Vrai ou faux "On est un demi-million" : le nombre d'habitants à Mayotte est-il sous-estimé, comme l'affirment des responsables politiques ?

Article rédigé par Léa Deseille
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Vue d'ensemble du quartier sud de Mamoudzou à Mayotte, le 2 janvier 2025, dévasté par le passage du cyclone Chido. (JULIEN DE ROSA / AFP)
Les méthodes de recensement dans l'archipel sont souvent critiquées, notamment depuis le passage dévastateur du cyclone Chido. Pourtant, l'Insee fait valoir que son estimation est plus fiable que dans l'Hexagone.

Près d'un mois après le passage du Cyclone Chido à Mayotte, le territoire et ses habitants sont toujours en détresse. Le 30 janvier, lors de son déplacement dans l'archipel, le Premier ministre, François Bayrou, a présenté un plan pour aider le département le plus pauvre de France à se relever. Le chef du gouvernement a annoncé des mesures à court terme : une remise en état du réseau d'eau, le rétablissement de l'électricité... Mais aussi des dispositions à plus long terme, notamment un nouveau recensement de la population. "Il permettra de sortir des ambiguïtés et des incohérences sur l'appréciation numérique de la population", a souligné le chef du gouvernement.

Depuis la catastrophe, le nombre réel d'habitants de l'archipel fait de nouveau débat. "L'Insee ne sait pas compter dans notre département", a dénoncé Estelle Youssouffa, députée mahoraise (Liot), au micro d'Europe 1 le 4 janvier. "Il dit que nous sommes 300 000 dans notre département alors qu'on est un demi-million". A l'occasion de sa visite sur place, la cheffe de file du Rassemblement national à l'Assemblée nationale, Marine Le Pen, a repris à son compte cette estimation, dans un entretien au quotidien France Mayotte Matin. "On est au minimum à 500 000, ce qui explique l'effondrement sur lui-même du service public", a-t-elle fait valoir. Au 1er janvier 2024, l'Insee dénombrait pour sa part 321 000 résidents à Mayotte. Les critiques visant son décompte sont-elles fondées ?

Une méthode adaptée aux spécificités du territoire

Pour comprendre la méthode de recensement employée dans le 101e département français, il faut d'abord s'intéresser à son fonctionnement dans l'Hexagone. Une enquête est menée tous les ans, mais pas pour toute la population en même temps. "Les communes de moins de 10 000 habitants réalisent une enquête de recensement portant sur toute leur population, à raison d'une commune sur cinq chaque année", précise le site du gouvernement dédié aux collectivités locales. "Les communes de 10 000 habitants ou plus réalisent tous les ans une enquête par sondage auprès d'un échantillon d'adresses représentant 8% de leurs logements." Ainsi, au bout de cinq années d'enquêtes, l'Insee aura décompté l'ensemble des habitants des communes de moins de 10 000 habitants et 40% environ de la population des communes de plus de 10 000 habitants. Le reste relève de l'estimation.  

A Mayotte, la méthode de recensement est un peu différente. "Nous nous sommes adaptés aux spécificités du territoire", explique à franceinfo Muriel Barlet, cheffe du département de la démographie à l'Insee. Les agents de l'Institut de la statistique entament le recensement par une enquête pour identifier les logements et valident leur cartographie avec les communes. Cette étape est seulement réalisée dans les territoires d'outre-mer. 

Sur tout le territoire français, pour réaliser ce décompte, l'Insee mise sur une coopération avec les communes. "Le but est de recruter des agents recenseurs qui sont des locaux et qui connaissent la population pour qu'elle leur fasse confiance", détaille la cheffe de service de l'Insee. Pour les "bangas", ces habitations de tôle ondulée qui couvrent les collines des bidonvilles mahorais, le recensement est effectué logement par logement et non par sondage, à la même fréquence que pour les villes de plus de 10 000 habitants. "Un recensement par sondage aurait été trop compliqué, parce que ces logements évoluent trop vite", fait valoir Muriel Barlet.

Un taux de réponse plus élevé que dans l'Hexagone

Mais cette méthode adaptée présente un avantage : "La part des logements recensés sur un cycle de cinq ans sera de 70% à Mayotte, alors qu'en métropole, elle n'est que de 40%." Par ailleurs, le taux de réponse lors des enquêtes annuelles plus élevée à Mayotte que dans l'Hexagone. "Seulement 3,6% des occupants des logements [à Mayotte] en 2021 n'ont pas répondu et 2,9% en 2022, contre 4,8% en moyenne nationale", précisait l'Insee sur son blog en janvier 2023.

Ce taux de réponse élevé s'explique par le travail de communication de l'organisme, estime Muriel Barlet. L'Insee insiste sur le fait que le but du recensement est de comptabiliser la population résidant en France au moment de l'enquête, quelle que soit la nationalité ou le statut. "On explique aux personnes que c'est un travail statistique, donc cela ne peut servir à aucune autre instance", précise la cadre de l'Insee, ajoutant : "Nous ne leur posons même pas la question de leur statut sur le territoire". Que les personnes soient présentes légalement ou non sur le territoire, elles peuvent donc répondre sans risque. 

"Les personnes en situation illégale sont donc bien prises en compte dans le recensement."

Muriel Barlet, cheffe du département de la démographie à l'Insee

à franceinfo

Pourtant, l'idée selon laquelle le recensement à Mayotte serait mal exécuté persiste. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce ressenti. "Les bidonvilles sont étalés, et pas en hauteur comme des immeubles, ce qui peut biaiser la perception", avance Muriel Barlet. "Certaines zones de l'archipel sont quasiment inhabitées, donc les habitants sont concentrés dans d'autres zones." Enfin, la croissance de la population étant importante, cela peut également brouiller les perceptions. En vingt ans, le nombre d'habitants a doublé à Mayotte. Mais, d'après la cadre de l'Insee, l'idée selon laquelle il y aurait 500 000 personnes vivant dans le département actuellement apparaît "peu probable"

La consommation de riz comme indicateur

En plus de leur décompte méthodique, les démographes de l'Insee comparent leurs résultats avec des "sources extérieures", notamment la consommation de certains produits, comme le riz ou l'huile. "On regarde si ces éléments sont cohérents avec la population comptabilisée et, jusqu'à présent, tout ce qu'on a pu comparer et analyser nous conforte dans l'idée que notre ordre de grandeur est bon", assure Muriel Barlet. "On ne compare pas avec l'Hexagone, parce que cela n'aurait pas de sens : ce ne sont pas les mêmes habitudes, ni le même niveau de vie. Nous comparons plutôt avec les pays voisins." 

Les démographes se basent également sur l'évolution de la consommation pour valider leurs chiffres. "Par exemple, on compare les importations de riz en 2017 rapportées à la population en 2017, puis les importations de riz en 2023 par rapport à la population en 2023. Si l'augmentation est cohérente, notre ordre de grandeur l'est aussi", expose-t-elle. Cette méthode a tout de même ses limites : les quantités importées ne sont pas toujours consommées et sont parfois exportées à nouveau, stockées, voire gaspillées. 

Le recensement de la population n'étant pas fait en intégralité chaque année, une marge d'erreur existe, dans l'Hexagone comme à Mayotte. "Cela reste un protocole humain, donc on peut avoir des problèmes tout au long de la chaîne ou des personnes qui ne vont pas répondre aux questions", reconnaît Muriel Barlet, assurant cependant que "cela reste assez faible et contenu".

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