Violences faites aux femmes : trois questions sur la généralisation du dépôt de plainte à l'hôpital

Le gouvernement a officialisé lundi son intention de permettre aux victimes de porter plainte dans l'ensemble des services d'urgences ou de gynécologie dès la fin 2025. Une vieille promesse qui remonte à 2019.
Article rédigé par franceinfo
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Le Premier ministre, Michel Barnier, s'entretient avec une soignante à la Maison des femmes de l'AP-HP, à Paris, le 25 novembre 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Porter plainte sans passer par la case commissariat. Le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé, lundi 25 novembre, l'extension du dispositif permettant aux femmes victimes de violences conjugales de saisir la justice directement depuis l'hôpital où elles ont été prises en charge. "Dès la fin 2025", la procédure sera proposée "dans chaque hôpital de France doté d'un service d'urgences ou d'un service gynécologique", a-t-il promis, en visite à l'hôpital parisien de l'Hôtel-Dieu, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. 

"Nous voulons systématiser et garantir un accompagnement global pour chaque victime dans un lieu unique, sécurisé", a défendu le chef du gouvernement, évoquant une "main tendue" en milieu hospitalier pour "éviter des démarches et parfois des découragements" dans le parcours judiciaire. Franceinfo revient sur cette mesure, son intérêt, mais aussi ses limites.

1 En quoi consiste ce dispositif ?

En région parisienne, le dépôt de plainte à l'hôpital est possible dans l'ensemble des services des urgences de l'AP-HP depuis l'automne 2023. Dès lors que le médecin urgentiste prend en charge une personne venue "consulter pour un traumatisme", il doit lui demander "si sa consultation est en lien avec des violences subies dans un cadre conjugal" et si elle "souhaite porter plainte"

En cas de plainte, "le médecin prend contact avec la police au moyen d'une ligne téléphonique dédiée" et "l'audition a lieu au sein du service d'accueil des urgences, dans un local mis à disposition par l'hôpital et garantissant la confidentialité des échanges". La patrouille de police envoyée dans l'établissement se présente en civil, par souci de discrétion et pour faciliter l'instauration d'un lien de confiance. Un travail de collecte de preuves médico-légales peut également être mené en parallèle par le biais de prélèvements, y compris en l'absence de plainte.

Le recours à ce dispositif est déjà possible dans au moins 236 établissements hospitaliers français, selon le gouvernement. D'un lieu à l'autre, toutefois, les modalités pratiques diffèrent. Dans de nombreux hôpitaux, comme à Rouen (Seine-Maritime) ou à Nantes (Loire-Atlantique), la procédure ne prévoit pas d'intervention de la police ou de la gendarmerie au sein de l'établissement. Les victimes sont accompagnées par le personnel médical pour remplir un formulaire simplifié, qui est ensuite transmis directement par l'hôpital aux enquêteurs. Une audition de la personne plaignante peut intervenir dans un second temps.

2 Quel est l'intérêt de cette procédure ?

Elle vise à libérer davantage la parole des victimes, qui ne peuvent, ou n'osent, pas toujours pousser la porte d'un poste de police. "L'intérêt, c'est d'éviter le phénomène des victimes perdues", défend l'urgentiste Benjamin Paule, l'un des premiers à avoir expérimenté le dispositif, en 2020, au Cateau-Cambrésis (Nord). "On se rend compte qu'il y a beaucoup de conjoints violents qui attendent les victimes sur le parking de l'hôpital, que beaucoup de patientes changent d'avis", expliquait-il en 2023 sur franceinfo. Sans ce dispositif, certaines "auraient certainement renoncé à dénoncer les faits subis", assure aussi l'AP-HP. Un constat partagé par les policiers franciliens.

"Ces victimes nous échapperaient s'il n'y avait pas ce partenariat avec l'hôpital. Elles ne seraient certainement pas venues, ou peut-être trop tard pour apporter des preuves et des témoignages suffisamment solides à un magistrat." 

Omar Merchi, commissaire de police à Paris

à franceinfo, en 2023

La victime peut avoir davantage de facilité à se confier dans un univers médical. "Dans un commissariat, c'est très autoritaire, tandis que les infirmières sont plus avenantes", avançait l'une d'elles, prise en charge à l'hôpital de Rouen, auprès de France 3. "Aller au commissariat, c'est toujours difficile", abonde l'avocate Michelle Dayan, présidente de l'association Lawyers for Women, d'autant que les victimes "ont souvent peur de ne pas être crues". "A l'hôpital, elles se sentent en sécurité", salue-t-elle sur franceinfo.

En allant chercher les plaintes à la source, les enquêteurs gagnent, eux, un temps précieux. "A partir du moment où on a rapidement les incapacités temporaires totales (ITT) physiques ou psychologiques et les déclarations de la victime, ces étapes sont déjà cochées", décrivait ainsi un policier parisien en 2023. Un premier pas essentiel qui permet d'accélérer l'enquête de voisinage, les auditions des proches, voire l'éventuel placement du suspect en garde à vue.

3 Comment va se dérouler l'extension de ce dispositif ?

Le recours à ce dispositif sera étendu à 377 structures d'ici à la fin 2025, soit "tous les hôpitaux qui sont dotés d'un service d'urgences et d'un service gynécologique", a fait savoir la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Salima Saa, lundi, sur franceinfo. De nombreux hôpitaux resteront donc exclus de cette mesure, dans un pays qui compte 1 347 établissements publics de santé, selon la Cour des comptes.

Si le principe du dispositif est largement salué, les annonces du gouvernement s'accompagnent d'une certaine prudence. Il faut dire que, dès 2019, à l'époque du Grenelle sur les violences conjugales, l'exécutif avait déjà promis une généralisation d'ici à 2020. "Aussi bien du côté de la police que du côté des soignants, il y a un manque de moyens qui fait que, déjà, pour leurs missions classiques, ils ont du mal à tout faire. C'est la raison pour laquelle cette mesure est sans cesse annoncée et sans cesse reportée", souligne la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, sur France 2

"On a déjà un stock de plaintes non traitées ahurissant", abonde l'avocate Michelle Dayan, pour qui "il faudra des moyens pour que ce ne soit pas que des effets d'annonce". D'autres acteurs appellent à renforcer l'ensemble de la chaîne pénale. Le dépôt de plainte à l'hôpital "ne permet malheureusement pas de garantir que l'enquête d'environnement et l'interrogatoire des proches soient systématiquement mis en place", souligne l'avocate Violaine de Filippis-Abate. Aider à porter plainte est une chose, éviter qu'elle soit classée sans suite en est une autre.


Si vous êtes victime de violences conjugales, ou si vous êtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'écoute anonyme, le 39 19, joignable gratuitement 24h/24 et 7 jours sur 7. Ce numéro garantit l'anonymat des personnes, mais n'est pas un numéro d'urgence comme le 17 (ou le 114 par SMS) qui permet, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie. Il est aussi possible d'envoyer un signalement sur une messagerie instantanée. D'autres informations sont également disponibles sur le site Service-public.fr.

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