Plan Ecophyto sur les pesticides : on vous explique le Nodu, l'indicateur qui divise agriculteurs et écologistes, que le gouvernement remplace par le HRI-1

Les associations environnementales redoutaient que cet outil de mesure de l'utilisation des produits phytosanitaires soit remplacé pour satisfaire les syndicats agricoles, ce que le gouvernement a acté mercredi 21 février.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Un agriculteur applique un traitement à une parcelle dans la région de Senlis (Oise), le 2 juin 2021. (SYLVAIN CORDIER / BIOSPHOTO / AFP)

Elles ont claqué la porte. Huit ONG environnementales ont annoncé, lundi 12 février, avoir quitté une réunion du Comité d'orientation stratégique et de suivi du plan Ecophyto 2030, qui se tenait au ministère de l'Agriculture, en présence de membres du gouvernement, d'élus et de représentants des agriculteurs et de l'industrie. Elles protestent contre la suspension de ce plan, qui vise une réduction de moitié de l'utilisation des pesticides d'ici à 2030 (par rapport à 2015-2017), annoncée par Gabriel Attal, début février, pour apaiser la colère des agriculteurs.

Cette mise en pause d'une durée indéterminée, qui intervient avant l'ouverture du Salon de l'agriculture le 24 février, a laissé place à une réflexion sur la façon de mesurer l'usage des produits phytosanitaires par les agriculteurs, et donc la réussite du plan Ecophyto. Pour l'indicateur actuel, le nombre de doses unités, ou Nodu, contesté par la FNSEA, mais défendu par les associations environnementales, le glas a sonné mercredi 21 février. "Je vous annonce que l'indicateur de référence pour suivre notre objectif de réduction des produits phytosanitaires ne sera plus le Nodu franco-français, mais bien l'indicateur européen", a déclaré Gabriel Attal en conférence de presse.

"Une estimation du nombre de traitements" pratiqués chaque année

Le Nodu avait vu le jour avec le premier plan Ecophyto, lancé en 2008 avec pour objectif de réduire de 50% en dix ans le recours aux produits phytosanitaires. Exprimé en hectares, il est obtenu en calculant "la surface qui serait traitée annuellement, avec les produits phytopharmaceutiques vendus au cours d'une année, aux doses maximales homologuées", explique le site du ministère de l'Agriculture.

"Le Nodu, c'est la volonté d'avoir une estimation du nombre de traitements que l'agriculture a pratiqués", résume Xavier Reboud, chercheur en agroécologie et directeur de recherche à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) de Dijon. Ce sont les services de l'Etat qui le calculaient, en analysant la part des herbicides, des fongicides et des insecticides. "Il permet de savoir à quelle fréquence et à quelle intensité on a recours à ces produits", explique Nicolas Munier-Jolain, ingénieur de recherche à l'Inrae de Dijon.

Le Nodu a d'abord connu une trajectoire ascendante : il s'établissait à 82 millions d'hectares en 2009, puis à 100,2 en 2015 et 120,3 en 2018. Une nette baisse a ensuite été observée (85,7 en 2021), avant une remontée en 2022, à 89,4 millions d'hectares, déplorée par les associations environnementales. "Mais à l'intérieur du Nodu global, qui augmente, la part que représentent les produits les plus problématiques diminue, car on leur substitue des pesticides moins nocifs", souligne Xavier Reboud.

"Sur cette base, certains agriculteurs revendiquent avoir déjà fait de gros efforts en utilisant des produits moins dangereux."

Xavier Reboud, chercheur en agroécologie

à franceinfo

Le Nodu "ne prend en compte que les volumes utilisés, sans distinction entre les produits les plus à risques, qui s'utilisent en petites quantités, et les solutions de substitution à plus faible impact, qui s'utilisent en plus grand volume", avait dénoncé Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, le principal syndicat des agriculteurs, dans une tribune publiée par Ouest-France. "Ce n'est pas un indicateur d'impact" des produits phytosanitaires sur l'environnement, "mais de dépendance" à ces derniers, souligne Nicolas Munier-Jolain.

Une alternative européenne qui fait débat

Les exploitants ont donc réclamé la mise en place d'un autre indicateur, le HRI-1, pour Harmonized Risk Indicator ("indicateur de risque harmonisé"). "Il est proposé par la Commission européenne pour suivre l'utilisation des produits phytosanitaires en Europe. Son principe est très simple : c'est la quantité de substances actives [vendues], mais pondéré par un facteur de 1 à 64 selon la dangerosité du produit", détaille Nicolas Munier-Jolain. Les substances actives sont classés en quatre catégories, qui pèsent respectivement 1, 8, 16 et 64. Un mode de calcul détaillé sur le site du ministère de l'Agriculture, qui ne prend plus en compte la notion de surface traitée.

"C'est plutôt pertinent de ne pas compter de la même manière les différents produits", estime Xavier Reboud, selon qui les résultats du HRI-1 restent "très corrélés" à ceux du Nodu. En revanche, cet indicateur européen désormais adopté par l'agriculture française "est très critiqué par les tenants de l'agriculture biologique", observe Nicolas Munier-Jolain. En effet, les pesticides qui restent autorisés en bio "sont souvent à fort grammage par hectare. Le rapport de dangerosité de 1 à 64 est insuffisant pour compenser ces forts grammages", aboutissant à un résultat qui évolue négativement si le bio se développe. L'ONG Générations Futures dénonce un indicateur "totalement trompeur", qui "favorise les pesticides les plus toxiques".

Des indicateurs qui pourraient être complémentaires

Si la France a décidé de l'adopter, comme ses voisins européens, l'enjeu porte maintenant sur le réglage de ce nouveau "thermomètre" : comment classer de chaque substance active sur l'échelle de dangerosité ? "Il y aura une bataille sur la composition de chaque liste, prévient Xavier Reboud. Faut-il ou non stabiliser ces listes ? Quelles bases scientifiques manque-t-il pour les faire évoluer ? Il faudra qu'on puisse comparer à l'échelle des pays européens, avec des critères harmonisés."

Ainsi, la classe 2, dont les substances sont pondérées par un facteur de 8 sur l'échelle qui va de 1 à 64, abrite des éléments "très hétérogènes", pointe l'ingénieur, ce qui fausserait la clarté de l'indicateur. C'est aussi ce que fustigent les organisations environnementales : "En changeant d'indicateur, le gouvernement peut présenter un plan qui montre que l'utilisation a diminué alors que l'indicateur actuel montre l'inverse", dénonçait récemment auprès de franceinfo Dorian Guinard, professeur en droit public à Sciences Po Grenoble et spécialiste du droit de l'environnement.

Quoi qu'il en soit, Xavier Reboud défend la complémentarité du HRI-1 avec le Nodu : "Ce sont des indicateurs qui ne sont pas faits pour la même chose, mais tous sont intéressants. Il faut piloter avec un portefeuille d'indicateurs." Dans sa communication, le ministère de l'Agriculture semble pourtant vouloir se passer du Nodu : "La mesure de l'atteinte de l'objectif de baisse des phytosanitaires ne sera plus faite par le Nodu mais par l'indicateur européen HRI", est-il détaillé dans le dossier de presse distribué après la conférence de presse de Gabriel Attal.

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