avant de se jeter lui-même dans le vide, ce type de violences est revenu sur le devant de la scène. Il s'agit en fait d'un conjoint qui, ne pouvant plus atteindre sa compagne, souvent après une séparation, s'en prend à ses enfants. Méconnues, ces violences sont pourtant une composante fréquente des violences conjugales. D'après une étude du ministère de l'Intérieur en 2022, 12 enfants ont été tués dans le cadre de violences conjugales, dont quatre sans qu'aucun des membres du couple ne soit aussi victime.
Des violences par procuration
"Le mot 'violences vicariantes' vient du terme 'traumatisme vicariant'", explique Hauteclair Dessertine, secrétaire adjointe et référente "Femmes en danger" de l'Union nationale des familles de féminicides (UNFF). Ce concept, défini par les psychologues dans les années 1990, désigne le traumatisme que peuvent ressentir des thérapeutes, des travailleurs sociaux ou des aidants en écoutant les personnes qu'ils accompagnent : un traumatisme par procuration, donc.
Le mot vicariant vient en fait du latin "vicarius", qui signifie "remplaçant". "Un conjoint qui exerce des violences vicariantes sur un enfant veut faire du mal à la mère à travers lui, développe Hauteclair Dessertine. On sait très bien qu'on ne se remet pas de la mort d'un enfant et encore moins dans ces conditions-là, quand on sait que l'enfant a été tué parce que le père voulait atteindre la mère. C'est une sorte de mise à mort psychologique."
Des violences physiques mais aussi psychologiques
Dans les cas les plus graves, les violences vicariantes peuvent aller jusqu'à l'inceste ou l'infanticide. Mais elles peuvent aussi prendre d'autres formes, notamment psychologiques. "L'enfant est transformé en objet de chantage", précise Hauteclair Dessertine. Dans ces situations, selon les associations et les psychologues, le partage de l'autorité parentale après une séparation est un terrain privilégié pour les violences vicariantes. "C'est par exemple un père qui ne ramène jamais ses enfants à l'heure quand il en a la garde, pour susciter une angoisse chez la mère, ou un père qui appelle très souvent la mère, sous prétexte de l'autorité parentale conjointe, pour savoir ce qu'elle fait, où elle est."
L'objectif du conjoint qui agit de cette manière est de continuer à exercer un contrôle sur la mère, comme c'est le cas dans les situations de violences conjugales. "C'est ce qu'on appelle 'le contrôle coercitif', c'est-à-dire le fait de restreindre les faits et gestes d'autrui, de le priver de sa liberté par des techniques comme, dans les violences conjugales, géolocaliser sa partenaire, l'empêcher de sortir ou de pratiquer certaines activités, lui interdire de travailler pour qu'elle n'ait pas d'indépendance financière, la couper de ses proches, etc."
Les violences vicariantes exercées sur les enfants interviennent donc la plupart du temps dans le prolongement de violences conjugales classiques.
La question de l'autorité parentale conjointe
C'est pourquoi de nombreuses associations appellent à ne pas accorder l'autorité parentale à des conjoints violents, y compris dans le cas d'atteintes psychologiques. "Aujourd'hui, les magistrats ne sont pas bien formés aux violences vicariantes, regrette Hauteclair Dessertine. La justice travaille encore trop en silo, civil et pénal ne communiquent pas assez. Nous, nous disons qu'il faut protéger l'enfant pour protéger la mère. Donc dès lors qu'il y a eu des violences conjugales, il faut limiter voire retirer l'autorité parentale."
"En France, en 2024, il y a des pères en prison pour avoir assassiné la mère de leurs enfants qui exercent toujours leur autorité parentale. Nous demandons de systématiser le retrait de l'autorité parentale en cas d'homicide sur conjoint."
Hauteclaire Dessertine, secrétaire adjointe et référente "Femmes en danger" de l'UNFFfranceinfo
Pour lutter contre les violences vicariantes comme les violences conjugales, il existe des outils en France : le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement par exemple. Depuis juin 2024, une loi permet aussi aux forces de l'ordre de saisir le procureur pour prendre une ordonnance de protection immédiate, en 24 heures au lieu de six jours, en cas de violences extrêmes d'un conjoint.
Mais selon Hauteclair Dessertine, ces outils "ne sont pas suffisamment utilisés car trop compliqués à appliquer." Pour obtenir une ordonnance de protection immédiate, par exemple, "il faut qu'il y ait une plainte et qu'elle ne soit pas classée, or on sait qu'en France le taux de classement est énorme. Et puis, les tribunaux et les magistrats sont débordés donc tout est très lent."
L'exemple de l'Espagne, à la pointe de la lutte contre les violences vicariantes
En Europe, l'Espagne est à la pointe de la lutte contre les violences vicariantes et, plus globalement, contre les violences conjugales. Hauteclair Dessertine évoque notamment l'outil VioGén, "un algorithme qui permet d'évaluer le danger en temps réel. Tous les acteurs qui gravitent autour de la femme victime de violences peuvent interroger ou fournir des informations à l'algorithme : assistante sociale, médecin, policiers, magistrats, etc. Plus le danger est élevé et plus la femme et ses enfants éventuels bénéficient de protection, notamment policière. On pourrait s'inspirer de ce qui est fait en Espagne, mais pour cela il faut des moyens humains et financiers."
Enfin, lutter contre les violences vicariantes, c'est aussi en parler car elles sont largement méconnues en France. "Plus on expliquera ce que c'est, et plus on pourra s'en prémunir, affirme Hauteclair Dessertine. Plus les victimes ou les témoins de ces violences pourront les reconnaître et plus ils pourront les signaler. On ne peut pas lutter contre quelque chose qu'on ne connaît pas."
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