"Ce n'est pas qu'une histoire de graines" : comment les couples de femmes expliquent la conception par PMA à leurs enfants
Le Comité consultatif national d'éthique a confirmé son avis favorable à l'extension de la PMA à toutes les femmes. De nombreux couples de lesbiennes y ont déjà recours, en se rendant à l'étranger pour accéder à la maternité. Comment ces mamans s'y prennent-elles pour expliquer à leurs enfants leur conception ? Franceinfo a recueilli leurs témoignages.
"Un papa, une maman : on ne ment pas aux enfants." Ce slogan est l'un de ceux les plus utilisés dans les rangs de La Manif pour tous, mouvement qui fut en première ligne contre le mariage pour tous et qui s'oppose désormais à l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, c'est-à-dire aux homosexuelles et aux femmes seules, à laquelle le Comité consultatif national d'éthique se dit favorable, mardi 25 septembre. Pourtant, s'il est bien une structure où il semble difficile de mentir aux enfants, c'est au sein d'une famille homoparentale.
"Les familles homoparentales sont vraiment celles où on ne peut pas tricher sur la question des origines, estime le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, interrogé par franceinfo. Très tôt, un enfant se rend compte qu'il est dans une organisation familiale qui est différente des autres. Très tôt, il a conscience de la différence des sexes", poursuit le responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Impossible donc de ne pas mettre de mots sur cette singularité.
"Il faut être très transparent"
Certains couples de femmes commencent même ce travail d'explication en amont de l'accouchement. "Je leur parlais de leur mode de conception alors que je les avais dans le ventre", raconte Cindy, 37 ans, maman avec sa femme d'un garçon de 5 ans et d'une petite fille de 1 an. Tous deux ont été conçus grâce à des inséminations artificielles réalisées en Espagne. Même chose pour Amélie, 39 ans, qui n'est pas la mère biologique de sa fille, Garance, âgée de 1 an : "On lui en a parlé avant sa conception, pendant et après. Il faut être très transparent pour ne pas qu'il y ait de non-dit ou de tabou."
Zyna, 40 ans et mère de deux filles, âgées de 10 ans et 5 ans, nées de fécondations in vitro réalisées en Belgique, partage cet avis. Dès que ces filles ont atteint 1 ou 2 ans, "on en a parlé de la manière la plus claire possible" pour ne pas laisser place aux doutes ou aux fantasmes. Pour cela, avec sa femme, elles se sont aidées du livre pour enfants Pourquoi tu as deux mamans de Nathalie Sizaret et Daphné Dejay. L'ouvrage explique simplement qu'il faut "une graine de maman et une graine de papa" pour avoir un bébé, mais que deux mamans peuvent très bien s'occuper de cet enfant.
Si chaque parent trouve ses propres mots, l'image de la graine revient souvent, elle parle aux enfants.
Serge Hefez, psychanalyste et thérapeute familial et conjugalà franceinfo
Le spécialiste de l'enfance recommande d'ailleurs de s'appuyer sur les nombreux livres existants sur le sujet : "L'illustration permet de dépasser une parole théorique et les images rendent les choses plus ludiques." On peut notamment citer Le Mystère des graines à bébé du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron et d'Aurélie Guillerey. Dans ce livre, Petit Paul demande à ses parents comment se font les bébés. Gênés, ses parents n'osent pas lui répondre car il n'a pas été conçu de façon "traditionnelle". Petit Paul rencontre alors différents animaux qui lui parlent simplement d'amour, de différents modes de conception, dont la PMA, et même de la crainte des parents d'être moins aimés...
"Les adultes rendent les choses compliquées"
La confrontation aux autres – à la crèche, chez la nourrice, à l'école... – est également l'occasion de parler avec les enfants. "Il est où mon papa ? Comment on fait les bébés ?, a rapidement demandé la fille de Cindy. On explique ce qui explicable en fonction de l'âge, les questions ne sont pas les mêmes à 2 ans ou à 4 ans", témoigne Clémentine 44 ans, qui élève avec Louise trois enfants, dont un petit garçon de 4 ans conçu en Espagne.
"Mon fils a compris qu'on avait besoin d'une graine d'homme et qu'un gentil monsieur nous en a donné une. Puis, il a voulu savoir d'où venait cette graine alors on a décrit la clinique comme une sorte de boutique à graines. Et il n'a rien trouvé à redire. Ce sont les adultes qui rendent les choses compliquées", souligne Clémentine.
Plus tard, elle envisage d'emmener son fils en Espagne, "en pèlerinage" sur les traces de sa conception. Ce voyage, Cindy et sa femme l'ont fait avec leur fille "pour aller chercher la graine" qui lui a donné son petit frère. A 5 ans, "c'est une petite fille bien dans ses baskets qui dit à tout le monde à l'école qu'elle a deux mamans", sourit Cindy. Embryon, fécondation, congélation d'ovocytes, fonctionnement du corps humain... Au fur et à mesure, l'enfant grandit et il est capable de comprendre les subtilités des différentes étapes.
"Son histoire est d'abord une histoire d'amour"
Mais avoir un enfant, "ce n'est pas qu'une histoire d'ovocytes et de spermatozoïdes", relativise Marjolaine, 46 ans, maman de deux filles de 9 ans et demi et 5 ans. "Il y a les graines, il y a l'aide du médecin, mais il y a aussi le désir qu'on a eu de les avoir et l'amour qu'on leur donne en les élevant tous les jours. Pour elles, avoir deux mamans, c'est leur norme", se félicite Marjolaine. "Il s'agit de ne pas avoir honte de la façon dont on a désiré et conçu un enfant. Au contraire, il faut en être fier et montrer que c'est un bel événement", abonde Serge Hefez.
Amélie et sa femme Annick ont même décidé de réaliser un "reportage photos mis en musique" pour montrer toutes les étapes du parcours à Garance le moment venu. De même, elles conservent tous les documents médicaux et administratifs liés à leur PMA faite dans une clinique de Barcelone (Espagne). Des souvenirs gardés pour que leur fille comprenne que "son histoire est d'abord une histoire d'amour."
Reste une question que toutes les mamans ne gèrent pas de la même façon : l'anonymat du donneur de sperme. "A chaque âge, il y a un besoin de compléments d'informations", confie Cindy. Si tout se passe bien aujourd'hui, elle n'exclut pas que ses enfants, une fois adolescents, lui "balance en pleine figure" leur besoin de connaître l'identité du donneur de sperme. "On envisage tout, y compris le rejet et l'incompréhension à l'adolescence", abondent Amélie et Annick.
Garance ne connaîtra ni le visage ni le nom de son géniteur. Il faudra lui expliquer que c'est un gentil monsieur et que, grâce à sa générosité, elle est aujourd'hui parmi nous.
Amélie et Annick, les mamans de Garance, 1 anà franceinfo
Pour Serge Hefez, "il faut faire avec" l'anonymat du donneur de sperme et ne pas occulter que cela peut entraîner une "frustration" chez certains enfants. "On est au clair avec nos choix et on ne culpabilise pas", assure Marjolaine qui se tient "prête à en discuter avec ses enfants." De son côté, Clémentine prévoit aussi de "répondre à toutes les questions" de son fils et de parler de cette personne "généreuse" qui reste inconnue, une "contrepartie du don". Elle ajoute : "Il n'a pas de papa, mais il a deux mamans qui se sont battues pour l'avoir : ma compagne, avec plus de dix tentatives de PMA qui ont échoué aux Pays-Bas, et moi, pour pouvoir l'adopter devant la justice française. C'est un enfant désiré que l'on aime."
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