: Témoignage Violences : frappée par son petit ami, Amanda déplore une condamnation digne d’une "infraction au code de la route", en raison d’une relation trop récente
À partir de quand peut-on parler de violences conjugales ? Faut-il modifier la loi pour étendre ce délit à toutes les formes de couples et de relations intimes, même les plus récents ? C’est la question que se pose Amanda, cette jeune femme frappée par son petit ami, mais pour laquelle la justice n’a pas retenu la circonstance aggravante de "violence sur concubin", au motif qu’elle était en couple avec son agresseur depuis peu de temps et qu’ils ne vivaient pas ensemble.
Amanda a 18 ans, en 2021, quand elle rentre en école de kinésithérapie en France, qui lui offre une partie de sa formation sur un campus à Malte. Dès la rentrée, là-bas, à Malte, Amanda se rapproche d'un de ses camarades. Ils ont une relation intime depuis environ un mois quand un soir de décembre, elle refuse de terminer la nuit chez lui comme il le lui demande. Dans la rue, en colère, il lui tire les cheveux, la gifle et lui donne des coups de poing au visage. Elle en garde plusieurs hématomes, et même, des plaies qu'elle fait constater. Les médecins concluent à une incapacité totale de travail (ITT) de deux jours.
La jeune femme porte plainte pour "violence sur conjoint ou concubin" avec ITT inférieure à huit jours. La justice ne donne pas de nouvelle pendant huit mois jusqu'à ce qu'elle reçoive par la poste un simple courrier du tribunal de police de Toulon, là où est domicilié le jeune homme mis en cause. Le tribunal indique à Amanda que l'affaire a fait l'objet d'une procédure simplifiée étant donné la "faible gravité des faits", l’ITT ayant été inférieure à huit jours.
Le tribunal n'a pas jugé nécessaire d'organiser une audience. La circonstance aggravante de "violence sur conjoint ou concubin" n'a pas été retenue, car la liaison entre les deux protagonistes ne serait pas suffisamment établie et ancienne. Par cette décision, l'agresseur ne risque plus trois ans de prison et 45 000 euros d'amende et devra simplement verser une contravention de 1 000 euros.
Plusieurs interprétations du "couple"
Le sentiment d'injustice est immense pour Amanda : "Quand j'ai reçu cette lettre, j'ai été choquée, frustrée de ne pas avoir eu d'audience. Je ne m'attendais vraiment pas à ça, qu'il s'en sorte aussi facilement, il n'a été confronté avec personne. Dans mon cas, celui qui m'a frappée dans un contexte lié évidemment à notre liaison s'en sort avec une simple contravention comme s'il avait juste commis une banale infraction au Code de la route."
"Pour moi, il y a un décalage entre les discours politiques et judiciaires qu'on entend un peu partout pour encourager les victimes à dénoncer leur agresseur et ce qui est fait réellement."
Amandaà franceinfo
Ironie du sort, un juge aux affaires familiales à Créteil dans la juridiction où vit Amanda lui a en revanche accordé une ordonnance de protection, interdisant à son agresseur d'entrer en relation avec elle, de se rendre chez elle, et de porter une arme.
L'avocate d'Amanda dénonce une situation ubuesque. Elle va écrire au garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti pour lui faire savoir que certains magistrats refusent toujours de considérer certaines violences comme "violences sur conjoint ou concubin" s'il n'y a pas mariage, pacs, ou concubinage au sens strict du Code civil, c’est-à-dire avec une "vie commune stable et continue" alors que beaucoup de liaisons sexuelles ou affectives, aujourd'hui, existent sans qu'il n'y ait aucun de ces éléments.
Pour Me Nejma Labidi, "dans ce type d'affaire, votre sort dépend de l'interprétation que voudra bien faire le procureur qui traitera votre dossier. Beaucoup de procureurs envisagent la notion de concubinage dans une acception large pour qu'on arrive à une qualification de "violences sur conjoint ou concubin" même s'il n’y a pas de relation stabilisée, même s'il n'y a pas vie commune."
"Cela paraît être du bon sens, mais certains procureurs, comme dans le cas de ma cliente, vont estimer que les preuves manquent pour établir la stabilité et la longévité de la liaison et que sans mariage, pacs ou adresse commune, on ne peut pas parler de couple."
Me Nejma Labidià franceinfo
"Aujourd'hui, on peut être dans une liaison sans vivre ensemble", ajoute de son côté Khadija Azougach, spécialiste du traitement des violences conjugales pour l'association Lawyers For Women. "Il y a de nombreuses sortes de couples. Et il n'y a pas de raison d'attendre des mois ou des années pour parler d'une relation intime. Les situations comme celle vécue par cette jeune femme doivent être l'occasion de réfléchir à notre droit, l'occasion de le faire évoluer pour que notre Code pénal soit en adéquation avec la réalité de 2023 ".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.