: Vidéo Comment médecines alternatives et extrême droite se fédèrent autour d'un discours "antisystème"
Il n'y a parfois qu'un pas entre la remise en cause de la médecine et le rejet radical de la société. En témoignent certains discours tenus par des participants de deux événements récents ayant réuni des partisans des pratiques de soins non conventionnelles, des antivaccins, des covido-sceptiques, voire des figures complotistes et des membres de l'extrême droite. Il y a d'abord eu la réunion, les 18 et 19 mai à Saintes (Charente-Maritime), du "Conseil scientifique indépendant", un groupe rassemblant des personnalités remettant en cause le consensus médical sur le Covid-19, constitué en réaction à la création du Conseil scientifique chargé d'éclairer les décisions du gouvernement pendant la crise épidémique. Il y a ensuite eu un salon du "bien-être", "Demain, c'est aujourd'hui", du 19 au 21 mai à Montpellier (Hérault). Une équipe de l'émission "Vrai ou fake" de franceinfo s'est rendue à ces rassemblements pour comprendre comment se tissent ces liens entre antivax et "antisystème".
L'une des têtes d'affiche du salon du "bien-être" montpelliérain, Jean-Pierre Willem, prône la "médecine naturelle" et recommande les huiles essentielles pour se prémunir, voire soigner, certaines maladies graves, comme les cancers, le sida ou plus récemment le Covid-19. L'ancien chirurgien de 85 ans a été radié de l'ordre des médecins en 1987, et cité dans un rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) en 2010. Sa méthode n'a prouvé aucune efficacité et n'a pas subi d'essais cliniques. Elle peut même être néfaste pour le malade, en retardant une véritable prise en charge médicale. Interrogé sur ses méthodes, l'ex-médecin se dit persécuté. "Il y a plein de médecins qui ont dû quitter la France. On ne peut plus m'appeler 'docteur'", dénonce-t-il, estimant avoir été radié parce qu'il est "dangereux" et qu'il possède "trois millions de followers" sur les réseaux sociaux.
"On ne peut plus cohabiter"
Non loin de ce discours, beaucoup de visiteurs du salon sont simplement venus assister à des ateliers ou des conférences sur le bien-être et la relaxation. Ici, un atelier de "géobiologie", forme de méditation centrée sur les énergies des arbres ; là, un cours de massage thaïlandais. Beaucoup de visiteurs se disent blessés d'être qualifiés de "complotistes" par la presse. La plupart de ces ateliers et de ces conférences ne s'appuient pas sur des preuves scientifiques : l'ésotérisme, l'intérêt pour les "énergies" sont de l'ordre de "l'invisible", de la croyance. Pas de danger tant que ces pratiques ne prétendent pas remplacer la médecine et ne promettent pas de guérison.
Mais à côté de ces débats, plusieurs conférenciers distillent des propos "antisystème". C'est le cas de Jean-Christophe Dumas, qui assure avoir révolutionné les lois de la thermodynamique avec une technique qui produirait beaucoup plus d'énergie qu'elle n'en consommerait. Son efficacité est plus que contestée, comme l'explique L'Obs. Le but ? Alimenter des communautés qui vivraient en autarcie. "J'ai un pied dans le système, j'ai un pied en dehors. Donc, je continue à suivre mon plan, explique l'"inventeur". Jusqu'à ce qu'on réussisse à organiser des micro-sociétés autonomes. Et on le fera. Si ce n'est pas en France, ce sera ailleurs. On le fera, parce qu'on ne peut plus cohabiter, ce n'est plus possible."
L'ère du Verseau à la sauce identitaire
Ce type de discours plus politique est aussi tenu par des invités sulfureux : des membres de l'ancien groupe musical d'extrême droite Les Brigandes. Au répertoire de ces chanteuses identitaires, des morceaux aux titres évocateurs : Le Grand Remplacement, Rêve de reconquête, Quand on voit arriver les migrants... Le groupe a annoncé sa dissolution en octobre 2021, mais la communauté qui l'entoure perdure. Antoine Duvivier, ancien "secrétaire" des Brigandes, devenu rédacteur en chef d'une revue ésotérique, est venu dispenser son cours sur "l'ère du Verseau", période du Zodiaque qui expliquerait, entre autres, "l'abolition des frontières, le problème de l'identité sexuelle". Sa solution : s'éloigner de la société.
Antoine Duvivier assure n'avoir plus aucun lien avec les ex-Brigandes, dont le discours politique n'a aucun rapport avec sa venue à cet événement. Pourtant, il faisait ce lien au lancement de son magazine : "L'aspect spirituel et ésotérique que propose notre revue Uranus se retrouve dans certaines chansons des Brigandes. (...) Nous n'attendons rien de l'abominable système qui est en place, aucune réforme ; nous ne souhaitons que son effondrement", assénait-il en mai 2021 à Eurolibertés, un site internet de "réinformation" apprécié de l'extrême droite.
La pandémie instrumentalisée par l'extrême droite
Parmi les cibles du discours "antisystème" : les médias. C'est le sujet de la conférence de Pierre Barnérias, réalisateur du documentaire Hold-up (2020), qui propageait de fausses informations sur la pandémie. C'est aussi l'un des thèmes du second événement auquel l'équipe de "Vrai ou fake" s'est rendue : la réunion du "Conseil scientifique indépendant" à Saintes.
A la table, Xavier Azalbert, le directeur du blog France Soir, qui a désinformé sur la crise sanitaire, conspue les médias "mainstream". Le journaliste star de Sud Radio, André Bercoff, moque les "fact-checkers", tout comme le souverainiste Florian Philippot, président du parti Les Patriotes. De fait, l'extrême droite est surreprésentée à cet événement, qui réunit un public nombreux dans une ancienne boîte de nuit. Jean-Frédéric Poisson, soutien d'Eric Zemmour, et Nicolas Dupont-Aignan complètent la table, suivis par l'eurodéputée du Rassemblement national Virginie Joron. "Nos deux moyens, vraiment, ce sont les élections, et c'est la réinformation", résume l'élue.
En relayant des discours covido-sceptiques sur les soi-disant dangers et la supposée inefficacité des vaccins, l'extrême droite s'est attiré l'attention d'un public sensible à ces thèses. Elle s'intéresse de près à ces thématiques de "médecines" non conventionnelles et s'engouffre dans les événements liés au bien-être. Avec deux buts avoués : y diffuser un discours "antisystème" et recruter des soutiens.
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