"S'il ferme, on est perdus" : à Vierzon, le centre social menacé par le gel des contrats aidés
Au fil du non-renouvellement des contrats aidés, l'Association des jeunes créateurs de Vierzon, qui œuvre dans l’accompagnement scolaire ou encore l’alphabétisation, craint de devoir mettre la clé sous la porte. Un crève-cœur pour les habitants que franceinfo a pu rencontrer.
"C’est comme un coup de couteau dans le dos", lance Mounire Lyame, président du centre social AJCV (Association des jeunes créateurs vierzonnais). Depuis que le gouvernement a décidé de geler le renouvellement de nombreux contrats aidés qu’il juge peu efficaces et trop coûteux, il ne décolère pas. Il regardera de près la décision du Conseil d'Etat concernant le gel de ces contrats. Saisis par des élus écologistes, les Sages devaient statuer mercredi 20 septembre sur la question. Ils ont finalement reporté l'examen au 3 octobre.
Comme de nombreuses structures associatives, l’AJCV, créée il y a vingt-cinq ans par les habitants du Clos du Roy, un quartier défavorisé de Vierzon (Cher), fonctionne avec huit contrats aidés. Ils sont aujourd'hui tous menacés. En raison du non-renouvellement de ces contrats, l’ensemble du centre social pourrait fermer ses portes d’ici 2019.
"C'est une vraie épaule pour nous"
Dans la salle d’accueil de l’association, installée au rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages à l'écart du centre-ville, la cafetière fonctionne à plein régime. Autour de la table, les discussions sont vives entre les habitantes du quartier, aux mines soucieuses. "S’il n’y a plus l’AJCV, il n’y a plus rien ici", lance Fadela, les larmes aux yeux. "C’est un repère dans le quartier, une vraie épaule pour nous. Mon deuxième fils a 15 ans. Et depuis qu’il est suivi ici, j’arrive à avoir plus de dialogues avec lui."
L’inquiétude se lit aussi dans les grands yeux noirs de Meriem. "Il y a des choses que l’on sait faire et il y a des choses que l’on ne sait pas faire. S’il n’y a plus l’aide aux devoirs, si le centre social ferme, on est perdus. Moi j’ai un fils de 11 ans, Shaïme. Il est autiste et ici, ils m’aident beaucoup", confie-t-elle au moment où le garçon sort de la pièce attenante, accompagné d’une éducatrice du centre social. Un large sourire s’affiche sur son visage. Il dit adorer venir ici "pour travailler et faire des jeux".
Actuellement, le centre du Clos du Roy propose de l’aide aux devoirs à 460 jeunes par semaine, des cours hebdomadaires d’alphabétisation et d’apprentissage de la langue française à 180 personnes, ainsi qu’un centre de loisirs. Dès le 25 septembre, la moitié des cours ne pourront plus être assurés. Et à partir du 1er janvier 2018, le centre de loisirs devra fermer ses portes, faute de personnel.
Une disparition regrettable pour les familles, qui y trouvaient non seulement une aide au quotidien mais aussi une occasion pour leurs enfants de bénéficier de loisirs souvent inaccessibles, comme une sortie à Paris, au Futuroscope ou quelques jours au bord de la mer ou à la montagne. Pour ces femmes, qui souvent sortent peu de chez elles, le centre représente aussi une bouffée d’oxygène. "Ici, c’est la liberté, je viens pour discuter, boire du café, faire des blagues aussi", raconte Aïcha dans de grands gestes.
Une méthode brutale pour les contrats en cours
Les responsables du centre s'inquiètent donc de l'avenir et de la possible disparition de ce "beau modèle de vivre ensemble". "S'il n'y a pas de problèmes dans le quartier, c'est grâce à un travail de fourmi de l'association. Il y a beaucoup de prévention", assure la directrice Céline Vigier. Le président et cofondateur de l'association, Mounire Lyame, enfant du quartier devenu assistant parlementaire de l'ancien député-maire du Cher (PCF), abonde.
L’AJCV, c’est l'une des plus belles réussites des habitants du quartier. On est partis de rien en 1992, on ne nous a pas donné d’argent... Là, c’est tout un symbole qu’on va tuer.
Mounire Lyame, président du centre socialà franceinfo
"On recrute des gens qui sont éloignés de l’emploi et on joue vraiment le jeu de la formation. Et voilà comment on est récompensés", grince-t-il. Au fil des années, les contrats aidés du centre social ont pu bénéficier de formations pour devenir éducateurs spécialisés, animateurs ou encore conseillers économiques et sociaux. "Cela permet de retrouver de la confiance en soi quand on n'est plus en contact avec le monde du travail", souligne Céline Vigier.
Surtout, les responsables du centre social critiquent la méthode employée par l'exécutif. "On veut bien qu'il y ait un débat sur les contrats aidés, mais la façon dont les choses sont faites, c'est de la brutalité. Là, une collègue a appris au retour de ses vacances que son contrat n’était pas renouvelé. C'est de l'humiliation", dénonce Céline Vigier.
Des départs précipités
C'est le cas de Julie, dont le retour de vacances a été rude. Cette trentenaire donnait des cours de français à des groupes de différents niveaux dans le centre... Jusqu'à ce qu'elle apprenne que son contrat ne serait pas renouvelé. Un coup dur pour cette jeune femme passionnée, restée longtemps éloignée du marché du travail.
"Je touchais 600 euros, mais j’ai pu me former ici et au moins j’étais utile. Là je reviens d’un rendez-vous chez Pôle Emploi : au final, je vais toucher 540 euros. Mais pour quoi ? Rester chez moi... Je préférerais me lever le matin et aller au travail", assure celle qui doit désormais faire ses cartons, d'ici vendredi soir. Pour la jeune femme, le plus difficile est de devoir annoncer aux soixante personnes dont elle s'occupait que les cours sont terminés.
Même désillusion pour sa collègue Basma. Son contrat d’agent d’accueil ne sera pas renouvelé le 2 octobre. "Je venais travailler ici avec un grand plaisir chaque jour", regrette-t-elle, tout en s’affairant pour ranger la pièce avant les prochaines activités.
Journée d'action et création d'un collectif
Le centre social compte bien les soutenir et se battre pour rester indispensable au quartier. Depuis l'annonce du gel, la riposte s'organise. Mounire Lyame a écrit une lettre à Emmanuel Macron et invité le chef de l’Etat à venir visiter la structure afin d'échanger avec les habitants. Parallèlement, l’AJCV va constituer un collectif avec d’autres associations du bassin d’emploi de Vierzon pour anticiper l'avenir et interpeller les décideurs.
En attendant, le centre du Clos du Roy se prépare à une journée d'action, le lundi 25 septembre. A la place des activités habituelles, l'association va organiser des débats et tables rondes avec les habitants pour les informer sur les conséquences de la disparition des contrats aidés. Une chose est sûre, les responsables pourront compter sur Aïcha, Fadela, Meriem et les autres pour donner de la voix.
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