: Vrai ou faux Le Ceta peut-il continuer à être appliqué même s'il est rejeté par le Parlement français, comme l'a assuré Valérie Hayer ?
Un revers pour la majorité présidentielle, à deux mois et demi des élections européennes. Le Sénat a largement rejeté, jeudi, le Ceta, accord de libre-échange entre l'UE et le Canada, qui sera à nouveau examiné à l'Assemblée nationale fin mai, avec là encore un risque de rejet. Pourtant, interrogée par franceinfo lundi 25 mars, la tête de liste de la majorité présidentielle pour les élections européennes, Valérie Hayer, a assuré que le Ceta "pourrait" continuer à s'appliquer, comme c'est le cas depuis 2017, en cas de rejet par le Parlement français. "Ce sera la décision du gouvernement de voir quelles sont les prochaines étapes", a précisé l'eurodéputée.
"Mais quel aveu !", a réagi Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes - EELV, dénonçant sur le réseau social X un accord "climaticide" qui "ne crée pas d'emplois". "Dans quelle démocratie est-ce possible ?", s'est aussi insurgée la députée LFI du Val-de-Marne Clémence Guetté. Alors, Valérie Hayer a-t-elle raison d'assurer que le traité peut continuer à s'appliquer, quel que soit le vote de l'Assemblée nationale ? Franceinfo a fait le point avec deux spécialistes des traités de libre-échange.
Depuis son adoption par le Parlement européen en février 2017, la quasi-totalité du traité transatlantique est appliquée de façon provisoire en France, notamment les dispositions commerciales relevant de la compétence européenne. A titre d'exemple, le Ceta abaisse les droits de douane de 98% sur des produits échangés entre l'Union européenne et le Canada. Pour les dispositions relevant de compétences partagées entre l'UE et ses membres, comme les investissements ou la création d'un arbitrage des contentieux entre Etats et entreprises, l'ensemble des Etats-membres doit ratifier le Ceta.
Il est vrai qu'un rejet du texte par l'Assemblée nationale et le Sénat n'entraîne pas automatiquement la fin de son application. "Normalement, si le vote par le Parlement de l'Etat-membre est négatif, le gouvernement doit notifier au Conseil de l'UE le refus de cette ratification. Dans ce cas-là, tout s'arrête, y compris l'application provisoire", explique à franceinfo Marie Fernet, avocate spécialiste en droit douanier. En effet, le Conseil de l'UE (PDF) a déclaré en 2016 qu'en cas d'échec de la ratification, "l'application provisoire devra être et sera dénoncée", que ce soit en raison d'une "décision prononcée par une Cour institutionnelle ou à la suite de l'aboutissement d'un autre processus constitutionnel". Pour cela, il faut toutefois une "notification officielle par le gouvernement de l'Etat concerné". Et celle-ci n'est pas obligatoire.
Un rejet non notifié à Chypre
A Chypre par exemple, le Parlement a rejeté la ratification du traité en juillet 2020, mais le gouvernement a choisi de ne pas notifier cette décision à l'UE. Le traité continue donc à s'appliquer provisoirement. "Le gouvernement espérait faire revoter le Parlement chypriote, après l'inscription du fromage halloumi dans la liste des Indications géographiques protégées (IGP) reconnues par l'Union européenne, et donc par le Canada dans le cadre de l'accord. Il espérait que cette modification soit suffisante pour faire changer la position des députés au Parlement", explique Mathilde Dupré, codirectrice de l'Institut Veblen, think tank français dédié à la promotion du développement durable. Le halloumi a obtenu la classification IGP et AOP, en 2021, mais aucun nouveau vote n'a été organisé.
Dans l'hypothèse d'un rejet par l'Assemblée nationale, quelles sont les options qui s'offrent au gouvernement ? "Soit le gouvernement propose de nouveau une ratification par le Parlement, alors qu'il ne dispose pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, soit il choisit de ne pas transmettre aux institutions européennes le refus de la ratification", résume Marie Fernet. "Ce passage en force me paraît plus compliqué", estime l'avocate. Dans ce dernier cas, l'Union européenne n'aura pas son mot à dire, car "la façon dont le traité est ratifié par les Etats-membres ne relève pas de la compétence de l'Union européenne, mais du droit national".
Un risque de statu quo de longue durée
Par ailleurs, si le gouvernement français prenait le même chemin que Chypre, cela pourrait provoquer un long statu quo : "La difficulté, c'est que l'application provisoire n'a pas de date de péremption. Cette application provisoire à l'échelle européenne peut durer de façon quasi permanente", anticipe Mathilde Dupré. "On n'a pas encore examiné, nous, à l'échelle française, les voies de recours possibles si le gouvernement voulait se placer dans cette situation-là". Plusieurs pays ont par exemple soumis le Ceta à l'examen d'une Cour constitutionnelle : ainsi, la Cour suprême irlandaise a statué contre la ratification du Ceta, qu'elle considère en l'état contraire à la Constitution nationale. Le gouvernement irlandais réfléchit toutefois à "changer la loi irlandaise pour mettre fin à cette incompatibilité", relève Mathilde Dupré.
Selon un rapport qu'il a publié en janvier, faisant le bilan de six ans d'application du Ceta, l'Institut Veblen dénombre 17 Etats-membres ayant ratifié le processus de ratification interne en décembre 2022. A ce jour, ce processus est bloqué dans 10 pays : la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Pologne et la Slovénie. "Un éventuel rejet de l'accord dans l'un des Etats-membres pourrait faire tomber tout l'édifice", soutient le rapport, en référence à la déclaration du Conseil de l'Europe permettant à l'Etat-membre d'abandonner l'ensemble du traité sur son sol en cas d'échec de sa ratification.
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